Archives de catégorie : formules principales

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté, — 1885 (7)

Stanislas de Guaita Rosa mystica

A Charles Baudelaire
« O mort, vieux capitaine…  »

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté,
Maître, que le poëte au coeur chaud t’édifie
Un sépulcre: le jaspe fraternel défie,
– Comme tes vers – l’affront de l’âpre vétusté.

Or l’envie est muette; et le siècle, dompté
Par ton rythme en chantant, Maître, te déifie,
De Paris à Moscou – jusqu’à Philadelphie,
Et ton nom, clair de gloire, aux astres est monté.

L’Ame mystique vit son rêve d’outre-tombe!
Montre-toi donc, poëte, et que le rideau tombe,
Qui voile l’Elysée où sont les demi-dieux!

Ouvre un oeil agrandi d’extase coutumière
Sur le choeur prosterné de tes enfants pieux
Qui font vibrer vers toi leur hymne de lumière!

Q15 – T14 – banv

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1884 (19)

Leconte de Lisle Poèmes tragiques

A un poète mort

Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Boire, entendre, sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un Dieu plein  d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés,
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme!

Q15 – T15

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque, — 1884 (18)

Le Chat Noir

Jules Jouy

X
Fréderick- Lemaître

Quand je le contemplai, de l’Acteur gigantesque,
De l’Artiste, protée énorme et sans rivaux,
Au génie acclamé par d’illustres bravos,
Il restait un vieillard, par l’âge brisé presque.

Parfois, pourtant, fouillant son front michélangesque,
Cet Hercule affaissé, las des anciens travaux,
Trouvait, pour le graver en nos jeunes cerveaux,
Un geste inimitable: immense et pittoresque.

Rien n’était merveilleux, étrange, saisissant
Comme ce beau lutteur torturé, s’efforçant
De rompre, des vieux ans, le lourd carcan de glace.

Et j’assistais, songeant aux triomphes d’antan,
Blême, l’horreur sacrée empreinte sur la face,
A cet écroulement superbe d’un Titan.

Q15 – T14 – banv

– Un comédien? Point : un type — 1884 (16)

Le Chat Noir

Jules Jouy
Sonnets de l’Entracte


VIII Lassouche

– Un comédien? Point : un type
Bouffon, sur la scène tombé.
Corps grêle, élégamment courbé…
Comme le tuyau de ma pipe.

Aspect rugueux… comme un Principe.
Pantomime au geste embourbé.
Masque figé de vieil abbé,
Où l’oeil, révolté, s’émancipe.

Lazzi pesants et gros accents
D’un gavroche de quarante ans;
Gamin vieilli. Bref, une touche

A tenter Chem ou Traviès.
Tel est le baron de La Souche,
Rejeton du geolier d’Agnès.

Q15 – T14 – banv – octo

Je ne veux pas savoir le nombre d’hématies — 1884 (15)

– coll. Le Parnasse Hippocratique

– G.Camuset

Chlorose – Sonnet médical

Je ne veux pas savoir le nombre d’hématies
Que la chlorose avare a laissé dans ton sang;
Je ne veux pas compter sur ton front languissant
Les pétales restés à tes roses transies.
Pauvre enfant! le nerf vague aux mille fantaisies
Donne seul à ton coeur son rythme bondissant;
Seul il rougit parfois ton visage innocent
De l’éclat sans chaleur des pudeurs cramoisies.
Pour la dompter, veux-tu connaître un moyen sûr?
N’épuises plus en vain les sources martiales,
Mais laisse-toi conduire aux choses nuptiales.
Au soleil de l’amour ouvre tes yeux d’azur,
Suis la loi; deviens femme, et qu’en ton sein expire
Dans les blancheurs du lait, la pâleur de la cire.

Q15 – T30 – sns

La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules, — 1884 (14)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Le Poète et la Muse

La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules,
O pleine de jour sale et de bruits d’araignées?
La chambre, as-tu gardé leurs formes désignées
Par ces crasses aux murs et par quelles virgules?

Ah fi! Pourtant, chambre en garni qui te recules
En ce sec jeu d’optique aux mines renfrognées
Du souvenir de trop de choses destinées
Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d’Hercules?

Qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est pas ça:
Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens.
Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.

Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants
Seule, tu sais! mais sans doute combien de nuits
De noce auront dévirginé leurs nuits depuis!

Q15 – T23 – Quatrains en rimes féminines, tercets en rimes masculines

Despotique, pesant, incolore, l’Eté, — 1884 (11)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Allégorie

Despotique, pesant, incolore, l’Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.

L’alouette au matin, lasse n’a pas chanté.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.

L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur le lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux a moitié taris ne sautent plus.

Une rotation incessante de moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, ça et là, volent, jaunes et noires.

Q15 – T14 – banv

Chose italienne où Shakespeare a passé — 1884 (9)

Paul VerlaineJadis et Naguère

A la louange de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakespeare a passé
Mais que Ronsard fit superbement française,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,
Dogme entier toujours debout sous l’exégèse
Même edmondshéresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force aquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,
Ayant procuré leur luxe aux misérables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Epris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.

Q15 – T14 – banv –  – 11s – s sur s

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux — 1884 (6)

L. Jehan-Madelaine Sonnets de Pétrarque – Traduction libre –

I

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux
Rappellent les écarts de ma folle jeunesse,
Alors que, me croyant à jamais amoureux,
J’exaltais dans mes chants quelque belle maîtresse;

Si vous avez aussi brûlé des mêmes feux,
Eprouvé les tourments de l’amour, son ivresse,
Vous plaindrez mon malheur, mes accents douloureux
Et vous pardonnerez mon extrême faiblesse.

Je comprends maintenant qu’on traite d’insensé
Cet ancien sentiment: mon coupable passé,
Que je déplore, hélas!, dont je rougis moi-même.

Ma folie a produit ce fruit: le repentir.
Tout ce qui plaît au monde est mensonge ou blasphème:
Epris de l’amour vrai, je maudis le plaisir.

Q8 – T14 – tr (Pétrarque, rvf 1)

Voici la chose! c’est un couple de lourdauds, — 1884 (5)

Jean Richepin Les blasphèmes

Tes père et mère ….

Voici la chose! c’est un couple de lourdauds,
Paysans, ouvriers, au cuir épais, que gerce
Le noir travail; ou bien, des gens dans le commerce,
Le monsieur à faux-col et la vierge à bandeaux.

Mais, quels qu’ils soient, voici la chose! les rideaux
Sont tirés. L’homme, sur la femme à la renverse,
Lui bave entre les dents, lui met le ventre en perce.
Leurs corps, de par la loi, font la bête à deux dos.

Et c’est ça que le prêtre a bêni! ça qu’on nomme
Un saint mystère! et c’est de ça qu’il sort un homme!
Et vous voulez me voir à genoux devant ça!

Des père et mère, ça! c’est ça que l’on révère!
Allons donc! on est fils du hasard qui lança
Un spermatozoïde aveugle dans l’ovaire.

Q15 – T14 – banv