Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme — 1873 (37)

– – Joseph AutranSonnets capricieux

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme
Qui, de ses douze chants, assomme l’auditeur !
Sur le ton solennel que tout autre s’endorme,
Toi, tu n’as pas le temps d’assoupir un lecteur.

J’aime ton pas léger, j’aime ta mince forme ;
Ayant si peu de corps, tu n’as pas de lenteur,
On fait un lourd fagot avec le bois de l’orme,
Avec un brin de rose on fait une senteur !

Va donc, cours et reviens, demande à l’hirondelle
Cet essor qui franchit tout le ciel d’un coup d’aile ;
Au fier cheval de Job emprunte son galop

Sois l’éclair, le rayon, le regard, le sourire.
Oh ! et fais en un mot que l’on ne puisse dire :
« Quatorze vers, c’est encor trop ! »

Q8  T15  2m  s sur s

Il est un mot affreux qui sonne à mon oreille — 1873 (34)

Antoine Monnier Eaux fortes et rêves creux : sonnets excentriques et poèmes étranges

Rien

Il est un mot affreux qui sonne à mon oreille
Comme du glas tintant le funéraire bruit,
C’est celui qu’à la fin de sa dernière veille
Jeta le vieux Faustus aux souffles de la nuit.

C’est celui que Goya grava comme légende
Au-dessous d’un fantôme entr’ouvrant son tombeau,
Semblable au ‘jamais plus !’ qu’après chaque demande
Poë fait répéter le sinistre corbeau.

C’est lui qu’ont prononcé les esprits des ténèbres,
Quand se sont accomplis les désastres célèbres ;
C’est par lui que tout fut, et le mal et le bien ;

C’est lui qui sert d’enseigne à l’humaine misère ;
C’est lui qui peut donner le vertige à la terre ;
Lui qui ronge le monde et cependant est : RIEN !

Q59  T15

Mousse: il est donc marin, ton père? …— 1873 (30)

Tristan Corbière   Les Amours jaunes

Le mousse

Mousse: il est donc marin, ton père? …
– Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d’avec ma mère,
Il a couché dans les brisants …

Maman lui garde au cimetière
Une tombe – et rien dedans. –
C’est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.

Deux petits. – Alors, sur la plage,
Rien n’est revenu du naufrage? …
– Son garde-pipe et son sabot …

La mère pleure, le dimanche,
Pour repos … Moi: j’ai ma revanche
Quand je serai grand – matelot! –

Baie des Trépassés.

Q8 – T15 – octo

Sables de vieux os – le flot râle — 1873 (29)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Paysage mauvais

Sables de vieux os – le flot râle
Des glas: crevant bruit sur bruit …
– Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.

– Calme de peste, où la fièvre
Cuit … Le follet damné languit.
– Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit …

– La Lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups … – Les crapauds,

Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques,
Les champignons, leurs escabeaux.

Marais de Guérande. – Avril

Q38 – T15 – octo

À grands coups d’avirons de douze pieds, tu rames — 1873 (28)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

A un Juvénal de lait
Incipe , parve puer ,  risu cognoscere  ...

À grands coups d’avirons de douze pieds, tu rames
En vers … et contre tout – Hommes, auvergnats, femmes. –
Tu n’as pas vu l’endroit et tu cherches l’envers.
Jeune renard en chasse … ils sont trop verts – tes vers.

C’est le vers solitaire . – On le purge. – Ces Dames
Sont le remède. Après tu feras de tes nerfs
Des cordes-à-boyau; quand, guitares sans âmes,
Les vers te reviendront déchantés et soufferts.

Hystérique à rebours, ta Muse est trop superbe,
Petit cochon de lait, qui n’as goûté qu’en herbe,
L’âcre saveur du fruit encore défendu.

Plus tard, tu colleras sur papier tes pensées,
Fleurs d’herboriste, mais, autrefois ramassées …
Quand il faisait beau temps au paradis perdu.

Q2 – T15

Tiens non! j’attendrai tranquille, — 1873 (27)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Toit

Tiens non! j’attendrai tranquille,
Planté sous le toit,
Qu’il me tombe quelque tuile,
Souvenir de Toi!

J’ai tondu l’herbe, je lèche
La pierre, – altéré
Comme la Colique-sèche
De Miserere
!

Je crèverai – Dieu me damne! –
Ton tympan ou la peau d’âne
De mon bon tambour!

Dans ton boîtier, ô Fenêtre!
Calme et pure, gît peut-être …
…………………………………
Un vieux monsieur sourd!

Q59 – T15 – 2m (octo; 5s: v.2, v.4 ,v.6, v.8, v.11, v.15) – La ligne de points en fait un sonnet de quinze vers.

Ô croisée ensommeillée, — 1873 (26)

Tristan Corbière   Les Amours jaunes

Sonnet de nuit

Ô croisée ensommeillée,
Dure à mes trente-six morts!
Vitre en diamant, éraillée
Par mes atroces accords!

Herse hérissant rouillée
Tes crocs où je pends et mords!
Oubliette verrouillée
Qui me renferme … dehors!

Pour Toi, Bourreau que j’encense,
L’amour n’est donc que vengeance? …
Ton balcon: gril à braiser? …

Ton col: collier de garotte? …
Eh bien! ouvre, Iscariote,
Ton judas pour un baiser!

Q8 – T15  7s

Et vous viendrez alors, imbécile caillette, — 1873 (25)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Bonsoir

Et vous viendrez alors, imbécile caillette,
Taper dans ce miroir clignant qui se paillette
D’un éclis d’or, accroc de l’astre jaune, éteint
Vous verrez un bijou dans cet éclat de tain.

Vous viendrez à cet homme, à son reflet mièvre
Sans chaleur … Mais, au jour qu’il dardait la fièvre,
Vous n’avez rien senti, vous qui – midi passé
Tombez dans ce rayon tombant qu’il a laissé.

Lui ne vous connaît plus, Vous, l’Ombre déjà vue,
Vous qu’il avait couchée en son ciel toute nue,
Quand il était un Dieu! … Tout cela – n’en faut plus. –

Croyez – Mais lui n’a plus ce mirage qui leurre.
Pleurez. – Mais il n’a plus cette corde qui pleure.
Ses chants … – C’était d’un autre; il ne les a pas lus.

Q55 – T15 exemple (rare) de sonnet non autonome : il suppose qu’on a lu le sonnet précédent

Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève! — 1873 (24)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Déclin

Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève!
Âpre à la vie Ô gué ! … et si doux en son rêve.
Comme il portait sa tête ou la couchait gaîment!
Hume-vent à l’amour! … qu’il passait tristement.

Oh comme il était Rien! … – Aujourd’hui, sans rancune
Il a vu lui sourire, au retour, la Fortune;
Lui ne sourira plus que d’autrefois; il sait
Combien tout cela coûte et comment ça se fait.

Son coeur a pris du ventre et dit bonjour en prose.
Il est coté fort cher… ce Dieu c’est quelque chose;
Il ne va plus les mains dans les poches tout nu …

Dans sa gloire qu’il porte en paletot funèbre,
Vous le reconnaîtrez fini, banal, célèbre …
Vous le reconnaîtrez, alors, cet inconnu.

Q55 – T15

J’ai vu le soleil dur contre les touffes — 1873 (23)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Duel aux camélias

J’ai vu le soleil dur contre les touffes
Ferrailler. – J’ai vu deux fers soleiller,
Deux fers qui faisaient des parades bouffes;
Des merles en noir regardaient briller.

Un monsieur en linge arrangeait sa manche;
Blanc, il me semblait un gros camélia;
Une autre fleur rose était sur la branche,
Rose comme … Et puis un fleuret plia.

– Je vois rouge… Ah oui! c’est juste: on s’égorge –
… Un camélia blanc – là – comme Sa gorge …
Un camélia jaune, – ici – tout mâché …

Amour mort, tombé de ma boutonnière.
– À moi, plaie ouverte et fleur printanière!
Camélia vivant, de sang panaché!
Veneris Dies 13 ***

Q59 – T15 – tara