Archives de catégorie : banv

Despotique, pesant, incolore, l’Eté, — 1884 (11)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Allégorie

Despotique, pesant, incolore, l’Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.

L’alouette au matin, lasse n’a pas chanté.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.

L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur le lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux a moitié taris ne sautent plus.

Une rotation incessante de moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, ça et là, volent, jaunes et noires.

Q15 – T14 – banv

Chose italienne où Shakespeare a passé — 1884 (9)

Paul VerlaineJadis et Naguère

A la louange de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakespeare a passé
Mais que Ronsard fit superbement française,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,
Dogme entier toujours debout sous l’exégèse
Même edmondshéresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force aquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,
Ayant procuré leur luxe aux misérables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Epris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.

Q15 – T14 – banv –  – 11s – s sur s

Voici la chose! c’est un couple de lourdauds, — 1884 (5)

Jean Richepin Les blasphèmes

Tes père et mère ….

Voici la chose! c’est un couple de lourdauds,
Paysans, ouvriers, au cuir épais, que gerce
Le noir travail; ou bien, des gens dans le commerce,
Le monsieur à faux-col et la vierge à bandeaux.

Mais, quels qu’ils soient, voici la chose! les rideaux
Sont tirés. L’homme, sur la femme à la renverse,
Lui bave entre les dents, lui met le ventre en perce.
Leurs corps, de par la loi, font la bête à deux dos.

Et c’est ça que le prêtre a bêni! ça qu’on nomme
Un saint mystère! et c’est de ça qu’il sort un homme!
Et vous voulez me voir à genoux devant ça!

Des père et mère, ça! c’est ça que l’on révère!
Allons donc! on est fils du hasard qui lança
Un spermatozoïde aveugle dans l’ovaire.

Q15 – T14 – banv

Comme deux oiseaux nous nichons — 1883 (25)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Hélène, IX

Comme deux oiseaux nous nichons
Dans un lit d’éclatante hermine
Et lorsque l’été se termine
A tous les yeux nous nous cachons.

Nous sommes les petits nichons,
Tant convoités de la gamine
Et que le garçon examine
Avec des regards folichons.

Lorsqu’avec notre tétin rose
Un homme, ivre de plaisir, cause
Nous nous cabrons comme un coursier,

Nous sommes plus blancs que l’ivoire,
Et presque aussi durs que l’acier
Voilà ce qui fait notre gloire.

Q15  T14 – banv – octo

Cette balle, comme elle est ronde — 1883 (24)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Le poème d’un suicidé

Cette balle, comme elle est ronde
Comme elle entre bien dans le trou
De ce revolver … J’en suis fou !
J’ai pour elle une amour profonde.

Non jamais brune, jamais blonde
Avec leurs robes à froufrou
N’allumèrent pareil grisou
Dans ma cervelle vagabonde.

Quand elle entrera dans ma peau
Je tomberai comme un moineau
Me pâmant sous sa douce étreinte.

Chère balle, je t’aimerai
Lorsque ma vie étant éteinte
Je dormirai dans le tombeau.

Q15  T14  – banv – octo

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune — 1883 (17)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

L’homme d’Etat

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune
De l’alcove où l’air âcre aigrit les odorats,
Un cul parlementaire enfle l’ampleur des draps,
Et large s’arrondit comme une pleine lune.

Dans les fesses qu’il fit, Rubens n’en fit aucune
De majesté plus noble et de contours plus gras;
Obéron ne saurait le tenir dans ses bras,
Et Vénus Callipyge en garderait rancune.

Si vertueux qu’on soit et malgré la pudeur,
Rien qu’à voir cette ferme et virile rondeur,
On sent lever en soi des désirs monastiques.

On contemple: on voudrait; et le rêve mutin
Flotte alentour, avec des langueurs extatiques;
Cependant que le cul chante un hymne au matin.

Q15 – T14 – banv

Madame, vous avez une tête de mort. — 1883 (16)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Madrigal
Sonnet.

Madame, vous avez une tête de mort.
Votre front vaste et jaune et votre face glabre
Vos pommettes que l’âge ossifie et délabre
Vont me hanter la nuit, comme hante un remords.

Quand votre bouche rit, soupire chante ou mord,
Le triangle effrayé de votre nez se cabre,
Et le reflet vitreux d’une danse macabre
Tremble en vos yeux falots où sommeille la Mort.

Sur un ventre fumeux que ravinent les rides,
Vos seins pendants et longs comme deux gourdes vides
Balottent flasquement au moindre de vos pas;

Et Satan aurait peur de s’écorcher la langue
Si Vénus lui prêtait, pour y planter son cas
Le sourire tanné de votre vulve exsangue.

Q15 – T14 – banv

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître, — 1883 (15)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Voeu

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître,
Ce n’est point aujourd’hui le coït impuissant
Qui fouille un peu de chair et verse un peu de sang
Au bord d’une blessure où sa langueur pénètre.

Je veux, ô femme entrer tout entier dans ton être:
Il hurlera d’amour, ton ventre bondissant,
Comme hurle, trop pleine, une mère qui sent
L’effort intérieur d’un géant qui va naître.

C’est mon rêve: Je veux dans ton torse en débris,
Sentir mes os broyés et mes muscles meurtris
Sous les spasmes vengeurs de ta chair envahie.

Et dans le rut suprême et ses derniers élans,
Je veux pour féconder ta vie avec ma vie,
T’éjaculer mon âme et mourir dans tes flancs!

Q15 – T14 – banv

Reviens sur moi! Je sens ton amour qui se dresse; — 1883 (13)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Sonnet pointu

Reviens sur moi! Je sens ton amour qui se dresse;
Viens. J’ouvre mon désir au tien, mon jeune amant.
Là …. Tiens …. Doucement   va plus doucement …
Je sens tout au fond ta chair qui me presse.

Rythme   ton   ardente    caresse
Au gré de mon balancement.
O mon âme … Lentement
Prolongeons l’instant d’ivresse

Là … Vite! Plus longtemps!
Je fonds! Attends
Oui … Je t’adore

Va! Va! Va!
Encore!
Ha!

Q15 – T14 – banv –  bdn 12+12+10+10  +8+8+7+7  + 6+4+4  + 3+2+1 – Suivant la terminologie oulipienne, on dira qu’on a affaire à une boule de neige métrique fondante.

Quant à toi, Lucifer, astre tombé des cieux, — 1883 (8)

Stanislas de GuaitaLa muse noire

Les paroles d’un maudit, II

Quant à toi, Lucifer, astre tombé des cieux,
Splendeur intelligente aux ténèbres jetée,
Ange qui portes haut ta colère indomptée,
Et gonfle tous les seins de cris séditieux;

Par toi seul, j’ai connu le mépris oublieux
Du Seigneur et de sa puissance détestée.
J’ai ressenti – sceptique et railleur, presque athée –
Les plaisirs inouïs de l’amour radieux!

Tu m’ouvris l’océan des voluptés profondes
Dont nul n’a su tarir les délirantes ondes –
Tu m’appris à goûter le charme de l’Enfer.

On y souffre, il est vrai; l’on y jouit quand même,
Puisqu’on y peut baver sa bile – O Lucifer,
Mon bourreau de demain, je t’honore – je t’aime!

Q15 – T14 – banv