Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Toi, dont la vie errante est de charmes remplie, — 1850 (4)

Paul-Eugène Bache Les oranaises

La plume

Toi, dont la vie errante est de charmes remplie,
Plume, faisceau léger d’un duvet blanc et pur,
Dont le tube flexible au moindre vent se plie
Plissant tes fils d’argent de doux reflets d’azur.

Burin que l’oiseau porte en son aile assouplie,
Qui puises son éclat dans un liquide obscur,
Qui façonnes les mots en musique accomplie,
Dont le bec meurtrit mieux que le fer le plus dur ;

Toi, qui nages dans l’or, toi qui rases la terre.
Toi, qui vivant d’amour, de gloire ou de mystère,
Gémis en t’envolant comme un baiser d’adieu ;

Pourquoi n’écris-tu pas, quand de nos mains tu tombes,
Sur la page d’airain qu’on ferme sur nos tombes,
Au lieu d’un nom glacé, ce mot sublime : DIEU !

Q8  T15

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage, — 1850 (3)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Sonnet au lecteur

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage,
Je te disais bonjour à la première page.
Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement;
En vérité, ce siècle est un mauvais moment.

Tout s’en va, les plaisirs et les moeurs d’un autre âge,
Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant,
Rosalinde et Suzon qui me trouvent trop sage,
Lamartine vieilli qui me traite en enfant.

La politique, hélas! voilà notre misère.
Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire.
Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non.

Je veux, quand on m’a lu, qu’on puisse me relire.
Si deux noms, par hasard, s’embrouillent sur ma lyre,
Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.

Q2 – T15

J’ai perdu ma force et ma vie, — 1850 (2)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité
J’ai cru que c’était une amie;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.

Q16 – T15 – octo

Toi, l’amour de mon cœur, l’espoir de ma vieillesse, — 1849 (3)

Alphonse Chaulan L’Arc-en-ciel

Sonnet à …

Toi, l’amour de mon cœur, l’espoir de ma vieillesse,
Etoile solitaire en mon cœur orageux,
Ma Caroline, avec ces poétiques jeux,
Reçois le pur encens de toute ma tendresse.
J’invoque, pour veiller sur ta frêle jeunesse,
Ta noble mère, assise au séjour des heureux ;
Ah ! puisse, cher enfant, notre zèle et nos vœux,
Vers un port de bonheur diriger ta faiblesse !
Un jour, lorsque le temps et la réflexion
Chasseront les vapeurs de tes illusions,
A mes mânes errants tu diras je l’espère :
Ami, tu disais vrai : le monde avec ses fleurs,
Ses plaisirs d’un moment, ses trompeuses erreurs,
Ne remplace jamais l’amour d’un tendre père.

Q15  T15  sns

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe — 1849 (2)

Baudelaire in La Silhouette

A une jeune saltimbanque

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe
Tu raclais la romance, et qu’en un carrefour,
Pour attirer la foule à voir tes sauts de carpe,
Un enfant scrofuleux tapait sur un  tambour;

Quand tu couvais de l’oeil, en tordant ton écharpe,
Quelque athlète en maillot, Alcide fait au tour,
Qu’admire le bourgeois, que la police écharpe,
Qui porte cent kilogs et t’appelle mamour.

Ta guitare enrouée et ta jupe à paillettes
Etalaient à nos yeux le rêve des poëtes,
La danseuse d’Hoffmann, Esmeralda, Mignon.

Mais déchue à présent, te voilà, ma pauvre ange,
Sultane du trottoir, ramassant dans la fange
L’argent qui doit soûler ton rude compagnon.

Q8 – T15 Paru sous la signature de Privat d’Anglemont ce sonnet à été restitué à Ch.B. par W.T. Bandy.

Souvent je me promène aspirant dans mon âme, — 1849 (1)

Charles PotvinPoésies politiques et élégiaques


La lecture

Souvent je me promène aspirant dans mon âme,
– Vive évocation pleine d’un doux émoi,
Le génie exalté d’un barde au coeur de flamme
Qui revit, palpitant et s’inspirant pour moi;

Je le comprends, lui parle, il répond, je le voi,
Et nous nous échangeons, comme un noble dictame,
Lui, les célestes feux dont sa muse s’enflamme,
Moi, mes rêves d’amour, mon idéal, ma foi.

Je lui parle de vous… rayonnante de grâce,
Vous vous levez ainsi qu’un astre; et tout s’efface,
Le livre est oublié, je ne vois plus que vous;

Je n’ai qu’une pensée, un but qui m’extasie:
Courir en votre coeur puiser ma poésie,
Vous redire un aveu plus ardent et plus doux.

Q10 – T15

Lorsque dans ma route isolée — 1848 (5)

Eugène Debons Chants d’amour

Lorsque dans ma route isolée
Ton regard vient, plein de douceur,
Me montrer la voûte étoilée
Où s’élance mon cœur ;

Tel, se glissant, dans la vallée,
Un joyeux rayon de chaleur
Rend à la fleur étiolée
La vie et le bonheur.

Quand ton sourire, après l’orage,
Dissipe le sombre nuage
Qui me voilait les cieux ;

O blanche étoile de mon âme !
Qu’il m’est doux, guidé par ta flamme,
De baiser tes beaux yeux !

Q8  T15  2m

Aux murs où Jean Calvin brûla Michel Servet, — 1848 (4)

Charles Didier La porte d’ivoire


A Jacques-Imbert Gallois

Le poète :  Mais, monseigneur, il faut bien que je vive
Le Cardinal de Richelieu : je n’en vois pas la nécessité.

Aux murs où Jean Calvin brûla Michel Servet,
D’agio vit et vit bien le banquier magnifique ;
Bien vermeil et bien gras, le bourgeois prolifique
Se fait du doux rien-faire un commode chevet.

Au nom du plébéien qui souffrait, qui sauvait,
Le prédicant bavard du Dieu vivant trafique,
Et, damnant son prochain d’une voix séraphique,
Il mange bien, boit mieux et dort sur un duvet.

Le danseur vit du bal, le docteur de la goutte,
Sur le char du budget le pédant fait la route,
Comme un singe autrefois le fit sur un dauphin.

La courtisane vit de ses banales veilles,
L’espion est payé pour avoir des oreilles,
Le parasite dîne …. et le poëte a faim.

Genève, 1827

Q15  T15

Maintenant la vapeur est à l’ordre du jour. — 1848 (3)

Jules VernePremier cahier

La vapeur

Maintenant la vapeur est à l’ordre du jour.
Tout marche par son aide! Est-ce un bien pour le monde?
Pour bien choisir sur terre où toute chose abonde,
Faut-il donc se hâter, lorsqu’on en fait le tour?

On vole désormais sur la terre et sur l’onde;
On fait sans y penser l’aller et le retour;
On singe le soleil qui, lorsqu’il fait sa ronde,
Mesure en une nuit le céleste séjour.

Ce ne peut-être un bien que dans ces temps de guerre,
Où vont s’anéantir ces hommes qui naguère
Marchaient contre la mort san reproche et sans peur,

Si trompant l’ennemi par sa subtile ruse,
Refaisant des guerriers autant que l’on en use,
L’amour toutes les nuits marchait à la vapeur!

Q17 – T15 s. pris dans les  poésies inédites

Vous qui lisez mes vers, et, d’une oreille sage, — 1848 (2)

Camille Esménard du MazetPoésies de Pétrarque

1

Vous qui lisez mes vers, et, d’une oreille sage,
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Rappelez-vous qu’alors j’étais dans le jeune âge,
Que je suis revenu de ma trop douce erreur.

Du trouble à la raison, des pleurs à l’espérance,
Si d’un style inégal je passe tour à tour,
Sûr d’être pardonné, j’invoque l’indulgence
De ceux qui parmi vous aurons connu l’amour.

Je sais bien qu’aujourd’hui que le regret m’accable,
Pourquoi du monde entier je fus long-temps la fable:
Oui, je le sais, de moi je n’ai plus qu’à rougir.

Je reconnais encore, après tant de folie,
Que tout ce qui nous plaît et charme notre vie
Est un songe trompeur qu’un instant voit finir.

Q59 – T15 –  (Pétrarque, rvf 1)