Archives de catégorie : T23 – cdc dee

Il n’y avait que des troncs déchirés, — 1944 (2)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

VIII

Il n’y avait que des troncs déchirés,
que couronnaient des vols de corbeaux ivres,
et le château était couleur de givre,
ce soir de fer où je m’y présentai.

Je n’avais plus avec moi ni mes livres,
ni ma compagne, l’âme, et ses péchés,
ni cette enfant qui tant rêvait de vivre,
quand je l’avais sur terre rencontrée.

Les murs étaient blanchis au lait de sphynge
et les dalles rougies au sang d’Orphée.
Des mains sans grâce avaient tendu des linges

aux fenêtre borgnes comme des fées.
La scène était prête pour des acteurs
fous et cruels à force de bonheur.

Q17 – T23 – déca

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil — 1938 (3)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Dandysme

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil
Qu’il avait entrevue un jour chez la comtesse:
Un indien avec un soleil sur la fesse
Gauche et que regardait un serpent de profil.

Superbement campé, un tout nu sans coutil,
Ce sauvage tirait de l’arc avec adresse
Si bien qu’il envoyait – tout juste à son adresse –
La flèche dans l’œil droit du grand python subtil.

Et cet enfant rêveur qui se curait les ongles,
Dandy futur, était scandalisé de voir
L’anthropophage nu montrant son cul aux jungles:

Mon père, pensait-il, se mêt en habit noir.
Quand il fut plus âgé, ce Dandy sur l’échine
De cet indien mit un peu d’encre de Chine.

1891?

Q15 – T23

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice, — 1937 (3)

Raymond Queneau in Oeuvres poétiques

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice,
on en fit en ‘quatorze un très bel hôpital;
ma première maitress’ – d’école – avait un fils
qu’elle fouettait bien fort: il pleurait, l’animal!
J’étais terrorisé à la vu’ de ces fesses
rougissant sous les coups savamment appliqués.
(Je joins à ce souv’nir, ceci de même espèce:
je surveillais ma mère allant aux cabinets.)
Et voici pourquoi, grand, j’eus quelque préférences:
il fallut convenir que c’était maladie,
je dus avoir recours aux progrès de la science
pour me débarrasser de certaines manies
(je n’dirai pas ici l’horreur de mes complexes;
j’réserve pour plus tard cette question complexe).

ababcdcdefefgg – = Q59  T23 – sns – disposition de rimes ‘shakespearienne’

Oh! ces nuages gris, sans fin, gonflés de grêle, — 1932 (1)

Alberte SolomiacLe mur de saphir

Averse

Oh! ces nuages gris, sans fin, gonflés de grêle,
Tout prêts à mutiler mes beaux carrés de lis,
Tout prêts à les cribler de leur mitraille grêle
Avec le tintement de leur sonnaille frêle.

C’en est fait! La nuée a crevé! Plus jolis
Les toits rouges ont pris des gris de tourterelle.
L’abeille a fui le cœur des frais volubilis.
Le paysage  est flou, les tendres verts salis.

Perverse avec fureur l’averse s’est ruée!
Au pied de mes lis purs des miroirs limoneux
Ne reflètent plus que leur grâce polluée.

L’enclos n’est qu’une flaque où noir, fuligineux
L’aspect du ciel s’enlise. Oh! par pitié! Qu’il fuse
De l’or, du bleu, trouant cette clarté diffuse!

abaa babb – T23

Jeune apprenti, parfois d’un geste négligent, — 1927 (2)

Roger Vitrac Cruautés de la nuit

Jeune apprenti ….
A Henri de Régnier

Jeune apprenti, parfois d’un geste négligent,
Je délaisse l’argile et le tour, et je rêve
De ciseler dans l’or un Bacchus qui soulève
Sur ses bras incurvés une coupe d’argent.

Mon vieux maître qui sait fuseler une amphore
Et sur la glaise rouge animer les dieux noirs
Devine et, souriant à mes faibles espoirs,
Caresse de la main le vase qu’il décore.

Il sait que je m’adosse aux arbres du hallier
Et que ma flûte est douce aux faunes de Sicile.
Aussi m’a-t-il promis son rustique atelier.

… Et je n’assouplirai sous mon doigt malhabile
Lorsque la terre fine aura détruit ses os
Qu’un frêle vase orné d’acanthes et d’oiseaux.

Q63 – T23

Les fruits à la saveur de sable — 1923 (3)

AragonLe mouvement perpétuel


Un air embaumé

Les fruits à la saveur de sable
Les oiseaux qui n’ont pas de nom
Les chevaux peints comme un pennon
Et l’Amour nu mais incassable

Soumis à l’unique canon
De cet esprit changeant qui sable
Aux quinquets du temps haïssable
Le champagne clair du clairon

Chantent deux mots panégyriques
Du beau ravisseur de secrets
Que répète l’écho lyrique

Sur la tombe Mille regrets
Où dort dans un tuf mercenaire
Mon sade Orphée Apollinaire

Q15 – T23 – octo

Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume — 1921 (2)

Roger VitracLe faune noir – in Des-lyre (ed.1964)


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Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume
Bouche au collier de larmes Forgeron
Que l’ombre de ton bras lève la femme plume
Et que ton bras lui plante une harpe en plein front

Et qu’elle chante avec l’écharpe de bitume
Hyperbole des cils, gril où nous rôtirons
Sous l’arbre ensanglanté dont elle se parfume
Et nos poumons légers sont là pour le clairon

Ah nature insensible à l’étincelle mâle
Fille du vin Elle est jolie au bord de l’eau
A ses dents tu peux voir si son squelette est pâle

Mais si tu veux passer par les coups de marteau
D’un poing fêlé comme le cœur de l’étrangère
Frappe Le Forgeron est bien en chair ma chère

Q8 – T23

Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère — 1920 (12)

Paul ValéryAlbum de vers anciens

Valvins

Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère
Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es
Dans la fluide yole à jamais littéraire
Traînant quelques soleils ardemment situés.

Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse
Emue, ou pressentant l’après-midi chanté,
Selon que le grand bois trempe une longue tresse,
Et mélange ta voile au meilleur de l’été.

Mais toujours près de toi que le silence livre
Aux cris multipliés de tout le brut azur ,
L’ombre de quelque page éparse d’aucun livre

Tremble, reflet de voile vagabonde sur
La poudreuse peau de la rivière verte
Parmi le long regard de la Seine entr’ouverte.

Q59 – T23 – on note une préposition comme rime du vers 12