Archives de catégorie : Formule entière

O vous qui recherchez dans ces rimes éparses — 1933 (3)

Fernand Brisset Pétrarque à Laure

1

O vous qui recherchez dans ces rimes éparses
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Dans le dérèglement de ma prime jeunesse,
Quand j’étais en partie autre que je ne suis.

Sous le style changé dans lequel je déplore
Tant de vaines douleurs et tant de vains espoirs,
J’espère, de vous tous, si vous avez aimé,
Obtenir indulgence et même sympathie.

Mais je vois que je fus longtemps pour tout le monde
Un objet de risée, et, souvent, j’en éprouve
A part moi, pour moi-même, un sentiment de honte,

Car la honte est le fruit de toutes mes folies,
Comme mon repentir, comme ma certitude
Que le plaisir sur terre est un songe bien court.

bl – tr  – La version qu’il avait publiée en 1899 était en prose

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève, — 1933 (2)

Jacques Lacan (in Le Phare de Neuilly)

Hiatus irrationalis

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève,
Formes, que vous naissiez de la forge ou du sang,
Votre torrent n’est pas plus dense que mon rêve;
Et, si je ne vous bats d’un désir incessant,

Je traverse votre eau, je tombe vers la grève
Où m’attire le poids de mon démon pensant.
Seul, il heurte au sol dur sur quoi l’être s’élève,
Au mal aveugle et sourd, au dieu privé de sens.

Mais, sitôt que tout verbe a péri dans ma gorge,
Choses, que vous naissiez du sang ou de la forge,
Nature, – je me perds au flux d’un élément:

Celui qui couve en moi, le même vous soulève,
Formes, que coule en vous la sueur ou la sève,
C’est le feu qui me fait votre immortel amant.
H.P. août 29

Q8 – T15

Appelé bientôt à d’autres combinaisons, — 1932 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets sans écho, etc.

Sonnet

Appelé bientôt à d’autres combinaisons,
J’y voudrais retrouver ce soir et ses merveilles,
Ce parc avec les miens, ces lumières vermeilles
Et vertus clair-obscur, ce lac & ses gazons.

Lune, peupliers, cygne et saule, exhalaisons,
C’est l’automne lunaire aux décadentes treilles,
Déjà; ce sont déjà, chers cœurs, les avant-veilles
Des soirs, des longs soirs où nous nous emprisonnons.

Ma femme, ma fille, oh! Aimons la douce automne
Qui se soir, dans ce parc, en passant nous redonne
Un peu de sa chaleur et de son franc parfum.

Dînons au bord du lac où cet automne rôde
Sous l’électricité du rayon calme et brun
Qui sort du temps, du lac et de la brume chaude.

Q15 – T14 – banv

Tandis que pour lutter avec ta chevelure, — 1931 (10)

Lucien-Paul Thomas (trad) Oeuvres de Gongora

« Mientras por competir … »

Tandis que pour lutter avec ta chevelure,
L’or bruni du soleil rayonne vainement ;
Tandis que ton front blanc regarde avec dédain
La belle fleur de lys au milieu de la plaine ;

Tant que moins de regards cherchent l’œillet de l’aube
Qu’il en est pour cherche ta lèvre et la cueillir ;
Et que triomphe encore, en son jeune mépris,
Du lumineux cristal, ton col harmonieux ;

Ah ! jouis de ton col, cheveux, lèvres et front,
Avant que ce qui fut, en ton âge doré,
Or, fleur de lys, œillet et lumineux cristal

Non seulement se change en argent, en violette,
Mais que suivant leur sort, tu sois muée en tere,
En poussière, en fumée, en ombre, et en néant.

bl  tr

L’oiseau de flamme apporte un message. La grille — 1931 (8)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’oiseau de flamme apporte un message. La grille
Ne s’ouvre plus qu’aux doigts des anges menaçants.
Aux fenêtres du nords des violons cassants
S’accoudent et l’amour enlace un ciel qui brille.

Au large les bijoux et leur louche escarbille,
Les éventails de roche ou de verre, l’encens
Pourpre des baisers morts ! tous les êtres absents
Les beaux points cardinaux continuent leur quadrille.

C’est toi qui viens, immense aurore éternité
Je le sais, tu rendras ce qui fut habité
Plus muet qu’une fleur et plus douteux qu’un prisme.

Après moi qui n’aspire à toi que par dépit
Comme un papillon blanc au vague mimétisme
Un épi bleu se couche et c’est un noir épi.

Q15  T14 – banv
Dans ces deux sonnets (7-8) parfaitement banvilliens, d’écriture automatique, l’inconscient du poète s’est soumis à la forme stricte sauf que, patatras, le dernier vers du premier sonnet contient un énorme hiatus. Et les vers 12 et 14 du second riment de manière erronée. On ne joue pas sans risque avec l’inconscient !

L’amour sur le chemin dansait avec la peur — 1931 (7)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’amour sur le chemin dansait avec la peur
Car je portais le feu des étoiles aux vignes.
Il m’a fallu plus tard interpréter les signes
Des grands puits de pétrole et du désir trompeur.

Le jour se balançait, tendre comme un vapeur
Par-delà les talus couverts de fleurs malignes,
Les femmes qu’entrainait la lumière étaient dignes
De me guider brillant chèvrefeuille grimpeur.

Une aune de ruban merveilleux s’envolait
De chaque épave, un ciel fait de bouquets de lait
Aux apparitions donnait libre carrière.

Mon cheval approchait au galop de minuit
De ce poste le plus éloigné de la terre
Où depuis je suis mort et où mon âme luit

Q15  T14 – banv

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front — 1931 (6)

Gérard d’Houville Les poésies

Les amis

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front
Je veux aimer les habitants du noir rivage
Ceux qui, trop tôt pareils aux fantômes sans âge,
D’un rêve inassouvi peuplent le Styx profond.

Oui. Je le sais. Plus tard, au jour ils rentreront
Continuant le livre ou finissant la page,
Jeunes gens, jeune femme, et ce même visage
Interrogeant l’amour qui jamais ne répond…

Mais, avant de renaître en ces forces futures,
Encore, attendez-moi sur les rives obscures.
Bientôt j’arriverai. Car je veux vous revoir

Amis de ma jeunesse! Et vous dire, ombre d’ombre,
Tout ce que, lorsqu’on vit, on n’a pas le pouvoir
D’exprimer, que l’on tait, et qui, dans l’âme, sombre …

Q15- T14 – banv

Oh! quand sous la nécrose —1931 (5)

Charles-Adolphe Cantacuzène L’au-delà de l’en-deçà

Sonnet

Oh! quand sous la nécrose
L’homme, encor plus vivant,
Souffre et se décompose
Et meurt énormément!

Mais le saint, cette rose,
En son embaumement,
Il ne se décompose;
Mais mort, il souffre tant!

Il souffre, le saint tendre,
De ne pouvoir attendre
Décomposition.

Les rayons de la grâce
Brûlent sur la surface
Du cadavre, glaçon.

Q8 – T15 – 6s

O jeunesse voici que les noces s’achèvent — 1931 (2)

Robert Desnos Les nuits blanches

O jeunesse

O jeunesse voici que les noces s’achèvent
Les convives s’en vont des tables du banquet
Les nappes sont tachées du vin et le parquet
Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves

Une vague a roulé des roses sur la grève
Quelque amant malheureux jeta du haut du quai
Dans la mer en pleurant reliques et bouquets
Et les rois ont mangé la galette et la fève

Midi flambant fait pressentir le crépuscule
Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent
Que leur sommeil soit calme et leur mort sans rigueur

Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles
Qu’on emplisse mon verre et bouchant mes oreilles
J’écouterai monter l’océan dans mon cœur

Q15 – T15