Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Après ses longs travaux du jour, monsieur Homais, — 1872 (17)

Album zutique


Soleil couchant

Après ses longs travaux du jour, monsieur Homais,
Pharmacien-droguiste, est au seuil de sa porte
Pour respirer l’air pur qu’un vent d’ouest apporte.
Il rêve, son esprit ne reposant jamais.

Et, par-delà la lande où toute graine avorte,
Avide de verdure et de spectacles frais,
Son regard ému plonge aux vases du marais
Où fleurit la sangsue aimable sous l’eau morte.

Il bénit la Nature! – Et, comme le soleil,
Qui se couche, rougeoie et fait, tison vermeil,
Loucher sinistrement la prunelle des bouges,

Le bon Homais croit voir, son oeil s’arrêtant sur
Des nuages pourprés parmi le glauque azur,
Un céleste bocal peuplé de poissons rouges…

Q16 – T15

Obscur et froncé comme un oeillet violet, — 1872 (14)

Album zutique

Rimbaud et Verlaine

L’idole.

Obscur et froncé comme un oeillet violet,
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la rampe douce
Des fesses blanches jusqu’au bord de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré sous l’autan cruel qui les repousse
A travers de petits caillots de marne rousse,
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.

Mon rêve s’aboucha souvent à sa ventouse;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C’est l’olive pâmée, et la flûte caline,
Le tube d’où descend la céleste praline,
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos.

Q15 – T15

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles, — 1872 (9)

Rimbaud


Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glacier fiers, rois blancs, frissons d’ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Q16 – T15

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées; — 1872 (7)

Rimbaud

Ma Bohème
(fantaisie)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J’allais sous le ciel, Muse! et j’étais ton féal;
Oh! là là! Que d’amours splendides j’ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ce bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

Q63 – T15

Dans la salle à manger brune, que parfumait — 1872 (6)

Rimbaud

La maline

Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise.

En mangeant, j’écoutais l’horloge, – heureux et coi.
La cuisine s’ouvrit avec une bouffée,
– Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait , malinement coiffée.

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elles arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser;
– Puis, comme ça, – bien sûr, pour avoir un baiser, –
Tout bas: « Sens donc: j’ai pris une froid sur la joue … »

Q59 – T15

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines — 1872 (5)

Rimbaud

Au Cabaret-Vert

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert: je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte: je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Q59 – T15

C’est un trou de verdure où chante une rivière 1872 (4)

Rimbaud

Le dormeur du val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Q59 – T15

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize, — 1872 (2)

Rimbaud

 » … Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc….

– Paul de Cassagnac. Le Pays

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité;

Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont les cœurs sautaient d’amour sous les haillons,
Ô soldats que la Mort a semé, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons;

Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie,
Ô millions de Christs aux yeux sombres et doux;

Nous vous laissions dormir avec la République,
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous.
Fait à Mazas, 3 septembre 1870

Q59 – T15

C’était un pied mignon, – pied de vierge, sans doute, – — 1871 (5)

Joséphin Soulary


Des pas sur le sable

C’était un pied mignon, – pied de vierge, sans doute, –
Mutin, cambré, naïf, se posant finement;
Pour trouver Cendrillon au bout, le roi Charmant
Aurait suivi ce pied cent ans, de route en route.

Un pied! non; c’en était la marque seulement.
 » Je verrai Cendrillon, » dis-je; et, coûte que coûte,
Me voilà sur sa trace; et chaque pas ajoute
A la fée idéale un nouvel ornement.

Je suivis cette empreinte, ainsi, durant deux lieues,
Tant qu’enfin j’arrivai près du lac aux eaux bleues:
Le joli pied s’était arrêté juste au bord.

De retour, nul indice; – à droite, à gauche, impasse!
Cendrillon s’était-elle envolée en l’espace?
Le lac profond dormait, muet comme la mort!

Q16 – T15