Archives de catégorie : T15 – ccd eed

C’est le nouveau théâtre, humains, réel, étrange ; — 1869 (33)

Arsène Houssaye in L’Artiste

Portrait D’Alexandre Dumas II

C’est le nouveau théâtre, humain, réel, étrange ;
Marguerite Gautier coudoie Ophélia,
Le cœur saigne en raillant, l’amour est un échange
De deux corruptions et d’un camélia.

Le demi-monde s’ouvre à la baronne d’Ange,
Diane avec un lys fume un régalia ;
Le masque du démon est le masque de l’ange,
Pendant que des deux mains applaudit Lélia.

Ce n’est plus Dumas I ; ce n’est plus l’ancien drame,
Le romantisme avec son vertige et sa trame,
Ses rois, ses chevaliers, son idéalité.

Non : c’est une autre vie et c’est une autre source,
La comédie au bois, au salon, à la bourse,
Plus tragique peut-être en sa réalité.

Q8  T15

Voyant qu’aujourd’hui les marchands — 1869 (32)

Louis de Veyrières Monographie du sonnet

Un improvisateur, de dix-neuf à vingt ans, déjà célèbre, heureux héritier d’Eugène de Pradel, nous fournira le second exemple par le sonnet suivant, composé dans une réunion au collège de Roanne, le 4 avril 1865.

Alfred Besse

La Loire

Voyant qu’aujourd’hui les marchands
Ont le pas même sur les princes,
Que les lauriers les plus brillants
Sont pour les cerveaux les plus minces,

Que des critiques insolents,
A Paris narguant leurs provinces,
Pour briser les plus beaux talents,
De leurs plumes se font des pinces ;

La sainte Poésie en pleurs
S’est dit : « cherchons des cieux meilleurs,
Où l’on puisse rêver la gloire ».

Puis, implorant votre concours,
Elle vient abriter ses jours
Sur les bords fleuris de la Loire.

Q8  T15  octo

Il est un amour saint comme l’amour d’un ange, — 1869 (31)

(Louis de Veyrières) Monographie du sonnet

Delphis de la Cour

L’amour maternel

Il est un amour saint comme l’amour d’un ange,
Un amour dont le ciel ne peut être jaloux,
Et qui change à son gré, par un miracle étrange,
Les louves en brebis et les brebis en loups.

Il donne tout sans rien demander en échange,
Il nous berce du cœur, enfant, sur ses genoux ;
C’est l’amour maternel, amour pur, sans mélange,
Un autre ange gardien que Dieu mit près de nous.

Les fils sont oublieux : quand la vie est amère,
Qu’ils viennent se jeter dans les bras de leur mère,
Des liens de son cœur rien ne brise les nœuds ;

Elle ne craint la mort que pour ces fils qu’elle aime,
Elle sait qu’on survit ; la mort pour elle-même
N’est qu’un prolongement de l’existence en eux.

Q8  T15

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle. — 1869 (27)

Edouard Pailleron Amours et haines

L’hirondelle

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle.
Madame, regardez là-haut cette hirondelle:
Pour la grâce du vol, c’est un oiseau sans pair.
N’est-elle pas jolie, alors que d’un coup d’aile,

Dans les rayures d’ombre et dans le soleil clair,
Elle passe en criant, vive comme l’éclair,
La faucheuse d’azur? et dirait-on pas d’elle
La navette de jais d’un tisserand de l’air?

Votre oeil aime à la suivre où son vol s’évertue;
Vous croyez qu’elle joue? Hélas! non, elle tue!
Sa souplesse et un charme et son charme un moyen;

Dieu la fit pour séduire et pour tuer ensemble…
Sauriez-vous d’aventure à qui l’oiseau ressemble?
Moi, je ne le sais pas, si vous n’en savez rien.

aaba bbab – T15

Pour le sonnet, huit ou dix pieds ! — 1869 (23)

Louis Veuillot Les couleuvres

Le Sonnet

Pour le sonnet, huit ou dix pieds !
A douze, il prend des ampleurs lourdes ;
Le remplissage y met ses bourdes,
Vain bâton des estropiés.

Que de fléaux multipliés !
Les longueurs, les emphases sourdes,
Les adjectifs creux comme gourdes,
Chargent les vers humiliés.

Les douze pieds, c’est la charrette.
Pégase regimbe, il s’arrête,
Voyant qu’il faut prendre le pas.

Libre de cette peur fatale,
Sur huit pieds, fringant, il détale,
Et s’il crève, il ne traîne pas.

Q15 – T15 – octo – s sur s

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit : — 1869 (22)

Louis Veuillot Les couleuvres

Intermède

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit :
“ Alcippe, il est donc vrai ! par un furtif commerce,
A transgresser la loi ton faible esprit s’exerce,
Et fait faire au sonnet un métier interdit ? ”

Boileau, chez moi, n’est pas de ces gens sans crédit.
Je donnai mes raisons, et ce fut une averse.
Il reprit : “ Le chemin où toujours chacun verse,
Et le chemin  mauvais, non le chemin hardi.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème …
Soit ! Mais n’en tire pas la conséquence extrême
Qu’un poème en sonnets puisse être sans défaut.

C’est ainsi que l’on crée aux temps de décadence :

D’un monstre avec effort accouche l’impuissance ! ”
Il se tut. Je changeai de rythme, assez penaud.

Q15 – T15 – s sur s

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas, — 1869 (19)

Louis Veuillot Les couleuvres

Sévéra

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas,
Elle maintient ses droits au rang de vierge sage :
Pour le monde et pour Dieu, son âme et son  corsage,
Tout est réglé comme au compas.

Elle est aussi fort bien tenue en ses repas ;
Autant que ses discours, austère est son potage.
Pas plus d’amour au cœur que de fard au visage !
On la dit chrétienne. – Non pas !

De tout point elle est rèche, elle est stricte, elle est chiche ;
En fait de poésie, elle aime l’acrostiche ;
En fait d’art, les fleurs en papier.

A peindre un tel objet la couleur s’embarrasse :
Il faudrait des vers froids et nets comme la glace,
Durs et coupants comme l’acier.

Q15 – T15 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

A toute vapeur ! Les futaies, — 1869 (17)

Louis Veuillot Les couleuvres

Grande vitesse

A toute vapeur ! Les futaies,
Les blés, les herbes, les maisons
Prennent le vol ; les horizons
S’effilent en changeantes raies.

Vertes, frétillantes et gaies,
Et balançant leurs frondaisons,
Comme un serpent dans les gazons
Se perdent en zigzag les haies.

Vergers, châteaux, aridités,
Fleuves, collines et cités
S’en vont de pareille furie.

Mirage prompt à t’effacer,
Tu nous vois plus vite passer,
Plus vaines ombres de la vie !

Q15 – T15 – octo

Donc, cher lecteur, on te propose, — 1869 (15)

Louis Veuillot Les couleuvres

Donc,  cher lecteur, on te propose,
Cette trousse de petits vers.
Tu peux le prendre de travers ;
Il faut oser un peu. L’on ose.

Tout ne va pas à toute chose :
Divers gibiers, engins divers.
A la chasse au rien par les airs,
Pourquoi du bronze, ou de la prose ?

Un quatrain d’où sort le sifflet,
L’angle affilé d’un triolet
Opèrent mieux que gros chapitres.

Ils entrent mieux dans les cerveaux :
Prends, va ! Ce sont petits couteaux,
Bon pour desserrer les huîtres.

Q15 – T15 -octo

L’homme qui sait dormir en wagon, je l’honore. — 1869 (14)

Louis Veuillot Les couleuvres

Préface

L’homme qui sait dormir en wagon, je l’honore.
Il est doué ! Dormir, échapper aux benêts,
Le profit est plus franc, et je le reconnais,
Que d’un œil engourdi voir frissonner l’aurore .

– Ce n’est pas cet air là qu’autrefois je sonnais ;
Mais du point où je suis, l’horizon se dédore ! –
Bref, que faire éveillé ? Qui bâille, qui pérore,
Qui rêve vingt pour cent; moi, je fais des sonnets.

Repassant mes chemins, revoyant mille choses,
Je fais sonnets de tout, de l’épine et des roses.
Or, j’en ai mis à part un bon tas, Dieu merci.

Ils sont divers ; l’un rit, l’autre siffle ou soupire.
Je trouve à la plupart quelque tort ; mais le pire,
Tous ne sont pas rimés dru comme celui-ci.

Q16 – T15