Archives de catégorie : formules principales

Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers: — 1854 (7)

Gérard de Nerval Les Chimères

Horus

Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers:
Isis, la mère, alors se leva sur sa couche,
Fit un geste de haine à son époux farouche,
Et l’ardeur d’autrefois brilla dans ses yeux verts.

« Le voyez-vous, dit elle, il meurt, ce vieux pervers,
Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche,
Attachez son pied tors, éteignez son oeil louche,
C’est le dieu des volcans et le roi des hivers!

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle,
J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle …
C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris!  »

La déesse avait fui sur sa conque dorée,
La mer nous renvoyait son image adorée,
Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.

Q15 – T15

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, — 1854 (5)

Gérard de Nerval Les Chimères

El Desdichado

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phoebus? … Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène …

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Q8 – T30

J’aime encor le sonnet, ce médaillon sans prix — 1854 (1)

Ernest PrarondLes impressions & pensées d’Albert

Le Sonnet

J’aime encor le sonnet, ce médaillon sans prix
Où nous pouvons, sitôt qu’un caprice nous tente,
Réduire adroitement dans la pierre éclatante
Les sujets les plus hauts dont nous soyons épris.

Dans un ovale étroit d’indestructible onyx
L’image est découpée éternelle et riante,
Si bien que Delia, la belle survivante,
Sert encor de parure aux belles de Paris.

Et j’aime le sonnet dans sa forme elliptique
Malgré le dur effort des labeurs irritants,
Et vers lui je me tourne encor de temps en temps;

Je l’aime; car plus d’un comme un camée antique
Parmi ceux qu’autrefois j’ai taillé par milliers
Me garde des traits chers et du monde oubliés.

Q15 – T30 – s sur s

On voit en l’air une maison — 1852 (3)

M. l’Abbé Le Dru in Félix Mouttet: le livre des jeux d’esprit

Enigme 35

On voit en l’air une maison
Qui peut passer pour labyrinthe,
Où ceux qui cheminent sans crainte
Sont arrêtés en trahison.

C’est une fatale prison,
Un lieu de gêne et de contrainte,
Où leur pauvre vie est éteinte
Par un monstre plein de poison.

Sa malice est ingénieuse,
Et de Vulcain la main faucheuse
Dresse des pièges moins subtils;

Son art de bâtir est extrême,
Et sa matière et ses outils
Se rencontrent tous en lui-même.

Q15 – T14  octo Solution: l’araignée

Pendant les guerres de l’Empire, — 1852 (1)

Théophile GautierEmaux et camées

Préface

Pendant les guerres de l’Empire,
Goethe, au bruit du canon brutal,
Fit le Divan occidental ,
Fraîche oasis où l’art respire.

Pour Nisami quittant Shakespeare,
Il se parfuma de çantal,
Et sur un mètre oriental
Nota le chant qu’Hudud soupire.

Comme Goethe sur son divan
A Weimar s’isolait des choses
Et d’Hafiz effeuillait les roses,

Sans prendre garde à l’ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées,
Moi, j’ai fait Emaux et Camées.

Q15 – T30 – octo

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée — 1851 (9)

Charles-Simon-Frédéric Devert Poésies


La dernière heure de l’année, sonnet

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée
L’aiguille, sur l’émail achèvera son tour,
Quand sonnera cette heure où finit chaque jour,
Avec son dernier bruit expirera l’année.

Pour toi, fille du temps, par ton père entrainée,
Le terme est arrivé d’un règne, hélas! bien court ! …
Dans l’abîme éternel tu tombes sans retour ;
Une nouvelle sœur succède à son ainée.

Si le passé n’obtient qu’un faible souvenir,
Notre espérance avide accueille l’avenir ;
Trop lent à notre gré chaque soleil se lève …

Et chacun d’eux, témoin de nos vœux insensés,
Les verra, dans son cours, déçus et dispersés,
De même qu’au réveil s’évanouit un rêve ! …

Q15  T15

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre, — 1851 (8)

Albert Richard d’Orbe Poésies

Sonnet traduit du portugais de Camoens

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre,
Qu’un bonheur éternel t’enivre dans les cieux !
Qu’à ce prix, s’il le faut, je porte solitaire
Longtemps encor le poids de mes jours malheureux !

Mais parmi les élus, au séjour de lumière,
S’il reste un souvenir de ces funèbres lieux,
Rappelle-toi l’amour, l’amour pur et sincère
Dont naguère tu vis étinceler mes yeux.

Et si ce coup fatal, si la noire tristesse,
Le désespoir sans borne où ton trépas me laisse,
Paraissent mériter de toi quelque retour,

Au Dieu qui dans sa fleur trancha ton existence
Demande que je meure et vienne en ta présence,
Beauté qu’il a si tôt ravie à mon amour !

Q8  T15  tr

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère — 1851 (7)

Félix Dortée Poésies

Sonnet à Mademoiselle Teresa Milanollo

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère
Produit des sons si purs et si mélodieux,
Car vous êtes un ange envoyé sur la terre,
Pour nous donner sans doute un avant-goût des cieux !

Oui, d’admiration tressaillant tout entière,
Si vous n’eussiez caché vos ailes à ses yeux,
La foule aurait courbé son front vers la poussière,
Dans un ravissement long et silencieux.

Poursuivez en tous lieux votre mission sainte ;
Prodiguez ces accords dont l’ineffable empreinte
D’un être surhumain est le révélateur.

Pourquoi même nier sa nature angélique,
Un archer sous vos doigts est un sceptre magique
Qui vous assujettit et l’oreille et le cœur.

Q8  T15

Teresa, l’aînée des filles Milanollo, est née à Savigliano, le 28 août 1827. Elle aurait été touchée par la grâce, alors qu’elle assistait à la messe où se produisit un violoniste. A son père qui lui demanda si elle avait bien prié Dieu, elle répondit : « Non Père, j’ai seulement écouté le violon ». Elle étudie l’instrument dès l’âge de quatre ans, se produit avec éclat en concert et vient s’installer à Paris, avec ses parents, en 1835. Elève de Lafont et Habeneck, Teresa entame une carrière de concertiste à quatorze ans. Ses débuts, à la société des concerts du Conservatoire de Paris, le 18 avril 1841, enthousiasment Berlioz : « A la dernière mesure, une acclamation, un cri, un hourra de toute la salle renvoyé en écho par les musiciens de l’orchestre ont salué la sortie de mademoiselle Milanollo qui, sans être autrement émue que s’il se fût agi de quelques compliments à elle adressés dans un salon, s’en est allée souriante embrasser sa mère qui comprenait mieux que quiconque l’importance d’un pareil succès, en pareil lieu, devant un aussi terrible aréopage ». La jeune prodige abandonne les tournées après son mariage. Elle meurt à Paris le 25 octobre 1904. Est enterrée au Père-Lachaise

Le soir arrive épais : des blancheurs disparues — 1851 (6)

Xavier Aubryet même source

Porchers des Cévennes

à Charles Chaplin, qui a peint des cochons et des femmes

Le soir arrive épais : des blancheurs disparues
Reste une bande étroite, au ciel d’un noir profond.
Dans l’ombre, des cochons chassés, bandes goulues,
Pieds souillés, dos soyeux, à leur loge s’en vont.

Oreilles en avant, roides, plates, poilues,
Le groïn barbouillé, renifleur et grognon,
Pêle-mêle entraînés par les pentes ardues,
Leur queue au rond frisé frétille à chaque bond.

Sauvage fantaisie après les élégances
Des portraits féminins aux fines transparences,
A la grâce attendrie, aux tons dorés du miel.

Poésie ! idéal que le réel complète.
Chaque chose sublime ou basse, te reflète.
Les porcs grouillants, la boue, et les femmes, le ciel !

Q8  T15

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine — 1851 (4)

Alfred de Martonne Les offrandes

Aux Lecteurs. Imité de Pétrarque

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Aux jours de ma jeunesse, en ma première erreur,
Quand j’étais un autre homme et je portais ma chaîne.

Du style varié dont j’ai chanté ma peine
Et ma vaine espérance et ma vaine douleur,
O vous qui de l’amour avez senti l’ardeur
Vous me pardonnerez la faiblesse incertaine.

Hélas! je le vois bien à mes derniers instants;
Du monde entier je fus la fable trop longtemps,
Et de moi bien souvent je rougis, quand j’y songe.

De ma démence ainsi ma rougeur est le fruit;
Le repentir amer, comme un remords le suit:
Je le vois: ce qui plaît au monde n’est qu’un songe.

Q15 – T15 – tr (Pétrarque rvf 1) « Ces quelques sonnets », explique l’auteur,  » sont extraits de cinq gros volumes, qui contiennent plus de vingt mille vers dans tous les rythmes. L’auteur, après les avoir relus au moment de l’impression, et perdu toutes ses illusions sur leur mérite, et n’a osé livrer que cette faible partie à l’indifférence du public, après l’avoir arraché à la sienne propre.  »

Une deuxième édition, avec 55 sonnets (5 de plus), a paru en 1868, sous le titre Ludibria Ventis.