Archives de catégorie : banv

Vous demandez, madame, à ma plume un sonnet? — 1902 (7)

Jean Du Sandillat Près des grands bois

Vous voulez un sonnet?

Vous demandez, madame, à ma plume un sonnet?
Bien grand est son émoi, car je la sens qui tremble,
Mais si vous le voulez, nous le ferons ensemble;
Je saisis le crayon, vous tiendrez le carnet.

« Près de la rose, ainsi soupirait le genêt;
Le Ciel n’a pas créé de fleur qui te ressemble,
En ton sein de parfum à la beauté s’assemble…  »
Mais … vous froissez la page où ma main dessinait!

Ah! vous avez cru voir, sous les traits de la rose
Votre visage .. Eh bien, vous mentir, moi je n’ose,
Oui, du genêt j’avais revêtu le manteau!

Un sonnet, a-t-on dit, égale un long poème,
Ah! Madame, à nous deux nous l’eussions fait si beau!
Vous avez un sonnet… Et j’ai dit « Je vous aime! »

Q15 – T14 – banv – s sur s

Composer un sonnet, quelle folle entreprise! — 1902 (5)

Edouard d’HervilleLes jours et les nuits

A Cypris

Composer un sonnet, quelle folle entreprise!
C’est vouloir conquérir la fameuse toison
Sans l’aide de Médée et sans être Jason.
Mais, pour plaire à Cypris il faut que je m’épuise.

Elle veut un sonnet: j’ai l’âme trop éprise
Pour ne pas obéir à ce charmant démon.
Je veux glisser mes vers ce soir sous l’édredon;
Ce sera pour ma mie une aimable surprise.

Amour, sois-moi propice et dirige mes pas,
Au milieu du chemin ne m’abandonne pas
Et bientôt je pourrai célébrer ma victoire.

Oui déjà, grâce à toi, j’entrevois le bonheur,
Et, fier de ton appui, je chante ici ta gloire.
– Cypris, je touche au but; toucherai-je ton cœur?

Q15 – T14  s sur s

Ceux-ci, las de l’aurore et que tenta la vie, — 1902 (3)

Henri de Régnier La cité des eaux

Dédicace

Ceux-ci, las de l’aurore et que tenta la vie,
S’arrêtent pour jamais sous l’arbre qui leur tend
Sa fleur délicieuse et son fruit éclatant
Et cueillent leur destin à la branche mûrie.

Ceux-là, dans l’onyx dur et que la veine strie,
Après s’être penchés vers l’eau la reflétant,
Sur la pierre vivante et qui déjà l’attend
Gravant le profil vu de leur propre effigie

D’autres n’ont rien cueilli et ricanent dans l’ombre
En arrachant la ronce aux pentes de décombre,
Et leur haine est le fruit de leur obscurité.

Mais vous Maître, certain que toute gloire est nue,
Vous marchiez dans la vie et dans la vérité
Vers l’invisible étoile en vous-même apparue.

(A la Mémoire de Stéphane Mallarmé)

Q15 – T14 – banv

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose — 1900 (17)

Nathalie Clifford-BarneyQuelques portraits-sonnets de femmes

XIV

Je voudrais t’enguirlander de mille phrases enclose
En des rythmes gracieux aussi cambrés que tes pieds,
Talonner les mots de rouge afin que, si ça te plaît,
Tu puisses marcher dessus, haussant ta beauté mi-close.

Qui donc te réveillera, l’âme gaie où se repose
Tout un souriant jadis couronné de menuets,
Où se mêle au decorum plus d’un propos indiscret
Fait pour enrichir celui qui les joliment propose ?

Belle de cour, cheveux poudrés, audaces de clair minuit,
Que le madrigal polit l’avide regard qui luit
Sur les cous frêles et blancs de si mignonnes marquises !

« Oh ! les jeunes gens banals ! » et leurs brusques flirtations !
Qu’ils heurtent brutalement les demi-vierges exquises
D’un passé glorifié par ton imagination !

Q15  T14 – banv –   14s

Je suis comme le riche assuré de pouvoir — 1900 (8)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 52

Je suis comme le riche assuré de pouvoir
Retrouver son trésor en ses coffres fidèles
Et qui n’émousse pas, par de continuelles
Visites, le plaisir qu’il goûte à l’aller voir.

C’est ainsi que l’on trouve, en les voyant échoir
Moins fréquentes dans l’an, les fêtes bien plus belles;
Les pierres d’un collier, lorsqu’il existe en elles
Plus d’espace, se font de même mieux valoir.

En vous gardant pour moi, le Temps est ma cassette,
L’armoire où j’ai fermé mon beau manteau de fête,
Et j’attends le moment de désemprisonner,

Pour l’étaler encor, votre magnificence.
Heureux êtes-vous donc, vous qui pouvez donner,
Présent, tant de bonheur; – absent, tant d’espérance!

Q15 – T14  – banv –  tr (sh52)

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit — 1900 (1)

Henri de Régnier Les médailles d’argile

Contraste

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit
Ta peau voluptueuse et souple qu’il colore
D’une rougeur de pêche et d’un reflet d’aurore
T’a faite, en ton corps, femme et femme par l’esprit.

Ton oreille est docile et ta bouche sourit
A toute la nature odorante et sonore,
Et ta jeune beauté semble toujours éclore,
Sensible à ce qui naît, chante, embaume et fleurit;

Mais Elle, taciturne à jamais, la Statue
Qui, immobile au bronze, attentive, s’est tue,
Semble écouter en elle et méditer tout bas,

Dans le métal durci qui moule sa stature
Et la dresse debout et se croisant les bras,
Le secret anxieux de la matière obscure.

Q15 – T14 – banv

Toute Aurore même gourde — 1899 (47)

Mallarmé Poésies

additions de l’éd. Deman

Hommage

Toute Aurore même gourde
A crisper un point obscur
Contre des clairons d’azur
Embouchés par cette sourde

A le pâtre avec la gourde
Jointe au bâton frappant dur
Le long de son pas futur
Tant que la source ample sourde

Par avance ainsi tu vis
O solitaire Puvis
De Chavannes jamais seul

De conduire le temps boire
A la nymphe sans linceul
Que lui découvre ta Gloire

Q15 – T14 – banv –  octo

Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos — 1899 (46)

Mallarmé Poésies

Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos
Il m’amuse d’élire avec le seul génie
Une ruine, par mille écumes bénie
Sous l’hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux.

Contre le froid avec ses silences de faulx,
Je n’y hululerai pas de vide nénie
Si ce très blanc ébat au ras du sol dénie
A tout site l’honneur du paysage faux.

Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale
Trouve en leur docte manque une saveur égale:
Qu’un éclate de chair humain et parfumant!

Le pied sur quelque guivre où notre amour tisonne,
Je pense plus longtemps peut-être éperdûment
A l’autre, au sein brûlé d’une antique amazone.

Q15 – T14 – banv

A la nue accablante tu — 1899 (45)

Mallarmé Poésies

A la nue accablante tu
Basse de basalte et de laves
A même les échos esclaves
Par une trompe sans vertu

Quel sépulcral naufrage (tu
Le sais, écume, mais y baves)
Suprême une entre les épaves
Abolit le mat dévêtu

Ou cela que furibond faute
De quelque perdition haute
Tout l’abîme vain éployé

Dans le si blanc cheveu qui traîne
Avarement aura noyé
Le flanc enfant d’une sirène

Q15 – T14 – banv – octo

Quelle soie aux baumes de temps — 1899 (43)

Mallarmé Poésies

Quelle soie aux baumes de temps
Où la Chimère s’exténue
Vaut la torse et native nue
Que hors de ton miroir, tu tends!

Les trous de drapeaux méditants
S’exaltent dans notre avenue:
Moi, j’ai ta chevelure nue
Pour enfouir mes yeux contents.

Non! La bouche ne sera sûre
De rien goûter à sa morsure,
S’il ne fait, ton princier amant,

Dans la considérable touffe
Expirer, comme un diamant,
Le cri des Gloires qu’il étouffe.

Q15 – T14 – banv – octo