Archives de catégorie : T30 – cdd cee

Rien n’est plus ennuyeux que ces villes banales — 1879 (5)

Albert GlatignyOeuvres

Rien n’est plus ennuyeux que ces villes banales
Débitant du soleil à faux poids, ou des eaux
Qui doivent éclairer nos muscles et nos os,
Pays d’albums usés, stations hivernales.

Des princes vagabonds illustrent leurs annales;
Les hôteliers hargneux combinent des réseaux,
Et l’on voit fuir au loin la joie et les oiseaux
Devant de laids bourgeois livrés aux saturnales.

Mais qu’un jour le hasard, généreux quelquefois,
Fasse se rencontrer dans ces hôtelleries
Deux amoureux de vers et de rimes fleuries,

Tout s’égaye aussitôt: on voit germer des bois
Sur le trottoir fangeux, et les Muses fidèles
Font taire les bruits épars à grands coups d’ailes.

Q15 – T30

La route est gaie. On est descendu. Les chevaux — 1879 (4)

Albert GlatignyOeuvres

Halte de comédiens

La route est gaie. On est descendu. Les chevaux
Soufflent devant l’auberge. On voit sur la voiture
Des objets singuliers jetés à l’aventure:
Des loques, une pique avec de vieux chapeaux.

Une femme, en riant, écoute les propos
Amoureux d’un grand drôle à la maigre structure;
Le père noble boit et le conducteur jure;
Le village s’émeut de ces profils nouveaux.

En route! et l’on repart. L’un sur l’impériale
Laisse pendre une jambe exagérée. Au loin
Le soleil luit, et l’air est plein d’odeurs de foin.

Destin rêve, à demi couché sur une malle,
Et le Roman Comique au coin de la forêt
Tourne un chemin rapide et creux, et disparaît.

Q15 – T30

O vous qui, dans mes vers écoutez la cadence, — 1877 (3)

Joseph Poulenc, trad.Rimes de Pétrarque

I

O vous qui, dans mes vers écoutez la cadence,
Des soupirs qui servaient d’aliment à mon coeur
Quand je subis l’assaut de ma première erreur,
Aux jours déjà lointains de mon adolescence,

J’attends, sinon pardon, tout au moins indulgence
De celui qui connaît l’amour et son ardeur,
Si, dans mon vain espoir et ma vaine douleur,
Je ne fais que pleurer et peindre ma souffrance.

Mais je vois maintenant combien au peuple entier,
J’ai dû servir longtemps de fable et de risée,
Et je rougis de moi dans ma propre pensée.

Et voilà le profit de mon long rêve altier:
Le repentir, la honte, et l’aveu sans mystère
Que ce qui nous plaît tant n’est qu’un songe éphémère

Q15 – T30 – tr  (Pétrarque rvf 1)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers — 1874 (20)

Léon Duvauchel in L’Artiste

Sur le sonnet
Ma foi, c’est fait ! (Rondeau de Voiture)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers
Trop court pour contenir en entier ma pensée :
Alors, comme une barque au hasard balancée,
Elle chavire ou va, boiteuse, de travers.

Elle voudrait aussi pour bornes l’univers,
Lorsqu’aux mondes lointains elle s’est élancée,
Lorsqu’à la fiction je la vois fiancée,
Qu’elle s’est mis au front des diadèmes verts.

Souvent, hélas ! poète impuissant, infertile,
Le sonnet est trop long, et je n’ai pas rimé
Deux beaux quatrains jouant sur un sujet aimé ;

Et je te fâche alors d’un désir inutile,
Muse, tu ne veux pas ces jours-là m’écouter…
Pourtant j’en ai fait un … presque sans m’en douter !

Q15  T30  s sur s

Vous restez au pays de l’éternel printemps, — 1874 (19)

Dubosc de Pesquidoux in L’Artiste

Vous restez au pays de l’éternel printemps,
Et je fuis le rivage. Adieu mes belles fées !
En chantant avec vous la chanson des Orphées,
J’ai cueilli par vos mains les roses au beau temps.

Vous êtes l’idéal, et versez l’ambroisie
Avec l’urne des dieux aux âmes de vingt ans,
Vous êtes la jeunesse et ses rayons flottants :
La jeunesse ! Je pars, et ne l’ai pas saisie … )

Cependant le vaisseau m’entraîne en pleine mer,
Et comme Desgrieux, dans sa douleur sauvage,
Je dis aux matelots : Retournons au rivage.

Car j’ai mis au tombeau, sur le rivage amer,
Mon amour le plus cher, ma maîtresse adorée :
La jeunesse divine. Adieu, belle éplorée !

Q52  T30

Les coquelicots noirs et les bleuets fanés — 1873 (17)

Charles Cros Le coffret de santal

Avenir

Les coquelicots noirs et les bleuets fanés
Dans le foin capiteux qui réjouit l’étable,
La lettre jaunie où mon aïeul respectable
A mon aïeule fit des serments surannés,

La tabatière où mon grand-oncle a mis le nez,
Le trictrac incrusté sur la petite table
Me ravissent. Ainsi dans un temps supputable
Mes vers vous raviront, vous qui n’êtes pas nés.

Or, je suis très vivant. Le vent qui vient m’envoie
Une odeur d’aubépine en fleur et de lilas,
Le bruit de mes baisers couvre le bruit des glas.

O lecteurs à venir qui vivez dans la joie
Des seize ans, des lilas et des premiers baisers,
Vos amours font jouir mes os décomposés.

Q15 – T30

Absurde et ridicule à force d’être rose, — 1873 (14)

Charles Cros Le coffret de santal

Révolte

Absurde et ridicule à force d’être rose,
A force d’être blanche, à force de cheveux
Blonds, ondés, crêpelés, à force d’avoir bleus
Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsycose.

Absurde, puisqu’on n’en peut pas parler en prose,
Ridicule, puisqu’on n’en a jamais vu deux,
Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux …
Dépasser le réel ainsi, c’est de la pose.

C’en est même obsédant, puisque le vert des bois
Prend un ton d’émeraude impossible en peinture
S’il sert de fond à ces cheveux contre nature.

Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
Qu’on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
Classique admet: les lys, la neige. Ça m’irrite!

Q15 – T30

Devant toi l’Eléphant, dressant en l’air sa trompe, — 1873 (8)

Théophile GautierPoésies libertines

A la Présidente

Devant toi l’Eléphant, dressant en l’air sa trompe,
De son phallus géant décalotte la peau;
Le régiment qui passe agite son drapeau,
Et le foutre jaillit comme par une pompe.

Tu n’as qu’à faire voir, pour qu’un saint se corrompe,
Ta gorge étincelante où tremble un oripeau;
Des cardinaux romains sous son rouge chapeau
Le vit pontifical se raidit tant qu’il rompe.

Les nymphes de Rubens, remuant le jambon,
Livrent des reins moins blancs au flôt qui les emperle
Que toi lorsque ton bain sur ton beau corps déferle.

Ton regard dans les coeurs tombe comme un charbon.
Près de toi je vivrais au fond d’une masure:
Il n’est pas de taudis que ton amour n’azure.

Q15 – T30 – Gautier, jusqu’au bout, est resté fidèle à l’éléphant et à la rime ‘ompe’.

Dans notre chambre, un jour, nos fenêtres bien closes, — 1872 (34)

–  Cabaner

Souhait

Dans notre chambre, un jour, nos fenêtres bien closes,
Si tu veux, tous les deux, seuls, nous allumerons
Deux longs cierges de cire, et nous reposerons,
Sur un riche oreiller mol et blanc, nos deux fronts.

Et sans avoir recours au parfum lourd des roses,
Rien qu’avec les senteurs funèbres que ton corps
Répand lorsque, la nuit, il livre ses trésors,
Nous nous endormirons et nous resterons morts.

Et nous resterons morts avec des chastes poses
Afin qu’on puisse dans les plus pudiques temps,
Raconter notre mort, même aux petits enfants,

Et nous représenter en des apothéoses,
Couchés l’un près de l’autre et sans s’être enlacés,
Comme une épouse et son doux seigneur trépassés.

abbb ab’b’b’ – T30 – y=x (c=a) 

Ainsi qu’aux temps lointains où les Agonothètes* — 1872 (31)

Paul Arène et Alphonse DaudetLe Parnassiculet Contemporain

Theressa

Ainsi qu’aux temps lointains où les Agonothètes*
Provoquaient des jeux grecs les transports convulsifs,
Tu trônes, Theressa dans l’Alcazar massif,
Colonelle, au-dessus d’un océan de têtes.

Salpinx** dont les éclats font cabrer les poètes,
Sous ta lèvre s’agite un Lhomond subversif
Et ton corps sidéral a le frisson lascif
Des jaléas murciens ruisselant de paillettes.

Lors que frémit ta voix – ce cor de cristal pur, –
Dans mon coeur le Démon pousse des cris atroces,
Et fait trève au travail sourd de ses dents féroces.

C’est pourquoi je viens, Moi, qu’habite un Diable impur,
Lâchement enivrer mon âme pécheresse
Dans ton vin capiteux, sonore enchanteresse!
* Les Agonothètes présidaient aux jeux
** Trompette grecque

Q15 – T30