Archives de catégorie : Formule entière

Un corps noir tranchant un flamant au vol bas — 1969 (5)

Georges PerecLa disparition

d’un compagnon d’Oulipo

La disparition

Un corps noir tranchant un flamant au vol bas
un bruit fuit au sol (qu’avant son parcours lourd
dorait un son crissant au grain d’air) il court
portant son sang plus loin son charbon qui bat

Si nul n’allait briller sur lui pas à pas
dur cil aujour’d’hui plomb au fil du bras gourd
Si tombait nu grillon dans l’hors vu au sourd
mouvant bâillon du gris hasard sans compas

l’alpha signal inconstant du vrai diffus
qui saurait (saisissant (un doux soir confus
ainsi on croit voir un pont à son galop)

un non qu’à ton stylo tu donnas brûlant)
qu’ici on dit (par un trait manquant plus clos)
l’art toujours su du chant-combat (noir pour blanc)

Q15 – T14 – 11 s – Lipogramme en ‘e’

La beauté nous suggère un désir de surcroît. — 1967 (1)

Igor Astrow, trad. – Cent sonnets de Shakespeare


1

La beauté nous suggère un désir de surcroît.
Rose, on ne la vit pas fanée et transitoire.
Et, comme avec le temps mûrie, elle déçoit,
Par un tendre héritier se transmet sa mémoire.

Or, toi plein de toi-même et de ton propre éclat,
De ta substance exquise alimentant ta flamme,
Tu fais famine, alors que l’abondance est là
Et toi-même es le pire ennemi de ton âme.

Tu parais aujourd’hui le plus frais ornement
Du Monde et seul héraut des printanières fêtes.
Mais en te cantonnant en ton contentement,
Tu prépares ainsi ton ultime défaite.

Prends donc pitié du monde et ne le prive pas
De beauté sans pareille, à l’heure du trépas.

shmall – sh1

Le jour, quand il finit, ne finit rien que lui, — 1966 (4)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé

Le jour, quand il finit

Le jour, quand il finit, ne finit rien que lui,
que lui le jour – ou plutôt: Mon jour, ou plutôt
ce qui me revenait du jour, ce qu’il me faut
de jour pour accepter mon retour à la nuit;

ma part de jour selon mon appétit, selon
mon souffle; ou ce qu’il faut au jour, ou ce que veut
de moi le jour à chaque regard de mes yeux,
puisque mon cercle tourne et que les jours s’en vont.

Rien n’est fini de moi quand le soleil s’en va.
Rien n’est fini de lui quand la nuit tombe et ferme
sa porte entre nous deux comme un double épiderme.
Rien. cette nuit n’est rien que le soleil sans moi.

Aussi, pour que jamais quelque  chose finisse,
Hors du jour et de moi je dois chercher mes fils.

Shmall*

Le bruit du pas-de-bruit d’un pas — 1966 (2)

Olivier LarrondeL’arbre à lettres


Le pas – pas

Le bruit du pas-de-bruit d’un pas
Qu’a-t-il à ne nous dire pas
Qu’en toi le peu de bruit des pas
Fait la rigole d’un trépas

Réfléchissons là que poissons
Pas dans l’eau d’un bonheur sans rex
Quand le talon des ultrasons
Veut bien circonscrire un inflex

Le deux fois pas de bruit des pas
Met de trop ton chat qui pénètre
Par la fenêtre du non-être

Jusqu’à ne peut-être pas naître
Dans le pas-toi de mon patois
Où l’image n’a mis qu’un toit.

aaaa bcbc add dee – octo

Le pays du début d’octobre n’avait fruit — 1965 (8)

Yves Bonnefoy Pierre écrite


La parole du soir

Le pays du début d’octobre n’avait fruit
Qui ne se déchirât dans l’herbe, et ses oiseaux
En venaient à des cris d’absence et de rocaille
Sur un haut flanc courbé qui se hâtait vers nous.

Ma parole du soir,
Comme un raisin d’arrière-automne tu as froid,
Mais le vin déjà brûle en ton âme et je trouve
Ma seule chaleur vraie dans tes mots fondateurs.

Le vaisseau d’un achèvement d’octobre, clair,
Peut venir. Nous saurons mêler ces deux lumières,
O mon vaisseau illuminé errant en mer,

Clarté de proche nuit et clarté de parole,
– Brume qui montera de toute chose vive
Et toi, mon rougeoiement de lampe dans la mort.

bl – 2m :6s: v.5

Douce est la belle comme si musique et bois, — 1965 (6)

Jean Marcenac & André Bonhomme trad. Pablo NerudaLa centaine d’amour

10

Douce est la belle comme si musique et bois,
Agate, voile, blé, et pêchers transparents
Avaient érigé sa fugitive statue.
A la fraîcheur du flot elle oppose la sienne.

La mer baigne des pieds lisses, luisants, moulés
Sur la forme récente imprimée dans le sable;
Maintenant sa féminine flamme de rose
N’est que bulle battue de soleil et de mer.

Ah! que rien ne te touche hormis le ciel du froid!
Que pas même l’amour n’altère le printemps.
Belle, réverbérant l’écume indélébile,

Laisse, laisse ta hanche imposer à cette eau
La neuve dimension du nénuphar, du cygne
Et vogue ta statue sur l’éternel cristal.

bl – tr

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé, — 1964 (1)

Emile Roumer Rosaire (couronne de sonnets)

sonnet liminaire
Immaculée conception

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé,
Eve entre flore ingrat, caverne l’ours pour asile,
Flancs déchirés par enfantement main inhabile
A repousser la mort et serpent endiamé*

Lors Isaïe té dit, parole enflammé
Le Christ oun vierge t’a fe l’, cé fond même l’Evangile
De Pi à Jean XXIII – Min san t’a pi facile
Soti lan jardin clos ou lun tombeau fermé ?

La Genèse pas t’ manqué prédi gloire deuxième Eve
Et toute chrétiene connin la Vierge, à la relève
T’a crasé tête serpent pour trahison passé.

Lan salut genre humain Bon Dieu prend, bien suprême
Choisit ac dilection rameau tige a Jessé
Pour que fleur donnin fruit et rété fleur quand même !

Q15  T14  – banv – métrique irr.

Le liège, le titane et le sel aujourd’hui — 1962 (4)

Raymond Queneau – in Jacques Bens – OU LI PO (1960-1963)


Poème isovocalique

Le liège, le titane et le sel aujourd’hui
Vont-ils nous repiquer avec un bout d’aine ivre
Ce mac pur outillé que tente sous le givre
Le cancanant gravier des coqs qui n’ont pas fui

Un singe d’ocre loi me soutient que c’est lui
Satirique puis qui sans versoir se délivre
Pour n’avoir pas planté la lésion où vivre
Quand du puéril pivert a retenti l’ennui

Tout ce porc tatouera cette grande agonie
Par l’escale intimée au poireau qui le nie
Mais non l’odeur du corps où le cuivre est pris

Grand pôle qu’à ce pieu son dur ébat  assigne
Il cintre, o cytise, un bonze droit de mépris
Que met parmi le style obnubilé le Cygne.

Q15 – T14  tr. de Mallarmé

Le monstre dans lequel j’ai glissé: minotaure — 1962 (2)

Pierre-Jean JouveMoires

Sur le théâtre

Le monstre dans lequel j’ai glissé: minotaure
De la querelle morne et des bas longs et noirs
Brandis par la danseuse obscène vers le centre
Labyrinthe ou trésor ou meurtre ou nonchaloir;

Monstre confus formé des étreintes bestiales
Enfermé au dédale des cœurs journaliers
Partout tuant baisant comme des saturnales
Le spectacle banal aux riches chandeliers;

Le monstre dont riront dans les fauteuils stupides
Ces messieurs-dames qui ne veulent rien savoir
Des cris des coups des mondes souterrains avides,

Mais s’esclaffent car il s’agit de désespoir;
Tel est ce labyrinthe où des buissons vivants
Ont écorché l’esprit en ruisselets de sang.

shmall

Deux femmes emmêlées forment une langouste — 1962 (1)

Pierre-Jean JouveMoires

Inferno III

Deux femmes emmêlées forment une langouste
Travaillant en miroir derrière le balcon
Rideaux tirés pour la sentinelle salace,
L’une rousse paraît un homme avec des seins

L’autre maigreur châtain est ivre et taciturne,
Alors des ventres bruns en triangle et des seins,
Des dures jarretelles étendant les cuisses,
Des chairs qui survolant se trouvent au plafond,

Et de l’or en paiement, des draps et portefeuille,
Et du ballet muet des bouches dans les yeux,
Des soutiens-gorge et souliers hauts sur les dentelles,

Elles dressent l’autel sacrilège honteux
Au Démon qui regarde et surpris de la rage
Eprouve malgré lui le plaisir furieux.

bl