Archives de catégorie : rons

Q15 – T15

Quand le sonnet renferme une mâle pensée — 1862 (5)

Charles FretinFolles et sages

Le sonnet
I

Quand le sonnet renferme une mâle pensée
Eclatant à la fin par un sublime vers,
C’est la frégate armée, à l’horizon des mers
Se montrant tour à tour, sur la vague bercée;

Comme par un vent frais, elle approche poussée,
Harmonieux miroir, bientôt les flots amers
Reflètent ses grands mâts qui balancent les airs,
Son pavillon qui flotte et sa taille élancée.

Tandis que dans l’azur et du ciel et des eaux
Vous regardez tranquille onduler ses drapeaux,
Elle, dans les canons, presse et presse la poudre;

Puis, rapide, elle accourt, toutes voiles dehors,
Et, faisant feu soudain du port et des sabords,
Sur vous lance en passant les éclairs et la foudre.

Q15 – T15 – s sur s

Grondez sur ma tête, orchestres des airs; — 1861 (3)

Edmond ArnouldSonnets et poèmes

Grondez sur ma tête, orchestres des airs;
Faites frissonner rameaux et feuillages;
Tirez des accords profonds et sauvages
Des sombres sapins et des chênes verts;

Répétez pour moi, dans les bois déserts,
Ces rumeurs, ces cris, ces chants, ces langages,
Que vous murmuriez en ces premiers âges
Où vous parliez seuls au vieil univers;

Où l’on n’entendait passer dans les plaines
Ni l’accent plaintif des douleurs humaines,
Ni le cri joyeux des jeunes amours;

Où nul n’écoutait votre voix puissante,
Excepté celui dont la main savante
Travaillait dans l’ombre à l’oeuvre des jours!

Q15 – T15 – tara

M. SchuréEtude sur les sonnets d’Edmond Arnould – Le sonnet a été de tout temps le péché poétique des savants et des philosophes. Le vrai poète choisit d’instinct la forme qui répond le mieux à son sentiment et en marque pour ainsi dire la cadence. L’érudit, s’il essaie d’être poète, se plait à mouler sa pensée dans une forme arrêtée, à en ciseler les contours avec un soin jaloux. Le sonnet se prète merveilleusement à l’archaïsme, au trait d’esprit, à l’aphorisme philosophique. Peut-être faut-il regretter qu’Edmond Arnould ait confié ses sentiments les plus forts, ses pensées les plus riches à cette forme d’une élégance recherchée. Il eût été plus libre, plus naturel, plus inspiré, en un mot, en n’adoptant aucun cadre. Nous aurions, des luttes de sa vie intime, une plus frappante image, s’il avait rendu, par la variété des rythmes et des combinaisons prosodiques, le ton primitif de chacune de ses émotions. Mais si je ne me trompe, la forme du sonnet, qu’il semble avoir adoptée une fois pour toutes, tient à la nature particulière de sa pensée et de son activité poétique …. pour un tel poète, le sonnet était un cadre heureux. Car, dans sa forme étroite, dans son rythme contenu, dans son harmonie pleine, il sait exprimer énergiquement une pensée simple et forte. La lutte que dans ce travail le poète soutenait contre la forme, n’était au fond que la lutte de sa pensée avec elle-même. En l’exprimant brièvement et fortement, il en devenait maître et prenait acte de conviction.

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil, — 1860 (1)

Amédée Pommier Sonnets sur le salon de 1850

Le lever Eugène Delacroix

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil,
Du lit encourtiné tu délaisses la plume,
Car il est déjà tard et ta vitre s’allume
Aux rayons scintillants que darde le soleil.

Eh quoi! tu n’es pas même en ce simple appareil
Dont parle Jean Racine! Est-ce donc la coutume
Qu’on fasse sa toilette en si léger costume
Et qu’on se mire nue au moment du réveil?

Il est bizarre, au moins, conviens-en, jeune fille,
D’être sans voile ainsi jusques à la cheville
C’est un habillement un peu … décolleté.

Pour toi, tu vas peignant ta blonde chevelure,
Et c’est là ton souci! Que faut-il en conclure?
Qu’apparemment on est au plus fort de l’été.

Q15 – T15

Il est des jours où la muse rebelle, — 1858 (5)

Auguste Lestourgie Près du clocher

A Chéri Vergne

Il est des jours où la muse rebelle,
Comme un oiseau las de fendre les airs,
N’a plus d’amour pour les tendres concerts,
Se tait, se pose, et n’ouvre plus son aile !

Il est des jours où la flamme immortelle
Paraît éteinte ; où, semblable aux déserts,
Le cœur n’est plus qu’un stérile univers,
Sans fleur, sans vie, où nul feu n’étincelle !

Mais quand on jette à ce cœur désolé
Un nom, un seul – soudain s’est envolé
L’oiseau chanteur qui sommeillait dans l’âme !

La flamme vive a paru – tout fleuri,
Vivant, peuplé, le désert a souri! –
Ce nom puissant c’est un doux nom de femme !

Q15  T15  déca

La tribu prophétique aux prunelles ardentes — 1857 (10)

Baudelaire Les fleurs du mal

Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mis en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler de rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

Q15 – T15


Suivi des souvenirs de ma normande plage, — 1857 (1)

Alexandre Cosnard in La Muse des familles

Fleurs hâtives

Suivi des souvenirs de ma normande plage,
Parfois, portant mes pas et ma tristesse ailleurs,
Je rencontre un pommier tout jeune et tout en fleurs,
Quoique de bois chétif et presque sans feuillage:

Je rencontre un enfant, parmi ceux du village,
Qui semble, à son maintien, n’être pas un des leurs …
Pauvre ange aux grands yeux bleus, aux fiévreuses couleurs,
Grave et pensant raison si longtemps avant l’âge!

Les gens de ce pays sont pleins d’espoir alors:
L’enfant et le jeune arbre aux précoces trésors,
On les fête à l’envi, mais moi, mon coeur se serre;

Car, pour l’arbre et l’enfant, ma mère avait chez nous
Un triste adage appris par moi sur ses genoux,
C’est: « Croître de souffrance et fleurir de misère! »

Q15 – T15 -bi

Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au coeur — 1854 (8)

Gérard de Nerval Les Chimères

Antéros

Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au coeur
Et sur un col flexible une tête indomptée;
C’est que je suis issu de la race d’Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.

Oui, je suis de ceux-là qu’inspire le Vengeur,
Il m’a marqué le front de sa lèvre irritée,
Sous la pâleur d’Abel, hélas! ensanglantée,
J’ai parfois de Caïn l’implacable rougeur!

Jéhovah! le dernier, vaincu par ton génie,
Qui, du fond des enfers, criait: « O tyrannie! »
C’est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon …

Ils m’ont plongé trois fois dans les eaux du Cocyte,
Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte,
Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.

Q15 – T15

Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers: — 1854 (7)

Gérard de Nerval Les Chimères

Horus

Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers:
Isis, la mère, alors se leva sur sa couche,
Fit un geste de haine à son époux farouche,
Et l’ardeur d’autrefois brilla dans ses yeux verts.

« Le voyez-vous, dit elle, il meurt, ce vieux pervers,
Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche,
Attachez son pied tors, éteignez son oeil louche,
C’est le dieu des volcans et le roi des hivers!

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle,
J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle …
C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris!  »

La déesse avait fui sur sa conque dorée,
La mer nous renvoyait son image adorée,
Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.

Q15 – T15

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée — 1851 (9)

Charles-Simon-Frédéric Devert Poésies


La dernière heure de l’année, sonnet

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée
L’aiguille, sur l’émail achèvera son tour,
Quand sonnera cette heure où finit chaque jour,
Avec son dernier bruit expirera l’année.

Pour toi, fille du temps, par ton père entrainée,
Le terme est arrivé d’un règne, hélas! bien court ! …
Dans l’abîme éternel tu tombes sans retour ;
Une nouvelle sœur succède à son ainée.

Si le passé n’obtient qu’un faible souvenir,
Notre espérance avide accueille l’avenir ;
Trop lent à notre gré chaque soleil se lève …

Et chacun d’eux, témoin de nos vœux insensés,
Les verra, dans son cours, déçus et dispersés,
De même qu’au réveil s’évanouit un rêve ! …

Q15  T15

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine — 1851 (4)

Alfred de Martonne Les offrandes

Aux Lecteurs. Imité de Pétrarque

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Aux jours de ma jeunesse, en ma première erreur,
Quand j’étais un autre homme et je portais ma chaîne.

Du style varié dont j’ai chanté ma peine
Et ma vaine espérance et ma vaine douleur,
O vous qui de l’amour avez senti l’ardeur
Vous me pardonnerez la faiblesse incertaine.

Hélas! je le vois bien à mes derniers instants;
Du monde entier je fus la fable trop longtemps,
Et de moi bien souvent je rougis, quand j’y songe.

De ma démence ainsi ma rougeur est le fruit;
Le repentir amer, comme un remords le suit:
Je le vois: ce qui plaît au monde n’est qu’un songe.

Q15 – T15 – tr (Pétrarque rvf 1) « Ces quelques sonnets », explique l’auteur,  » sont extraits de cinq gros volumes, qui contiennent plus de vingt mille vers dans tous les rythmes. L’auteur, après les avoir relus au moment de l’impression, et perdu toutes ses illusions sur leur mérite, et n’a osé livrer que cette faible partie à l’indifférence du public, après l’avoir arraché à la sienne propre.  »

Une deuxième édition, avec 55 sonnets (5 de plus), a paru en 1868, sous le titre Ludibria Ventis.