Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Pour le sonnet, huit ou dix pieds ! — 1869 (23)

Louis Veuillot Les couleuvres

Le Sonnet

Pour le sonnet, huit ou dix pieds !
A douze, il prend des ampleurs lourdes ;
Le remplissage y met ses bourdes,
Vain bâton des estropiés.

Que de fléaux multipliés !
Les longueurs, les emphases sourdes,
Les adjectifs creux comme gourdes,
Chargent les vers humiliés.

Les douze pieds, c’est la charrette.
Pégase regimbe, il s’arrête,
Voyant qu’il faut prendre le pas.

Libre de cette peur fatale,
Sur huit pieds, fringant, il détale,
Et s’il crève, il ne traîne pas.

Q15 – T15 – octo – s sur s

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit : — 1869 (22)

Louis Veuillot Les couleuvres

Intermède

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit :
“ Alcippe, il est donc vrai ! par un furtif commerce,
A transgresser la loi ton faible esprit s’exerce,
Et fait faire au sonnet un métier interdit ? ”

Boileau, chez moi, n’est pas de ces gens sans crédit.
Je donnai mes raisons, et ce fut une averse.
Il reprit : “ Le chemin où toujours chacun verse,
Et le chemin  mauvais, non le chemin hardi.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème …
Soit ! Mais n’en tire pas la conséquence extrême
Qu’un poème en sonnets puisse être sans défaut.

C’est ainsi que l’on crée aux temps de décadence :

D’un monstre avec effort accouche l’impuissance ! ”
Il se tut. Je changeai de rythme, assez penaud.

Q15 – T15 – s sur s

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas, — 1869 (19)

Louis Veuillot Les couleuvres

Sévéra

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas,
Elle maintient ses droits au rang de vierge sage :
Pour le monde et pour Dieu, son âme et son  corsage,
Tout est réglé comme au compas.

Elle est aussi fort bien tenue en ses repas ;
Autant que ses discours, austère est son potage.
Pas plus d’amour au cœur que de fard au visage !
On la dit chrétienne. – Non pas !

De tout point elle est rèche, elle est stricte, elle est chiche ;
En fait de poésie, elle aime l’acrostiche ;
En fait d’art, les fleurs en papier.

A peindre un tel objet la couleur s’embarrasse :
Il faudrait des vers froids et nets comme la glace,
Durs et coupants comme l’acier.

Q15 – T15 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

A toute vapeur ! Les futaies, — 1869 (17)

Louis Veuillot Les couleuvres

Grande vitesse

A toute vapeur ! Les futaies,
Les blés, les herbes, les maisons
Prennent le vol ; les horizons
S’effilent en changeantes raies.

Vertes, frétillantes et gaies,
Et balançant leurs frondaisons,
Comme un serpent dans les gazons
Se perdent en zigzag les haies.

Vergers, châteaux, aridités,
Fleuves, collines et cités
S’en vont de pareille furie.

Mirage prompt à t’effacer,
Tu nous vois plus vite passer,
Plus vaines ombres de la vie !

Q15 – T15 – octo

Donc, cher lecteur, on te propose, — 1869 (15)

Louis Veuillot Les couleuvres

Donc,  cher lecteur, on te propose,
Cette trousse de petits vers.
Tu peux le prendre de travers ;
Il faut oser un peu. L’on ose.

Tout ne va pas à toute chose :
Divers gibiers, engins divers.
A la chasse au rien par les airs,
Pourquoi du bronze, ou de la prose ?

Un quatrain d’où sort le sifflet,
L’angle affilé d’un triolet
Opèrent mieux que gros chapitres.

Ils entrent mieux dans les cerveaux :
Prends, va ! Ce sont petits couteaux,
Bon pour desserrer les huîtres.

Q15 – T15 -octo

Il me souvient d’avoir été guillotiné, — 1869 (9)

Fernand Desnoyers Le vin
Impressions d’un guillotiné
Poème en trois sonnets

I
Il me souvient d’avoir été guillotiné,
Accident dont j’ai fait l’analyse complète
La séparation du tronc et de la tête
Fait mal, quoiqu’on en dise, au pauvre condamné.

Le chef tombé resta pensif comme un poète.
Un battement nerveux dans un côté du né
Fixa l’oeil du bourreau fort impressionné
Qui m’avait fait l’effet d’un commerçant honnête.

Je fus vraiment flatté d’occuper son regard.
Mon spectre s’incrusta dans son esprit hagard …
La souffrance a cessé quand la tête est coupée.

La cause de ma mort fut que j’avais haché
Comme chair à pâté, sans même être fâché,
Ma femme, après l’avoir indignement trompée.

Q15 – T15

O sole ! poisson merveilleux ! — 1868 (27)

Eugène Vermeersch Sonnets gastronomiques

La sole

O sole ! poisson merveilleux !
Il faudrait au moins dix chapitres
Pour énumérer tous tes titres
A ce sonnet respectueux.

Les Vatel te comprennant, eux,
T’entourent du velours des huîtres,
Des truffes, des moules bêlitres,
Et des champignons savoureux.

La Nature s’est surpassée
Quand elle ourdit ta chair, tissée
De filets tenus, égrillards

Et qui mieux qu’un savant breuvage
Révèlent au penchant de l’âge
L’Amour dans le sang des vieillards.

Q15  T15  octo

Des convives repus la fatigue s’empare … — 1868 (24)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires in  L’Eclipse

Le macaroni

Des convives repus la fatigue s’empare …
Servez alors ce plat riche et mélodieux
Qui nous vient d’Italie et qui lui vint des dieux
De la divinité c’est le don le plus rare.

De graisse de chapon ne soyez point avare
Prodiguez les rognons de coq, les savoureux
Champignons et la truffe aux pouvoirs amoureux,
Demandez à Bontoux comment ils se préparent.

Que des lèvres d’argent de la cuiller qui sort
Brusquement du ragoût, des stalactites d’or
Tombent ; vous connaitrez à quel point sont futiles

Les splendides objets de notre vanité,
Que notre estomac seul veut être respecté
Et que les paradis sont choses inutiles.

Q15  T15

Le siècle est aux chevaux – on est d’humeur morose, — 1868 (23)

Delphis  de la Cour Poésies et sonnets couronnés en 1867

Le siècle est aux chevaux – on est d’humeur morose,
On pense que l’esprit est d’un mince rapport,
On ne parle jamais que de turf et de sport ;
On aime mieux sentir le cheval que la rose.

Le siècle est à l’argent, le siècle est à la prose,
La Bourse est un écueil que l’on prend pour un port,
L’amour se traite en prime et l’honneur en report ;
Le bruit de l’or, hélas ! fait taire toute chose.

Le poète n’est rien, c’est un type effacé.
La prose rit bien haut du style cadencé ;
Le chant du rossignol est sifflé par les merles.

Le poète n’est rien, dis-tu, siècle insensé !
Par lui le diamant est dans l’or enchassé,
Il enfile les mots, mais ces mots sont des perles !

Q15 – T15

De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches — 1868 (15)

coll. sonnets et eaux-fortes

Leconte de Lisle

Le combat homérique

De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches
Des taureaux égorgés couvre les cuirs velus,
Un tourbillon guerrier de peuples chevelus
Hors des nefs s’épaissit, plein de clameurs farouches.

Tout roule et se confond, souffle rauque des bouches,
Bruit des coups, les vivants et ceux qui ne sont plus,
Chars vides, étalons cabrés, flux et reflux
Des boucliers d’airain hérissés d’éclairs louches.

Les reptiles tordus au front, les yeux ardents,
L’aboyeuse Gorgô vole et grince des dents
Par la plaine où le sang exhale ses buées.

Zeus, sur le pavé d’or, se lève, furieux,
Et voici que la troupe héroïque des dieux
Bondit dans le combat, du faîte des nuées.

Q15 – T15