Archives de catégorie : T30 – cdd cee

Sur l’éblouissement splendide dont la flore — 1893 (1)

– Comte Robert de Montesquiou-Fezensac Le Chef des odeurs suaves

Nymphe .
Une peinture de M. Gustave Moreau

Sur l’éblouissement splendide dont la flore
Marine aux anguleux bocages en corail
Compose la rousseur éparse de vitrail
Où sa blancheur fluide incessamment s’éplore ….

Entre mille clameurs égoïstes, sérail
De tons près d’éclater, de gemmes près d’éclore,
De fleurs près de vibrer, dont le vif attirail
Redoute de sa chair la splendeur incolore ….

O l’inexpérience aimable du danger!
Ruisselante, lactée, astrale, et vers qui grimpe
Un frisson violet de fleurs comme une guimpe,

Galatéa sommeille en un rêve étranger
Sous l’adoration triste dont l’enveloppe
L’unique fixité songeuse du Cyclope.

Q17 – T30

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Sois belle purement comme un vase sacré, — 1991 (26)

Paul Valéry in L’ermitage

Splendor

Sois belle purement comme un vase sacré,
Telle un ciboire d’or encensé sous du dôme,
Et garde la splendeur comme un trésor secret
Très loin du baiser fauve et flétrisseur de l’homme !

Car, c’est Toi le vivant et le rare Cristal
Longtemps élaboré par les antiques races,
L’émeraude limpide et sainte, le Graal !
Que veillent les guerriers aux mystiques cuirasses !

Oh … sois de marbre ! sois d’un métal froid et clair,
Et, parmi la résine aromate brûlée,
Brille lointaine et pâle, o Reine Immaculée !

N’es-tu pas le Calice adorable de Chair
Où l’artiste-blanc prêtre à la magique phrase –
Boit à longs traits le vin suprême de l’Extase ?

Q59  T30

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse, — 1890 (26)

G. de Viney in L’Aurore

Mots carrés syllabiques

Un jour au cabaret, dans un moment d’ivresse,
L’ivrogne Mathurin en se disputant fort,
A son ami Denis cherchait dernier sans cesse
Armé de son couteau pour lui donner la mort.

Il fond sur lui soudain et fortement le blesse ;
Arrêté sur le champ en prison il s’endort.
Ensuite condamné, pour la Nouvelle, en laisse,
On le conduit ; mais lui mécontent de son sort,

S’évade dans le bois et rencontre un deuxième
Que l’on nomme premier. de cet homme méchant
Il craint la dent cruelle, et veut, en se cachant

Echapper à la mort et se sauver quand même …
Plus loin un caïman, au milieu des roseaux,
Le happant en passant, l’entraîne au fond des eaux.

Q8  T30

Votre femme chantait délicieusement — 1889 (30)

Verlaine Dédicaces

A Adrien Remacle

Votre femme chantait délicieusement
De très anciens vers miens par vous mise en musique,
– Vers sans grande porté idéale ou physique,
Mais que la voix était exquise et l’air charmant !

Si bien que j’entrais dans un grand étonnement,
Moi le lassé qui rêve d’être un ironique,
D’ainsi revivre sensuel et platonique.
Quoi, sensuel ? Vraiment ? Platonique ? Comment ?

Ah ! quand jeune j’étais ainsi ! Tiens, tiens. Possible,
Après tout. Oui, rêvasseur et mauvais sujet.
Ma tête alors désirait et ma chair songeait.

Mais j’admire, moi le blasé (mais l’impassible,
Non !) j’admire combien la sympathie et l’art
Evoquèrent l’enfant-presque au quasi-vieillard.

Q15  T30

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis, — 1889 (22)

Verlaine Dédicaces

A François Coppée

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Oranges, parchemins rares, – et les gantières ! –
Et nos « débuts », et nos verves primesautières,
De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix,

Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits
Evénements et les catastrophes altières,
Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières,
N’étant encore pas mort de la mort d’Athys ?

Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre
Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois,
Vous goûtez l’immortalité sur des pavois,

Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et si je n’en bois pas plus c’est pour des raisons.

Q15  T30

Le ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement, — 1889 (17)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en blanc

Le ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement,
Sans trêve, en flocons blancs, la neige tombe, tombe
Dans le grand cimetière hagard, où chaque tombe
Disparait sous le morne ensevelissement.

C’est alors que, blafards, hideux, formant cortège ,
Avec un effroyable et grêle cliquetis ,
Entrechoquant leurs os pâles, grands et petits,
Les blêmes trépassés se dressent dans la neige ,

Et s’en vont vers le vide horizon sépulcral,
Détachant leurs blancheurs livides de squelettes,
Mystérieusement, sur les neiges muettes ,

Tandis que, sous l’horreur d’un demi-jour spectral,
De vagues oiseaux blancs glissent de branche en branche. . .
Et cependant le ciel est blanc, la terre est blanche.

Q63  T30

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes, — 1889 (16)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en vert

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes,
Ëmeraude , la fée au sourire pervers
Est debout, près de la source verte aux flots pers ,
Dans la forêt de jaspe aux fraîcheurs murmurantes.

Et sur le gazon vert que parfument les menthes ,
Le soleil , avec des rayonnements d’ors verts ,
Découpe sa dentelle adorable à travers
L’élan capricieux des feuilles frissonnantes.

Et toute la forêt éblouissante étreint ,
De l’intense reflet de sa verdeur divine ,
La verte fée aux yeux pâles d’algue marine.

Mais elle alors, ainsi qu’un rêve qui s’éteint.
S’évapore; et l’on voit, sous la charmille ouverte,
Flotter une nuée indescriptible et verte !

Q15  T30

L’abdomen prépotent des bénignes cornues — 1888 (20)

– ? Le Décadent

« Un sonnet d’Arthur Rimbaud »

Les cornues
Les cornues au long des tablettes, les petites larmes de grès blanc, blanches comme les plus blancs des corps de femmes ….

L’abdomen prépotent des bénignes cornues
Se ballonne tel un ventre de femme enceinte.
Es-dressoirs, elles ont comme des airs de sainte
Procession vers quel Bondieu? de plages nues …

Et leur Idole, à ces point du tout ingénues
Pèlerines  c’est des Gloires jamais atteintes,
O la Science! Phare inaccessible …
………………………………
……………………………..

Mais c’est dans l’âpre Etna de vos nuits, ô Cornues!
Que mûrit le foetus des Demains triomphants! … –
O Vulve! De leur bec tel des sexes d’enfant

Et volute du Flanc telles les lignes nues
Du pur Torse de l’Eve aux rigidités lisses:
S de leur col fluet comme de jeunes cuisses!

Ce miraculeux sonnet, si fâcheusement mutilé, est d’une époque incertaine. Disons cependant que de bons juges l’estiment, en raison du ton général de la pièce et de sa facture tourmentée, contemporain des dernières Illuminations – N.D.L.R.

abba ab..– T30

Tu nous dindonneras encor plus d’une fois, — 1888 (1)

Maurice Donnay Autour du Chat Noir

La Fève

Tu nous dindonneras encor plus d’une fois,
Chère âme, et près des tiens nos moyens sont infimes.
Je me souviens toujours d’un dîner que nous fîmes,
Un beau soir, dans Auteuil, à la porte du Bois.

Et tu faisais de l’oeil à ton voisin d’en face
Et tu faisais du pied à tes deux amoureux
A gauche, à droite, et ton amant était heureux,
Car tu lui souriais tout de même avec grâce.

Ah! tu n’es pas la femme aux sentiments étroits
Qu’une fidélité trop exclusive gêne.
Entre tous, Pierre, Paul, Jean, Jacque, Alphonse, Eugène,

Tu partages ton coeur comme un gâteau des Rois.
Et si grand est ton art, aimable fille d’Eve,
Que chacun se croit seul à posséder la Fève.

Q63 – T30