Archives de catégorie : Formule entière

Sur un trône plus haut encor, viens te placer; — 1829 (3)

A. Fontaney mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

Sur un trône plus haut encor, viens te placer;
Tu l’avais dit: Ton sceptre, ô Victor, c’est ta lyre.
Les insensés pourtant, quel était leur délire!
Avaient cru que son poids te dût sitôt lasser!

Quoi! sur ton char de gloire en te voyant passer,
Par cet appât vulgaire ils pensaient te séduire,
Et que, dans ton chemin, cet or qu’ils faisaient luire,
Comme un prix de tes chants tu l’irais ramasser!

Majesté du génie, à toi le diadème
Radieux, éternel; tu l’as conquis toi-même,
Et tu sais le porter, et tu ne le vends pas!

Qu’ils tremblent de fouler ces domaines de l’âme,
Tes royaumes, volcans assoupis, dont la flamme
A ta voix, en Etans, jaillirait sous leurs pas.

Q15 – T15

Dans la création, tout est harmonieux, — 1829 (2)

Ernest Fouinet mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

A deux heureux

Dans la création, tout est harmonieux,
Comme l’ordre éternel d’où jaillirent les mondes.
Sur de tendres yeux bleus tombent des tresses blondes;
De vastes rayons d’or voilent l’azur des Cieux.

Les chants de la Provence, aux soleils radieux,
Sont pour les jeux, le rire et les joyeuses rondes.
Les forêts de Bretagne, obscurités profondes,
Sont pour l’isolement aux rêves soucieux.

Une femme penchée embrassant une harpe,
Déployant mollement son bras comme une écharpe,
C’est un groupe suave, une harmonie encor:

Mais la beauté, la grâce alliée au génie,
La colombe de l’aigle accompagnant l’essor,
C’est l’accord le plus beau: c’est là votre harmonie.

Q15 – T14 – banv

Mort, qu’es-tu? réponds-moi. L’âme vile et coupable — 1829 (1)

Nestor de Lamarque in Auguste Amic: Les méridionales

Sur la Mort

Mort, qu’es-tu? réponds-moi. L’âme vile et coupable
Se trouble à ton seul nom, s’alarme à tes assauts;
Tu montres au tyran le bras inexorable,
Qui du monde, à son tour, vient briser les fléaux.

Mais l’homme infortuné, que sans espoir accable
Le poids de la misère et de ses durs travaux,
Sourit au sombre aspect de l’heure inévitable,
Expire, et dans ton sein dépose tous ses maux.

Dans les champs périlleux qu’illustre son audace,
Le guerrier intrépide affronte la menace;
Le sage sait attendre, et te voit sans terreurs …

De nos biens, de nos maux, achève la mesure,
O mort, change à ton gré de forme et de figure,
Fantôme revêtu de nos vaines erreurs.

Q8 – T15

Près émaillés de fleurs, champs qu’arrose le Tage, — 1828 (5)

Pierquin de Gembloux Poésies nouvelles

Adieux du Camoëns

Près émaillés de fleurs, champs qu’arrose le Tage,
En répandant partout la vie et les plaisirs,
Ne vous verrai-je plus que dans mes souvenirs,
Bois charmans, frais gazons, témoins de mon jeune âge!

J’ignore si long-temps la fortune volage
Loin de vos heureux bords retiendra mes soupirs,
Quand vous serez rendus à mes brûlans désirs,
Et quand je reverrai ce paternel rivage!

Mais puisqu’ainsi l’ordonne un destin trop jaloux,
En éternels soucis je vais changer mes goûts;
A ce coeur qui vous aime il faut mettre des chaînes;

La voile est prête: on part: adieu, sol des héros!
Sur de nouveaux autels je vais porter mes peines,
Et mes larmes sans prix vont troubler d’autres eaux!

Q15 – T14 – banv

Depuis longtemps je suis entre deux ennemis; — 1828 (3)

Antoni Deschamps in Album d’Emile Deschamps

Depuis longtemps je suis entre deux ennemis;
L’un s’appelle la mort & l’autre la folie;
L’un m’a pris ma raison, l’autre prendra ma vie;
Et moi, sans murmurer, je suis calme et soumis.

Cependant, quand je songe à tous mes chers amis,
Quand je vois à trente ans ma jeunesse flétrie,
Comme un torrent d’été ma fontaine tarie,
J’entr’ouvre mon linceul et sur moi je gémis.

– Il repose pourtant, disent entre eux les hommes,
Et, debout comme nous sur la terre où nous sommes,
Nous survivra peut-être encor plus d’un hiver.

– Oui, comme le polype aux poissons de la mer,
Ou comme une statue, en sa pierre immortelle,
Survit à ceux de chair qui passent devant elle.

Q15 – T14 – banv

Quand le temps, grand changeur des hommes et des choses, — 1828 (2)

Emile Deschamps Etudes françaises et étrangères

Sonnet

Quand le temps, grand changeur des hommes et des choses,
Aura, sur ce beau lieu, jeté l’oubli des ans,
Quand chênes et sapins, brisés comme des roses,
Ne seront plus que cendre ou cadavres gisants;

Qui sait si, du chaos de ces métamorphoses,
Ressuscitant nos bois, aux détours séduisants,
L’histoire saura dire à nos vieux fils moroses,
Quels rois y poursuivaient sangliers et faisans?

Mais peut-être mes vers, à la race lointaine,
Diront: Elle passa deux mois à Mortfontaine,
Et ces deux mois pour nous, passèrent comme un jour;

Et c’est pourquoi les fleurs, les biches inquiètes,
Et les oiseaux chanteurs, et les amants poëtes,
Pleins du souvenir d’elle, aimaient tant ce séjour.

Q8 – T15

Prince, c’en est donc fait, tu te rends dans la tombe!! … — 1827 (1)

Emile Astaix Essais de Versification

Sonnet sur la mort de Sa Majesté Louis XVIII, Roi de France

Prince, c’en est donc fait, tu te rends dans la tombe!! …
Le burin de l’histoire et la postérité,
Qui pleureront le jour où ta bonté succombe,
Diront que ta vertu vaut l’immortalité!

Hélas! les vifs regrets de la tendre colombe
Lorsque du plomb mortel son amant est blessé,
N’égaleront jamais ceux où mon coeur retombe
Au douloureux aspect de ton astre éclipsé.

Que m’importe la vie en ce moment funeste?
Au trépas de mon roi, grand Dieu, quel bien me reste? …
Le seul épanchement de mes chagrins pieux.

Mais sans doute ton âme à ses aïeux augustes
Ne pouvait envier un sort plus glorieus …
LOUIS s’est endormi du beau sommeil des justes!

Q8 – T14

Employé de banque à Bordeaux. L’un de ses deux sonnets. (L’autre est un acrostiche).

O ! Cieux, si du Très-Haut, dans votre immensité, — 1826 (2)

J-L – J.R. Les quatorze sonnets

La Divinité

O ! Cieux, si du Très-Haut, dans votre immensité,
Vous ne faites pourtant qu’étaler la puissance,
Quel sera donc l’éclat propre à sa majesté ?
Qui pourra soutenir sa gloire et sa présence ?

A lui seul est l’Empire et la Divinité,
Gardons-nous de vouloir pénétrer son essence,
Tandis que trois fois saint, sans blesser l’unité,
Il s’éclipse aux regards de votre intelligence.

Mais puisque sa nature au-dessus des humains
Demeure inaccessible à nos yeux incertains,
N’allons pas rechercher le jour avant l’aurore.

Mortel en attendant qu’elle se fasse voir,
Que ta raison se taise et ton silence adore
L’être dont le néant reconnut le pouvoir.

Q8  T14

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre — 1824 (3)

Hippolyte Thomas Sonnets

Napoléon

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre
Envîra tes débris, et consacrant tes fers,
Et ton courage encor plus grand que tes revers,
Des pleurs de l’héroïsme ira baigner ta cendre.

O cygne harmonieux des rives du Méandre!
Renais de ton génie et vole au sein des mers,
Où ta valeur absente effrayait l’univers.
Quelle gloire à chanter! quelles pleurs à répandre!

A ses affreux destins rien n’a pu l’arracher!
Trop serré dans l’Europe il meurt sur un rocher.
Ce siècle à Vaterlo s’arrête avec sa gloire.

Des passions en feu l’apôtre et le martyr,
Sur tes vastes débris consommant ta victoire,
C’était à Vaterlo que tu devais mourir.

Q15 – T14 – banv

Monsieur Thomas joint ‘pleurs’ à ‘amours, délices et orgues’. Cela est courant encore à l’époque.

Louis montait au ciel; son frère sans défense, — 1824 (2)

Hippolyte Thomas Sonnets

Louis XVIII et Madame

Louis montait au ciel; son frère sans défense,
Loin de la tombe, hélas! où dorment ses aïeux,
Traînant de rois en rois une oisive espérance,
Sur des malheurs sans crime interrogeait les Cieux.

Partout du désespoir le douloureux silence!
Tel, dans la Grèce antique, un sort injurieux
De coupables remords effrayait l’innocence
Et dévouait Oedipe aux caprices des dieux.

Fille du roi-martyr, dans ces longs jours d’orages,
Devant l’éternité, cette mer sans rivages,
Tu dépouillas la gloire à l’ombre des autels!

Là, sous un deuil pieux, dans une vie austère,
Cultivant du Thabor la palme solitaire,
Ta vertu vengea Dieu du mépris des mortels.

Q8 – T15