Archives de catégorie : banv

Muse, écoute les sons envolés de la lyre — 1898 (1)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9 Hommage à Sappho
Pour honorer la grande Poëtesse on a reproduit son divin caprice de couper les mots qui terminent certains vers

Muse, écoute les sons envolés de la lyre
Les accents font courir des frissons sur la mer
Houleuse éperdument. Dans les bois c’est la mer-
veille! et tout, jusqu’au flot, partage son délire.

Aphrodite la brûle; elle est venue élire
Sa demeure en ce corps que l’ouragan amer
Des voluptés mord, sèche et tord; Phaon le mer-
cenaire a saccagé cette âme sans la lire.

Grande amante fluide, ouvre tes flancs phospho-
rescents, tumultueux, à l’ardente Sapho
Qui, pour te posséder, s’élance de la roche!

Elle y croyait dormir un éternel sommeil,
Mais jusqu’en l’avenir, troublant comme un reproche,
Son désir de la chair vibre toujours vermeil.

Q15 – T14 – banv –  quelques fins de vers intra-mot, longtemps, longtemps, longtemps avant Denis Roche et Jean Ristat

Celui-là seul saura sourire, s’il a plu — 1897 (17)

Paul Claudel in ed.pléiade (Premiers Vers)

Celui-là seul saura sourire, s’il a plu
A la Muse elle-même, institutrice et Mère,
De former, lui ouvrant la Lettre et la Grammaire,
Sa lèvre au vers exact et au Mot absolu.

La sécurité de l’office qui l’élut
Rit que rien d’éternel comme rien d’éphémère
N’échappe à la mesure adéquate et sommaire
De la voix qui finit où le verbe conclut.

Gardien pur d’un or fixe où l’aboi vague insulte !
Si, hommage rustique et témoignage occulte,
Sa main cherche quoi prendre au sol pour s’en armer,

Je choisis de casser la branche militaire
Dont la feuille à ton front honore, Mallarmé,
Amère le triomphe, et verte, le mystère.

Q15  T14 – banv –  triste hiatus au vers 4

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles; — 1897 (9)

Robert de Souza Sources vers le fleuve

La Lumière

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles;
Les feuilles tendaient  leurs petites mains tendues
Suppliantes, au-devant des chenilles velues;
Mais les chèvres renouaient le tout en une touffe, d’une faim qui cueille.

Et les hommes ne sentaient point la vie, espoir et deuil,
Les songes dormaient des femmes étendues nues
Par les gazons qui frisent, et font les chairs moussues,
Pour, sans doute, que d’humbles ombres rases cachent notre orgueil…

Ni les âmes ne connaissent les grandes ailes,
Ni les coeurs la volonté de leurs appels,
Seules les bouches s’ouvraient au plaisir d’être nées;

C’était l’attente vague des existences,
Qui ne sentaient pas quand les aurait enfin créées,
La Lumière qui relie toutes choses- par qui l’on pense.

Q15 – T14 – banv – m.irr

Dame sans trop d’ardeur à la fois enflammant — 1896 (1)

Mallarmé in Le Figaro, lundi 10 février

A la fin de son article sur l’élection de Mallarmé comme Prince des Poètes, André Maurel écrit: « Le grand public connaît peu M. Mallarmé. Afin de donner aux lecteurs du Figaro une conception assez nette du choix des jeunes poètes, j’ai demandé au nouveau Prince de vouloir bien m’envoyer quelques vers inédits que je pourrais publier ici.
Très gracieusement, M. Mallarmé a répondu à ma demande, en y joignant cette réserve:
 » sur votre demande gracieuse de tout à l’heure, voici un rien, sonnet « causé », qui ne peut, je crois détonner, malgré que, selon moi, les vers et le journal se font tort réciproquement »


Dame
sans trop d’ardeur à la fois enflammant
La rose qui cruelle ou déchirée, et lasse
Même du blanc habit de pourpre, le délace
Pour ouïr dans sa chair pleurer le diamant

Oui, sans ces crises de rosée et gentiment
Ni brise quoique, avec, le ciel orageux passe
Jalouse d’apporter je ne sais quel espace
Au simple jour le jour très vrai du sentiment

Ne te semble-t-il pas, disons, que chaque année
Dont sur ton front renaît la grâce spontanée
Suffise selon quelque apparence et pour moi

Comme un éventail frais dans la chambre s’étonne
A raviver du peu qu’il faut ici d’émoi
Toute notre native amitié monotone.

Q15 – T14 – banv

Comme un troupeau docile au Maître Capital, — 1894 (11)

Tristan Bernard Vous m’en direz tant!

Comme un troupeau docile
Comme un vol de gerfauts…

Comme un troupeau docile au Maître Capital,
Du palais de Bourbon, proche la Madeleine,
Ceusses de la Montagne et ceusses de la Plaine
S’en venaient, attirés, vers le guichet fatal.

Ils venaient pour palper l’avantageux métal
Accru depuis longtemps au fond des bas de laine.
Puis leur rut obstiné vidait leur poche pleine
Aux nids luxurieux du monde horizontal.

Le vin, qui ruisselait des mains des courtisanes
Leur faisait entrevoir les deux mers océanes
Heurtant à des flots d’or les flots céruléens.

Mais voici qu’inclément l’Avenir se révèle;
Et bientôt, transportés aux frais des citoyens,
Ils verront resplendir tes étoiles, Nouvelle!

Q15 – T14 – banv – parodie

L’insénescence de l’humide argent accule — 1894 (5)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)
(Deux sonnets pour être dits en expectant claudication)

I
Le limaçon (d’après feu Rimbaud)

L’insénescence de l’humide argent accule
La glauque vision des possibilités
Où s’insurgent, par telles prases abrités,
Les désirs verts de la benoîte renoncule.

Morsure extasiant l’injurieux calcul,
Voici l’or impollu des corolles athées
Choir sans trève! Néant des Sphinges Galathées
Et vers les nirvânas, ô Lyre, ton recul!

La mort est un vainqueur Loyal et redoutable
Aux vénéneux festins où Claudius s’attable
Un bolet nage en la saumure des bassins.

Mais, tandis que l’abject amphictyon expire
Eclôt, nouvel orgueil de votre pourpre, ô Saints,
Le lis ophilial orchestré par Shakespeare.

Q15 – T14 – banv

Mère qui m’engendras du tarse au métacarpe, — 1893 (18)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pseudo-sonnet pessimiste et objurgatoire
à ceux qui prirent soin d’élever ma jeunesse

Mère qui m’engendras du tarse au métacarpe,
Malgré Schopenhauer et la loi de Malthus ; –
O mon appartement lorsque j’étais fœtus,
Ma MÈRE ; – et toi PARRAIN prénommé Polycarpe ; –

MAÎTRE qui m’enseignas (ô merci !!!) que la carpe
Est un cyprinoïde et, qu’en latin, « hortus »,
Traduit le mot « jardin » ; – Flamande sans astuce,
NOURRICE au lait crémeux, simple enfant de la Scarpe ; –

PRÊTRE qui m’aspergeas de l’eau du baptistère,
Et par qui je connus (sublime et doux mystère)
A l’âge de douze ans ma saveur du sauveur :

Hélas ! ne pouviez-vous, me prenant par l’échine,
Quand je bavais, môme gluant déjà rêveur, …
Me jeter aux cochons comme l’on fait en Chine ?!?!

Q15  T14  -banv

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge, — 1893 (15)

José Maria de HerediaLes Trophées

Le lit

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge,
Triste comme une tombe ou joyeux comme un  nid,
C’est là que l’homme naît, se repose et s’unit,
Enfant, époux, vieillard, aïeule, femme ou vierge.

Funèbre ou nuptial, que l’eau sainte l’asperge
Sous le noir crucifix ou le rameau bénit,
C’est là que tout commence et là que tout finit,
De la première aurore au feu du dernier cierge.

Humble, rustique et clos, ou fier du pavillon
Triomphalement peint d’or ou de vermillon
Qu’il soit de chêne brut, de cyprès ou d’érable;

Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable,
Où tous les siens sont nés aussi bien qu’ils sont morts.

Q15 – T14 – banv

L’Etna mûrit toujours la pourpre et l’or du vin — 1893 (14)

José Maria de HerediaLes Trophées

Médaille antique

L’Etna mûrit toujours la pourpre et l’or du vin
Dont l’Erigone antique enivra Théocrite;
Mais celles dont la grâce en ses vers fut écrite,
Le poète aujourd’hui les chercherait en vain.

Perdant la pureté de son profil divin,
Tour à tour Aréthuse esclave et favorite
A mêlé dans sa veine où le sang grec s’irrite
La fureur sarrazine à l’orgueil angevin.

Le temps passe. Tout meurt. Le marbre même s’use.
Agrigente n’est plus qu’une ombre, et Syracuse
Dort sous le bleu linceul de son ciel indulgent;

Et seul le dur métal que l’amour fit docile
Garde encore en sa fleur, aux médailles d’argent,
L’immortelle beauté des vierges de Sicile.

Q15 – T14 – banv

Vous sortiez de l’église et, d’un geste pieux, — 1893 (12)

José Maria de HerediaLes Trophées

Suivant Pétrarque

Vous sortiez de l’église et, d’un geste pieux,
Vos nobles mains faisaient l’aumône au populaire,
Et sous le porche obscur votre beauté si claire
Aux pauvres éblouis montrait tout l’or des cieux.

Et je vous saluai d’un salut gracieux,
Très humble, comme il sied à qui ne veut déplaire,
Quand, tirant votre mante et d’un air de colère
Vous détournant de moi, vous couvrites vos yeux.

Mais Amour qui commande au coeur le plus rebelle
Ne voulut pas souffrir que, moins tendre que belle,
La source de pitié me refusât merci;

Et vous fûtes si lente à ramener le voile,
Que vos cils ombrageux palpitèrent ainsi
Qu’un noir feuillage où filtre un long rayon d’étoile.

Q15 – T14 – banv