Archives de catégorie : T15 – ccd eed

J’ai balayé tout le pays — 1888 (7)

Charles CrosLe Collier de griffes

Conquérant

J’ai balayé tout le pays
En une fière cavalcade;
Partout les gens se sont soumis,
Ils viennent me chanter l’aubade.

Ce cérémonial est fade;
Aux murs mes ordres sont écrits.
Amenez-moi (mais pas de cris)
Des filles pour la rigolade.

L’une sanglote, l’autre a peur,
La troisième a le sein trompeur
Et l’autre s’habille en insecte.

Mais la plus belle ne dit rien;
Elle a le rire aérien
Et ne craint pas qu’on la respecte.

Q10 – T15 – octo

Nous cherchons ici-bas une postérité — 1888 (6)

Alfred Copin (trad.) Les sonnets de Shakespeare traduits en vers français

I

Nous cherchons ici-bas une postérité
Pour éviter la mort à la beauté suprême,
Et qu’une fois flétrie, à sa maturité,
Il reste son image en une autre elle-même.

Mais toi, le fiancé de tes brillants regards,
Tu nourris ton éclat de ta propre substance;
Ennemi de ton charme et pour toi sans égards,
Tu fais une famine où règne l’abondance.

Toi, du monde aujourd’hui le plus frais ornement,
Qui n’es que le héraut de l’été parfumant,
En ton propre bourgeon tu conserves ta sève

– Lâche! qui se ruine en économisant!
Ecoute la nature, ou sinon te brisant,
Elle te poursuivra jusqu’au tombeau sans trève!

Q59 – T15 – tr – Shakespeare, sonnet 1: « From fairest creatures we desire increase, … « 

Chacune de tes fleurs renferme dix baisers — 1887 (14)

Julles Nollée in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

A Mademoiselle ***, pour accuser réception d’une boite contenant des fleurs odorantes

Chacune de tes fleurs renferme dix baisers
Qui me sont destinés, dis-tu. Total : soixante !
Cette somme serait pour tout autre importante
Et le mettrait au rang des amoureux aisés.

Hélas ! de moi le ciel fit un enfant prodigue.
Je vis comme un torrent que nulle main n’endigue.
Pauvre dissipateur, je me trouve aux abois,
Car mes lèvres ont pris le tout en une fois.

Cigale au front léger, je viens crier famine !
Comment à mon destin faire meilleure mine ?
Iras-tu m’envoyer au bal ?

Montre que la fourmi parfois est secourable,
Et, voulant à tout prix faire mentir la fable,
Renouvelle mon capital.

Q61  T15   2m : v 11 & 14 : octo

Au piano elle est assise et la sonate — 1887 (12)

Albert Saint-Paul in Ecrits pour l’art

Sonate

Au piano elle est assise et la sonate
–       Un océan dont les accords seraient les flots –
D’abord clapote et vient, câline, unie, en natte
Aux grèves vers mon rêve – ô les flots aux falots !

Et mon âme se pâme au sourd roulis des lames
En la Nuit qui s’enfuit où clament mille voix ;
Et les cordes, qu’accorde une voix de hautbois,
Chantent l’Avril, l’Idylle et les Epithalames.

Et nous voguons ! et nous tanguons, la Nuit s’enfuit.
Très loin l’horizon sans maisons – l’horizon luit.

Plaque encor des accords sur ton Erard d’ébène.
Laisse tes doigts à la caresse du clavier.

Oh ! notre âme emmaillée en l’immense épervier
De la kabbale, à l’aube opale pâle à peine.

Q60  T15  disp (Tercets en distiques) – rimes intérieures

Parmi l’écroulement des grandeurs séculaires, — 1887 (10)

Parnasse de la jeune Belgique

André Fontainas

La Joconde

Parmi l’écroulement des grandeurs séculaires,
Des espoirs teints de sang, de magie et d’orgueil,
Des langueurs, de remords sans motif et sans deuil
Baignent, Mona Lisa, tes yeux crépusculaires.

Et parfois un éclair de sensualité
Très doux vient allumer tes pensives prunelles,
Et les âpres désirs des voluptés charnelles
Glissent dans ta chair pâle un frisson redouté.

Ton si triste sourire est le cruel mystère
D’un cœur silencieux pris d’un amour austère,
Pour le riche avenir des fortes floraisons ;

Le candide regret des triomphes mystiques
Enflamme de feux verts tes yeux énigmatiques,
Consolant et rêveur comme des oraisons.

Q63  T15

O lune, quand tu sors des vapeurs opalines — 1887 (8)

Le Chat Noir,

Armand Masson

A la lune

O lune, quand tu sors des vapeurs opalines
Qui te font comme un lit onduleux et mouvant,
Je crois voir la Vénus Callipyge levant
Les voiles importuns des chastes mousselines.

En poëte païen j’admire ces rondeurs
Qu’on ne voit plus, hélas! qu’au pays des planètes,
Et je bénis les lois des morales honnêtes
Qui t’ont mise au-dessus des humaines pudeurs.

Mais pourquoi nous montrer toujours les mêmes choses?
Tu devrais varier de temps en temps les poses
Et nous faire admirer de nouvelles beautés.

Pour moi, les yeux levés vers le céleste dôme,
J’ai souvent caressé ce rêve d’astronome
De contempler l’envers de ta rotondité.

Q63 – T15

Pour un civet, il faut un lièvre: — 1887 (6)

Le Chat Noir,

Armand Masson

Bouchée à la reine

Pour un civet, il faut un lièvre:
Il faut une idée au sonnet.
Prenez-là délicate et mièvre,
Un déjeuner de sansonnet.

Dans une coupe de vieux Sèvre
Faites-là fondre un tantinet
Avec ces mots doux à la lèvre
Où Benserade butinait.

Saupoudrez de rimes parfaites,
Poivre, piments, cannelle, et faites
Un trait précieux pour la fin:

Vous aurez une chose exquise,
Un plat de petite marquise,
– Bon pour les gens qui n’ont pas faim.

Q8 – T15 – octo  – s sur s

Crapuloz, mon ami d’enfance, — 1886 (24)

Sylvain Dorabel Equevilles

Crapuloz

Crapuloz, mon ami d’enfance,
Avec plaisir, je te fumais,
Quand ma lèvre sentait le rance
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Avec toi, bien souvent je flâne !
Quel bonheur quand je te fumais,
En vaguant par là, comme un âne,
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Et maintenant, pas de centimes !
Le vieux tabatier, sur mes rimes,
Crache un dédain que je connais.

Je n’ai pas le sou, pas de graisse,
Je passe comme un chien en laisse,
Cher Crapuloz, que je t’aimais !

Q38  T15  octo  refrain : v 4-8-14 Le crapulos est un cigare très bon marché, d’après le TLF

On peut interroger l’histoire, — 1886 (20)

Evariste Carrance in  Littérature Contemporaine, 36

Le siècle de Victor Hugo
Proclamons-le hautement, proclamons dans la chute et dans la défaite, ce siècle est le plus grand des siècles – V.H.

On peut interroger l’histoire,
Aucun siècle n’a projeté
Plus de grandeur et plus de gloire,
Plus de justice et de clarté!

Il grave au temple de mémoire
La sainte et pure égalité;
Il commence dans la victoire,
Et finit dans la liberté!

Ce siècle à la marque profonde
Inscrit sur la carte du monde
Ses merveilles et ses grandeurs;

A travers ses rudes tempêtes
Il a fait jaillir des poètes,
Comme de nouveaux rédempteurs!

Q8 – T15 – octo

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande, — 1886 (19)

D. Mon Les Bengalis


Villégiature

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande,
Où l’églantine pâle et le volubilis
Accrochent leurs bouquets aux sombres tamaris,
Semble, par le soleil, une fraîche oasis.

Un ânon va, très fier de sa riche provende,
Portant l’enfant qui rit, lui parle et le gourmande,
Juché haut, entre deux grands paniers de marchande,
Emplis et débordant du plus charmant fouillis,

Où bluets, blonds gramens, rustiques pâquerettes
Campanule bleutée aux rustiques fleurettes,
Mauves myosotis, coquelicots ardents

Font un nid d’où surgit une tête mutine,
Que, sous le grand chapeau de paille l’on devine,
Jolie, ayant le rire à ses petites dents.

abbb aaab – T15