Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Je rêve d’être sous ton corps — 1889 (4)

Le Décadent

Jules Renard

Morvandelle

Je rêve d’être sous ton corps
Une barque fragile et neuve.
Tu ne vivras qu’entre mes bords
Plus solitaire qu’une veuve.

Tu tiendras toute entière en moi,
Car ma poitrine t’a saisie
Comme une prison; j’ai pour toi
De couler à ta fantaisie.

Ma rame bat avec langueur
Sur la mesure de ton coeur.
Puis, las d’amour, j’aurai la joie

Avec un simple tour de reins
De faire voir aux riverains
Comme une maîtresse se noie!

Q59 – T15 – octo

Il hurlait: « mon nombril est un chryzobéril, — 1889 (3)

Le Décadent

Métrophane Crapoussin (Georges Fourest)

Quatorzain pour aller à Bicêtre

Il hurlait: « mon nombril est un chryzobéril,
Mon corps est serti de feldspaths et d’argyroses
Ma couche est le pistil déhiscent d’une rose
Et c’est d’or pur que Zeus fit mon Membre Viril.

Mon père – clérical – et ma mère, l’étoile
Gamma du Petit Chien dorment sur le Liban
Et c’est pourquoi je hais l’infâme Caliban.
A quatorze ans, j’entrai chez un marchand de toile

Peinte. Ce gaillard-là ne fut qu’un propre à rien.
Nabuchodonosor! O quel assyrien:
Moi, j’ai des cornes d’antilope dans la bouche.

Gazelles d’Andrinople, aux Juillets pluvieux! »
– Or, comme il se taisait, le médeçin, un vieux
Rasé, dit au gardien: « qu’on le mène à la douche »

Q63 – T15

Très rousse, aux longs yeux verts damnablement fendus!… — 1888 (34)

– Théodore Hannon Rimes de joie

Sonnet biblique

Très rousse, aux longs yeux verts damnablement fendus!…
Je la suivis chez elle, et bientôt, sans chemise,
Sur mon lit de bataille elle se trouva mise,
Offrant à mes ardeurs tous les fruits défendus.

Le chignon inondait de sa fauve avalanche
Le torse aux grands prurits de cette Putiphar ;
Le nombril incrustait sa fleur de nénuphar
Aux lobes de son ventre : un gâteau de chair blanche.

Ses tétins étaient d’ambre effilés de carmin
Et tenaient tout entiers dans le creux de ma main,
Elle entr’ouvrit le centre unique où tout converge…

Son poil roux brasillait de flambes me dardant…
– Moïse, c’est à vous, dans ce buisson ardent,
Que je songeais, frappant le doux roc de ma verge!

Q63 – T15

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre — 1888 (33)

Paul-Jean Toulet in Oeuvres complêtes

sonnets exotiques, III
à l’âme de Dumollard

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre
Où la cupide Mort met ses joyaux de prix,
Où les corps tant aimés par son ombre surpris
Gardent encor leur grâce en perdant la lumière.

Amant inassouvi des chairs de cimetières,
Consolateur des morts, toi seul plein de mépris
Pour les corps où le sang met son tendre pourpris,
Tu gardais tes baisers aux pâleurs de la bière.

Je voudrais bien savoir, poète méconnu,
Ceux que tu préférais de ces corps mis à nu:
Le linceul soulevé de la vierge encor fraîche

Ou la chair trentenaire et que mûrit l’amant
Et que mûrit la mort encore plus savamment,
Très molle avec des bleus, comme une vieille pêche?

Q15 – T15

Mais lorsque MataMoréas — 1888 (32)

Jean Ajalbert in Le Figaro

« Un de nos spirituels auteurs explique le style bistourné des symbolo-décadents par ce fait qu’ils écrivent de la main gauche. Le duel morganatique de cette semaine prouvent qu’ils se battent de la même. Il s’agit du combat – singulier – entre le barine Rodolphe Darzens (de Carcassonne) et le klephte Papadiamantaupoulos dit: Jean Moréas (de Clichy-la-Garenne). Combat motivé par une altercation survenue à la Nouvelle-Athènes. Ce dernier réclamait l’épée – de Damoclès; mais on ne put s’entendre sur le choix de la couleur du cheveu. La rencontre a donc eu lieu avec de vulgaires épées, chez M. Fleuret, propriétaire à Villèle – près Médan.  »

Mais lorsque MataMoréas
Dans les bois fleuris de Villèle,
En grave danger se vit l’aile,
Le monocle ou le pancréas,

Se souvenant que chez Zola
Il est attendu, que c’est l’heure,
Avant que le fer ne l’effleure,
Pense à y mettre le holà!

Alors avec calme, il écarte
Le redouté contre de quarte
De son adversaire anormal

– Qui sérieusement l’agresse –
Et, nouveau sage de la Grèce,
Dit: VOUS ALLEZ ME FAIRE MAL!

Q63 – T15 – octo

Le soleil enflammé dans son rouge pourpoint — 1888 (24)

Le Chat Noir (23 juin)

Marcel Schwob

Aurore scandinave

Le soleil enflammé dans son rouge pourpoint
Crevé, par où bouffait sa chemise écarlate,
Tira de son fourreau vermeil sa blanche latte,
Sur la table des dieux tremblants assit son poing.

Le sanglier rosé, savoureux, cuit à point,
Sauta du coup, heurta dans la vaisselle plate,
Les coupes d’hydromel où l’or liquide éclate
Limpide et transparent sous sa blondeur de coing.

La Terre vit alors la face lumineuse
Du Soleil empourpré d’une aurore vineuse
S’étaler au milieu de son gilet grenat;

Rayonnant de cheveux, il saisit à la taille
La Nuit, lui fit craquer son corsage de faille, –
Et le front de la Nuit se couvrit d’incarnat.

Q15 – T15

L' »Albert Hall », au dôme bizarre — 1888 (22)

Le Chat Noir

London Fog

L' »Albert Hall », au dôme bizarre
Semble un formidable encrier.
Nous prendrons pour presse-papier
Un lion de ‘Trafalgar Square’.

De la « Banque », spectacle rare,
Nous ferons un vaste casier;
Et « Marble Arch » change en plumier
Son précieux bloc de Carrare.

Le ‘Monument’ est le crayon
Et la ‘Colonne de Nelson’
Devient un porte-plume étrange.

Cependant le soleil surpris
Met sur un ciel de buvard gris
Son pain à cacheter orange.

Stationer

Q15 – T15 – octo

Les fillettes sont bien grandies — 1888 (16)

Charles CrosLe Collier de griffes

Almanach

Les fillettes sont bien grandies
Qu’on faisait sauter dans ses mains!
Que de cendres sont refroidies!
Voici refleuris les jasmins.

Il est un charme aux lendemains,
Un bercement aux maladies.
Les roses perdent leurs carmins
Mais restent de nobles ladies.

Sans être ni riche ni fort
On attend doucement la mort
En contemplant le ciel plein d’astres.

Mais il vient des mots étouffants:
On laissera les chers enfants
Livrés à de vastes désastres.

Q11 – T15 – octo

Si mon âme claire s’éteint — 1888 (15)

Charles CrosLe Collier de griffes

Testament

Si mon âme claire s’éteint
Comme une lampe sans pétrole,
Si mon esprit, en haut, déteint
Comme une guenille folle,

Si je moisis, diamantin,
Entier, sans tache, sans vérole,
Si le bégaiement bête atteint
Ma persuasive parole,

Et si je meurs, soûl, dans un coin
C’est que ma patrie est bien loin
Loin de la France et de la terre.

Ne craignez rien, je ne maudis
Personne. Car un paradis
Matinal, s’ouvre et me fait taire.

Q8 – T15 – octo  – L’ed. Pléiade affirme bizarrement que le vers 7 est un heptasyllabe (ce qui est faux) et suggère de compter ‘bégaiement’ pour 4 positions, ce qui est bête. Mais c’est le vers 4 qui n’a que 7 syllabes.

Je suis l’expulsé des vieilles pagodes — 1888 (9)

Charles CrosLe Collier de griffes

En Cour d’Assises

Je suis l’expulsé des vieilles pagodes
Ayant un peu ri pendant le Mystère;
Les anciens ont dit: Il fallait se taire
Quand nous récitions, solennels, nos odes.

Assis sur mon banc, j’écoute les codes
Et ce magistrat, sous sa toge, austère,
Qui guigne la dame aux yeux de panthère,
Au corsage orné comme les géodes.

Il y a du monde en cette audience,
Il y a des gens remplis de science,
Ça ne manque pas de l’élément femme.

Flétri, condamné, traité de poète,
Sous le couperet je mettrai ma tête
Que l’opinion publique réclame.

Q15 – T15 – tara