Archives de catégorie : banv

Despréaux, on te blâme, ô fier législateur, — 1870 (1)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet , tome II – Quatre-vingt sonnets –

Le Sonnet-phénix

Despréaux, on te blâme, ô fier législateur,
Depuis le grand lettré jusqu’au petit bohême!
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème
Tu dis, et de ton vers je me fais l’éditeur!

Je rêvais mieux, hélas! mais quel barde enchanteur
Prendra dans ton blason le poétique emblême,
Et sera, résolvant mon pénible problème,
D’un parfait idéal l’heureux imitateur?

Car le sonnet-phénix coule plein d’harmonie;
Sa rime est ciselée; un éclair de génie
En trace le sujet à la fois doux et beau,

Pour charmer tour à tour, par des splendeurs pareilles,
– Eussè-je un pied déjà sur le bord du tombeau
Mon esprit et mon coeur, mes yeux et mes oreilles!

Q15 – T14 – banv – s sur s

Que de mystères couvre un nom ! … — 1869 (30)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Georges Garnier

Sonnet-Anagramme
Marie-Aimer

Que de mystères couvre un nom ! …
Sous la lettre palpite l’âme :
Le caillou recèle la flamme ;
Dans le granit chante Memnon.

– ‘ Oh ! ‘ bégaye un grave Zénon,
Cet exorde est une réclame
Pour un jeu que la raison blâme …
Quelque anagramme ? … – pourquoi non ?

La vérité se voile d’ombres :
Pythagore l’extrait des nombres :
Des mots nous pouvons l’exhumer.

Amor ! – Roma ! dit Egérie …
Si ma bouche murmure : « Aimer ! »
L’écho des cieux répond : « Marie ! »

Q15  T14 – banv –  octo

La deuxième règle consiste à croiser les rimes de chaque quatrain, et par conséquent à ne pas les croiser dans le second tercet.

Tandis que je suivais, nonchalant et morose, — 1869 (29)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Auguste Lestourgie

Tandis que je suivais, nonchalant et morose,
L’étroit sentier qui mène au sommet du coteau,
La brume le couvrait d’un humide manteau,
Me cachant les ajoncs et le bruyère rose ;

En mon coeur sombre aussi se cache quelque chose ;
Toute la floraison de mon doux renouveau,
Amour et poésie ! … ah ! mon rêve si beau,
Sous quel brouillard épais maintenant il repose !

Mais je monte, et déjà dans le ciel moins obscur,
Aux grisailles d’automne est mêlé quelque azur ;
Mon cœur dans son linceul se débat et palpite.

Fuyez, vapeurs, fuyez, soucis pesants et froids !
L’Orient se colore, ombres, tombez plus vite !
Le soleil et mon cœur renaîtront à la fois.

Q15  T14 – banv

«  Les repos y sont observés avec une exactitude suffisante, sauf peut-être pour la fin du sixième vers. On l’a vu, les quatrains commencent et finissent par des rimes féminines. »
L’agencement des vers dans le sonnet qui suit offre la même ordonnance ; mais le premier et le dernier de chaque quatrain sont terminés par une rime masculine ».

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus, — 1869 (26)

Albert MératL’idole

Avant-dernier sonnet

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus,
Inscrivaient Callipyge au socle de la pierre,
Ils aimaient, par amour de la grande matière,
La vérité des corps harmonieux et nus.

Je ne crois pas aux sots faussement ingénus
A qui l’éclat du beau fait baisser la paupière;
Je veux voir et nommer la forme tout entière
Qui n’a point de détails honteux ou mal venus.

C’est pourquoi je vous loue, ô blancheurs, ô merveilles,
A ces autres beautés égales et pareilles,
Que l’art même, hésitant, tremble de composer;

Superbes dans le cadre indigne de la chambre,
L’amoureuse nature a, d’un divin baiser,
Sur votre neige aussi mis deux fossettes d’ambre.

Q15 – T14 – banv

La vie est un sonnet triste et funambulesque — 1869 (25)

Gabriel Marc Soleils d’octobre

La vie humaine

La vie est un sonnet triste et funambulesque
Dont le premier quatrain est seul d’or & d’azur.
Jusqu’à vingt ans, les bois sont verts, le ciel est pur,
Et l’on marche à travers un pays romanesque.

Puis, la scène devient froide, brumeuse et presque
Funèbre. Il faut lutter dans un dédale obscur,
Et jouer, pour manger un pain amer & dur,
Des farces d’histrions sous un masque grotesque.

Au milieu des soucis, des remords, des douleurs,
Noirs récifs dans la mer insondable des pleurs,
L’homme navigue ainsi jusqu’à son dernier lustre.

Et le sonnet soumis à l’inflexible sort,
Qu’on soit prince, bandit, pâtre ou poète illustre,
S’achève par ce mot épouvantable: Mort.

Q15 – T14 – banv

La chevelure au vent, la jupe retroussée, — 1869 (20)

Louis Veuillot

Arabella

La chevelure au vent, la jupe retroussée,
Montrant ses dents d’une aune et ses pieds d’un empan,
Miss Arabella Ship, voguant, roulant, grimpant,
Arpente l’univers d’une course pressée.

Que cherche-t-elle enfin, et quelle est sa pensée ?
Miss est-elle  biblique, – ou dévote au dieu Pan ?
On dit qu’elle a frôlé maint et maint chenapan,
Qu’un roi nègre une fois sur son cœur l’a pressée.

Qu’en sait-on ? Moi, je  crois que miss Arabella,
Téméraire brebis, impunément bêla,
Et que les loups d’accord ont manqué la fortune.

Je lis – fort mal peut-être – en son air ahuri,
Que sa longue innocence à la fin s’importune,
Et se sait trop peu gré de n’avoir point péri.

Q15 – T14 – banv

Elle avait deux profils, l’un grec, l’autre saxon ; — 1869 (18)

Louis Veuillot Les couleuvres


Mary

Elle avait deux profils, l’un grec, l’autre saxon ;
L’un plein de majesté, l’autre de grognerie.
Celui-ci regardait, non sans quelque furie,
Un époux enrhumé qui semblait bon garçon.

Un teint blanc, – toutefois assez poudré de son ;
Un costume élégant, – mêlé de friperie ;
Sur le peplum d’azur, de la verroterie ;
Les cheveux insultés d’un bout de paillasson.

Pour se désennuyer, dans un sac des plus riches
Elle mit et remit vingt affiquets godiches ;
Puis elle lut Dickens, comme on lirait Platon.

L’oeil grec semblait de marbre, et le saxon de braise.
Avais-je devant moi Diane ou Margoton ?
Etait-ce la pairesse ou la coureuse anglaise ?

Q15 – T14 – banv

Entre ceux que j’aspire à ne pas voir souvent, — 1869 (16)

Louis Veuillot Les couleuvres

Les sages

Entre ceux que j’aspire à ne pas voir souvent,
Je compte des premiers ces amples personnages,
Ces doctes et ces forts qui, pleins de verbiages,
Vont la tête en arrière et le ventre en avant.

Je les trouve partout gonflés du même vent :
Ils savent qu’ils sont gros, ils savent qu’ils sont sages,
Et fiers de tant peser, épanchant les adages,
Ils tiennent pour manqué tout autre être vivant.

Enfermés dans le lard de la fortune faite,
Pour le juste et le vrai leur froideur est complète :
Ils sont placés, rentés, et rien plus ne leur chaut.

Par ma foi, je m’en veux ! mais j’ai des allégresses,
Lorsque je pense au jour, dût-il être un peu chaud,
Qui viendra fondre enfin ces glaces et ces graisses !

Q15 – T14 – banv

Quand je fus enterré, mort, je sentis la vie — 1869 (11)

Fernand Desnoyers

11
III

Quand je fus enterré, mort, je sentis la vie
Sourdre et bruir en moi comme un lointain essaim …
La chair se putréfie, et l’esprit reste sain;
Ma pensée était vive et cependant suivie.

Quelle stupidité nous fut un jour servie?
On disait qu’un poète est forcément un saint
Et ne peut même pas devenir assassin!
Ceux qui pensent cela n’ont jamais eu d’envie.

Ils ne connaissent pas non plus la passion
Qui rendrait courtisane une soeur de Sion.
J’observais le travail de la mort dans ma bière.

Je me sentis grouiller sur mon corps même en vers,
Heureux de me manger, de n’être plus matière,
Et c’est dans le cercueil que je vivais ces vers.

Q15 – T14

Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue — 1868 (19)

Coll.sonnets et eaux fortes

Verlaine

Le pitre

Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui parade – non sans un visible dédain
Des badauds s’enrhumant devant lui dans la boue.

La courbe de ses reins et le fard de sa joue
Excellent. Il pérore et se tait tout soudain,
Reçoit des coups de pied au derrière, badin
Baise au cou sa commère énorme et fait la roue.

Il accueille à merveille et rend bien les soufflets;
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournant jusqu’à l’abus valent que l’on s’arrête.

Mais ce qu’il sied vraiment d’exalter, c’est surtout
Cette perruque d’où se dresse, sur sa tête ,
Preste, une queue avec un papillon au bout.

Q15 – T14- banv –