Archives de catégorie : T15 – ccd eed

C’est un soir tendre comme un visage de femme. — 1901 (9)

Albert Samain Le chariot d’or

Soir

C’est un soir tendre comme un visage de femme.
Un soir étrange, éclos sur l’hiver âpre et dur,
Dont la suavité, flottante au clair-obscur,
Tombe en charpie exquise aux blessures de l’âme.

Des vers angélisés … des roses d’anémie …
L’Arc-de-Triomphe au loin s’estompe velouté,
Et la nuit qui descend à l’horizon bleuté
Verse aux nerfs douloureux la très douce accalmie.

Dans le mois du vent noir et des brouillards plombés
Les pétales du vieil automne sont tombés.
Le beau ciel chromatique agonise sa gamme.

Au long des vieux hôtels parfumés d’autrefois
Je respire la fleur enchantée à mes doigts.
C’est un soir tendre comme un visage de femme.

Q63 – T15  – Le vers 14 est identique au vers 1

Que reste-t-il de la Suzette, — 1901 (6)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Suzette

Que reste-t-il de la Suzette,
Que reste-t-il de la Suzon?
Quand j’y pense, mon cher poète,
J’ai des frissons dans la raison!

Eteignons les flambeaux de fête,
Car douloureux est leur rayon
Depuis que la Suzon est cette
Noble poussière en du linon!

Mais moins m’affligerait la perte
De cette Suzannette, certe,
Si j’étais très sûr que là-bas

Où gît sa forme gracieuse,
Elle connaît, l’âme rieuse,
Le grand bonheur de n’être pas!

Q8 – T15 – octo

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres, — 1901 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Jolis cœurs

Jolis cœurs, vous faites les bons apôtres,
Et toi, chair, dans le stupre tu te vautres!
Et ceux qui disent tant de patenôtres
Ont tant de mauvais regards pour les autres!

On médite souvent un crime affreux
Tandis qu’on vous regarde, doucereux!
Et dans les moments des plus doux aveux
Le venin coule des yeux langoureux!

Tout meurt: la lèvre rose de Rosette
Comme la phrase exquise du poète!
Tout meurt dans le jour blanc et le noir soir!

Plutôt la Mort que cette hypocrisie!
Mais la Mort – (et mon âme aussi en est saisie!) –
Elle est fausse, elle aussi! … Mort donc l’Espoir!

aaaa bbbb – T15 – déca irr.

On la descend dans le grand trou, la chérie, — 1901 (2)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

On la descend

On la descend dans le grand trou, la chérie,
La bonne fillette aux clairs yeux lilas!
Tranquille, elle vivait dans ses falbalas –
Petite fille sachant la pauvre vie!

La terre la reprend: terre, je t’envie!
Je perds une amoureuse aux bras délicats,
Une enfant qui toujours me serrait le bras, –
Tu gagnes une chair polie et fleurie!

Je ne la verrai donc plus les soirs de mai
Et d’octobre venir tout comme un bienfait
Surtout comme un sourire en marche vers l’âme.

Je te vois disparaître, ô toi qui fus toi! –
Toi qui fus toi, moi! – toi, mon unique foi! –
O sœur, ô mère, ô fille! ô toi seule femme!

Q15 – T15 – 11s

Sur le petit chemin latéral — 1901 (1)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets en petit deuil

Sur le petit chemin latéral

Sur le petit chemin latéral
Quelques violons avec folie
Font résonner le langoureux val
De leur musique lente et jolie.

C’est un tendre chant hyménéal
Où, doux, le cœur à l’âme s’oublie, –
Et mon vague amour se trouve mal
Par la fraîche nuit déjà pâlie.

La passion, l’orgueil et l’espoir
Me sont un vide affreusement noir
Qui se débat dans l’âme torride ….

Mais peut-être que les violons
Et ces amoureux aux rêves blonds
Sentent dans leur cœur le même vide.

Q8 – T15 – 9s

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut, — 1900 (16)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIII

Rien ne te peut toucher, rien ne t’émeut,
Ton cœur est éclos dans un grand bloc de glace
Tout se brise au mur de sa calme surface,
Ta chair semble de marbre et d’airain tes yeux.

Ta passivité brave même les dieux,
Et ta vierge beauté fait rêver l’audace
Qui s’éteint de trop voir ta froideur en face
Pétrifiant tout, l’amour comme les feux.

Tu sembles un gouffre où ton rire sans joie
Veut ce qui plane et l’appelle pour proie
Afin de combler ton goût pour le néant.

Tes seins sont deux fleurs grandes épanouies,
Berçant le poison de leur laiteuse envie
Comme des cygnes sur un étang stagnant.

Q15  T15  11s

Il n’est honte devant laquelle la luxure — 1900 (9)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 129

Il n’est honte devant laquelle la luxure
Recule pour pouvoir librement s’assouvir.
Cruelle jusqu’au sang, déloyale, parjure,
Sauvage, vile, infâme, elle est tout à plaisir.

Mais le mépris la suit avec sa flétrissure;
Comme il fut follement poursuivi, son désir,
Aussitôt satisfait, est maudit sans mesure,
Tel le poison qu’enferme un perfide élixir.

Et c’est toujours ce but, qui n’admet pas de halte,
Vers lequel néanmoins sa démence s’exalte,
Faible bonheur qu’attend un réveil trop amer,

Délice qui finit dans la poudre du rêve!
L’homme sait tout cela; pourtant il bat sans trêve
Le céleste chemin qui mène à cet enfer.

Q8 – T15 – tr

On se souvient de la chapelle des Goyaves — 1900 (7)

Henri Jean-Marie LevetSonnets torrides

Possession française
A la mémoire de Laura Lopez

On se souvient de la chapelle des Goyaves
Où dorment deux mille dimanches des Antilles,
De la viduité harmonieuse du havre,
Et la musique, du temps vieillot des résilles …

– Colonie d’où l’aventurier revenait pauvre! –
Les enfants demi-nus jouaient, et leurs cris
Sourdaient, familiers comme les bougainvilliers mauves,
De la vérandah et de la terrasse aux lourds murs gris …

– Et les picnics du dimanche au Gros-Morne?
– Ils ont vécu, les bons vieux mauvais romans qu’orne
La Jeune Créole, lente, aux mœurs légères …

Ces enfants sont partis et leurs parents sont morts –
Et maintenant dans la petite colonie morte
Il ne reste plus que quelques fonctionnaires …

Q59 – T15

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant; — 1900 (4)

Arsène VermenouzeEn plein vent

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant;
S’ils ont l’accoutrement fruste du pauvre hère,
Qu’il couche, tout vêtu, dans la grange, sur l’aire,
C’est parce qu’ils sont fils d’un barde paysan,

D’un barde et d’un chasseur: je les fais en chassant.
Dans les brousses où le renard a son repaire,
Sur les hauts mamelons où le genêt prospère,
Je vais, baguenaudant, rêvant, rimant, musant.

Cependant mon sonnet prend forme, s’élabore:
Comme un sauvageon, qu’en plein champ on voit éclore.
Il naît, agreste, mais sentant bien le terroir,

Sentant bien l’herbe fraîche et la feuille des hêtres,
Et les fougères que j’emporte dans mes guêtres:
Il est encor tout chaud, quand je l’écris, le soir.

Q15 – T15 – s sur s

Princesse! A jalouser le destin d’une Hébé — 1899 (17)

Mallarmé Poésies

Placet futile

Princesse! A jalouser le destin d’une Hébé
Qui poind sur cette tasse au baiser de vos lèvres,
J’use mes feux mais n’ai rang discret que d’abbé
Et ne figurerai même nu sur le Sèvres.

Comme je ne suis pas ton bichon embarbé,
Ni la pastille ni du rouge, ni Jeux mièvres
Et que sur moi je sais ton regard clos tombé,
Blonde dont les coiffeurs divins sont des orfèvres!

Nommez-nous … toi de qui tant de ris framboisés
Se joignant en troupeaux d’agneaux apprivoisés
Chez tous broutant les voeux et bêlant aux délires,

Nommez-nous … pour qu’Amour ailé d’un éventail
M’y peigne flûte aux doigts endormant ce bercail,
Princesse, nommez-nous berger de vos sourires.

Q8 – T15