Archives de catégorie : formules principales

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant, — 1841 (9)

Frédéric Durand fils, épicier La Muse occitanique

Le Troubadour

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant,
Murmurait mollement dans la verte aubépine,
Les oiseaux se taisaient dans les buissons du champ,
Et les échos dormaient au fond de la colline.

Il chantait, les oiseaux oubliant leur penchant
Suspendaient le courant de leur onde argentine,
Et le jour indécis, aux bornes du couchant,
Trompait au rendez-vous l’amoureuse Delphine.

Et tout à coup du ciel la foudre s’abaissa,
Le chant finit ! bientôt quand l’amante passa,
Un luth ensanglanté frappa soudain sa vue.

Elle pleura log-temps ! depuis ce triste jour,
On entend là gémir quand la nuit est venue
Dans les cordes du luth l’âme du troubadour.

Q8  T14  rime incorrecte (vers 1 & 3)

Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux, — 1841 (6)

Aloysius Bertrand Oeuvres

A Monsieur Eugène Renduel. Sonnet.

Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux,
Dès l’aube, à mi-côteau rit une foule étrange:
C’est qu’alors dans la vigne, et non plus dans la grange,
Maîtres et serviteurs, joyeux, s’assemblent tous.

A votre huis, clos encor, je heurte. Dormez-vous?
Le matin vous éveille, éveillant sa voix d’ange.
Mon compère, chacun en ce temps-ci vendange;
Nous avons une vigne; – eh bien! vendangez-vous?

Mon livre est cette vigne, où, présent de l’automne,
La grappe d’or attend, pour couler dans la tonne,
Que le pressoir nouveau crie enfin avec bruit.

J’invite des voisins, convoqués sans trompette,
A s’armer promptement de paniers, de serpettes,
Qu’ils tournent le feuillet: sous le pampre est le fruit!

Q15 – T15

J’ai groupé trois sonnets d’époque différente de l’auteur de Gaspard de la nuit, d’après l’édition récente des oeuvres complètes (M. Poggenburg ne signale pas la césure épique, étrange, au vers 4 de 4). Les circonstances de la composition de 6 (peu avant la mort de Bertrand) sont les suivantes:  » Renduel ne tenait pas sa promesse de publier Gaspard de la nuit. « … E. Cluzel (1957) remarque:  » la répétition dans un même vers du verbe éveiller, employé maladroitement pour évoquer une image peu vraisemblable, imperfection regrettable dans un poème si admirable ». (Le con!)

Ma Muse languissait, triste, inconnue à tous, — 1841 (5)

Aloysius Bertrand Oeuvres

Sonnet à la Reine des Français

Ma Muse languissait, triste, inconnue à tous,
Cachant des pleurs amers parmi sa manteline;
Soudain elle reprend crayon et mandoline.
Muse, quel ange donc s’est assis entre nous?

Madame, il est un ange, au front riant et doux,
Ange consolateur qui, dès l’aube, s’incline
Vers les mortels souffrants, la veuve et l’orpheline,
L’enfant et le vieillard, – et cet ange, c’est vous!

Votre nom soit béni! – ce cri qui part de l’âme,
Ne le dédaignez point de ma bouche, Madame!
Un nom glorifié vaut-il un nom bêni?

Oh! Je vous chante un hymne avec joie et courage,
Comme l’oiseau mouillé par le nocturne orage
Chante un hymne au soleil qui le sèche en son nid!

Q15 – T15

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor — 1841 (4)

Aloysius Bertrand Oeuvres (ed.Poggenburg)


A Victor Hugo, poète. Sonnet

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor
Gloire à toi dont les vers, sublime poésie,
Se nourrissent de sang, de miel et d’ambroisie,
D’une colombe éclose dans le nid du condor!

Non, tu ne joutes point comme le picador
Qu’aux tournois de taureaux, chers à l’Andalousie,
Un sourire amoureux enivre et rassasie
Sous les balcons tendus de fleurs, d’ivoire et d’or.
Depuis Napoléon nul qui soit de ta taille
Au siècle n’a joué plus immense bataille –
Poète qui combats avec un luth de fer!

Et nul de ton soleil que la gloire environne
Ne t’a précipité sans vie ou sans couronne
Comme Napoléon ou comme Lucifer.

Q15 – T15 – disposition notable : 4+7+3 – césure épique au vers 4

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu, — 1840 (16)

Sainte-Beuve Œuvres poétiques

Sonnet de Sainte Thérèse
A Jésus crucifié

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu,
Ce n’est pas l’heureux ciel que mon espoir devance,
Ce qui m’incite à t’épargner l’offense,
Ce n’est pas l’enfer sombre et l’horreur de son feu !

C’est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu
Cloué sur cette croix où t’atteint l’insolence ;
C’est ton saint corps sous l’épine et la lance,
Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu.

Voilà ce qui m’éprend, et d’amour si suprême,
O mon Dieu, que, sans ciel même, je l’aimerais ;
Que, même sans enfer, encor je te craindrais !

Tu n’es rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;
Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,
Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !

Q15 – T30  – 2m (v.1-3-5-7 : déca) –  tr.

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ? — 1840 (15)

Antony Duvivier in L’art en province

A un jeune homme

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ?
Qui donc a pu sitôt désenchanter ton cœur ?
De tes illusions la fleur serait flétrie,
Et tu ne croirais plus à ton âge, au bonheur ?

Non ! tu penses à tort la jeunesse ternie ;
Sur ton front de vingt ans le souffle du maheur
N’a point encor passé. Dans la mélancolie
Tu plonges trop avant, tu trouves la douleur.

Mais pourquoi donc ainsi t’abreuver d’amertume ?
Du monde où nous vivons le mal n’est que l’écume ;
Et si le mal abonde, il est vite effacé.

Laisse tes noirs pensers ! Le chagin, à ton âge,
Est un torrent d’été grossi par un orage.
Le flot rentre en son lit, quand l’orage est passé.

Q8  T15

L’hirondelle au col noir, bohémienne des airs, — 1840 (14)

Eugène de Chambure Transeundo

Sonnet

L’hirondelle au col noir, bohémienne des airs,
A pour fendre l’espace une aile aventureuse ;
Le cerf, dans la forêt immense et ténébreuse,
A pour courir ses pieds, vifs comme les éclairs.

Pour visiter les cieux ou les ombrages verts
Nous n’avons, cet aveu coûte à l’âme orgueilleuse,
Ni le jarret d’acier ni l’aile vigoureuse
Qui parcourt en tous sens le mobile univers.

Mais nous avons l’esprit, cette force invisible,
Dont chaque siècle accroît l’élan irrésistible,
Et qui monte toujours comme un flux en courroux.

Comme vous gris oiseaux, nous montons aux nuages ;
Comme les tiens, beau cerf, nos pas sont des voyages ;
Ah ! nous sommes pourtant plus malheureux que vous !

Q15  T15

Il sait tout deviner sans qu’on lui dise rien ; — 1840 (13)

Théodore de Foudras Echos de l’âme

Le chien

Il sait tout deviner sans qu’on lui dise rien ;
Si nous pleurons, il pleure, et lorsque la souffrance
Même chez l’amitié trouve l’indifférence,
Il comprend aussitôt qu’il est son dernier bien.

Pour lui tout est devoir, pour lui tout est lien ;
Quand il s’est devoué telle est sa jouissance
Qu’il semble encor avoir de la reconnaissance,
Il n’est point exigeant, point ingrat, il est chien.

S’il voit une blessure à l’instant il la lèche ;
Si son maître est soldat il le suit sur la brèche,
Et si le guerrier meurt il s’attache au drapeau.

Ce qu’il donne ou reçoit n’est jamais un échange.
Il demeure immuable auprès de ce qui change.
Il va du père au fils, et du fils au tombeau.

Q15  T15

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble, — 1840 (11)

Léon Magnier Fleurs des champs

Sonnet

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble,
Modestes, aux doux yeux, brûlantes de beauté ;
Qui savent consoler l’homme par leur bonté ;
Si vous les regardez, l’une aux autres ressemble.

Elles apaiseront le criminel qui tremble ;
Oh ! ce sont les présents de la divinité,
L’espérance des cieux, la foi, la charité ;
Que le plus noble but, le bien, toujours rassemble.

Elles sont des vertus les fidèles soutiens,
Respectez-les, amis, adorez-les, chrétiens !
Vous qui les possédez, conservez-les dans l’âme.

Leurs regards sont levés vers la voûte d’azur,
Elles offrent à Dieu une divine flamme :
Donnez-leur ici-bas votre amour le plus pur.

Q15  T14  banv

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir ! — 1840 (10)

Céphas Rossignol Dieu et famille

Sonnet

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir !
Il est si bon de vivre et d’aimer à notre âge :
Et puis, nous avons tant de choses à bénir
Avant que notre vie ait perdu son ombrage !

Loin de vous je ne sais que faire et devenir :
Je vais à droite – à gauche – et n’ai pas de courage ;
Je porte en moi, partout, votre doux souvenir,
Et les heures sans vous me semblent un outrage !

Mais, quand vous m’appelez près de vous, quand vos yeux,
Comme un rayon mouillé qui nous tombe des cieux,
S‘arrêtent, tout d’abord, sur mon front, pour y lire.

Oh ! je me sens renaître alors, et je n’ai plus
Qu’une joie infinie en l’âme, et les Elus
Ont bien moins que mon cœur des cordes à leur lyre !

Q8  T15