Archives de catégorie : Formule entière

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée — 1913 (12)

André Breton in ed. Pléiade

A vous seule

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée
Sœur ai-je dit je pressens que sous vos mains petites,
En précieux chignon ne fuserait la poupée
Tout ce qu’orne l’audace verte des clématites.

Un seau de femme où gèle en bleuissant l’eau pompée
Porte à voir au milieu de salores des stalactites
Un bout de corne pointe ustensile d’épopée
Au front des pauvres moutards de banlieue à otites.

On rapporte la fumée aux losanges de natte
Ainsi le rêve du forain mou je l’enviai
Que ce fut mordre à belles dents la baie incarnate

Ange vous selon mes paradoxes de janvier
Retintes ce long talus qui bée au vent moqueur
Et me pardonnâtes l’équipée à contre-coeur.

Q8 – T23 – 13s

– Lettre à Paul Valéry du 9 janvier 1916:  » Et voici même un  sonnet trop irrégulier. Que ne puis-je me retenir de vous faire part , avec la puérilité que vous condamnez, d’essais toujours malheureux ».
Réponse de P.V.:  » Nous avons lu ces derniers vers que vous m’avez envoyés. Ils font penser que vous êtes dans un état que les physiciens nommeraient critique. Leur brisement, leur art situé entre les types définis, le hasard introduit, voulu, rétracté à chaque instant, assurent que vous touchez un certain point intellectuel de fusion ou d’ébullition, bien connu de moi, quand le Rimbaud, le Mallarmé, inconciliables, se tâtent dans un poète. Début capital, perceptible si clairement dans ce sonnet où le solitaire, le volontaire, le seul soi, mais la rime exacte, la forme fixe, la recherche des contrastes coexistent ».

Il se sera perdu le navire archaïque — 1913 (11)

Antonin Artaud in Oeuvres complètes, I

Le navire mystique

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus;
Et ses immenses mats se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantique.

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des heures de la terre.
Il ne connaît que Dieu et sans fin solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux points de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Q15 – T14 – banv –  paru dans La criée n°15, 1922 – transcrit de mémoire en 1944

Tel qu’en l’obscur discours de Locke — 1913 (10)

Charles Derennes, Charles Perrot, Pierre Benoit, ed. La grande anthologie

Stéphane Mallarmé

Tel qu’en l’obscur discours de Locke
Agonisait sa sombre ardeur
Où sourdre avec tant de candeur
La gigantesque et molle cloque

Si pendillait la pendeloque
Cette languide et noire odeur
Qui hors du cœur du maraudeur
S’exalte et tend et flotte loque

Mais chez qui par amour se pend
Lourdement pend un grand serpent
En la courbure hypothétique

Tel qu’en l’unanime foison
Selon nul autre amer poison
L’aigre malade ne se pique

Q15 – T15 – octo

Maître dans le creuset où rougeoyait la fonte, — 1913 (9)

Charles Derennes, Charles Perrot, Pierre Benoit, ed. La grande anthologie

Henri-Mathurin de Regnier
Maestro sacrum

Maître dans le creuset où rougeoyait la fonte,
N’ayant point de métal qui m’appartînt à moi,
J’ai jeté, plein d’orgueil et d’extase et d’émoi,
Bayesid, Bragadin, Cysique et Métaponte.

Dès mes plus jeunes ans ayant aimé ta ponte,
Aigle qui ne pondait que tous les trente mois,
Des vers pareils aux tiens je fis dix à la fois;
Je l’énonce à regret et l’avoue à ma honte.

Mais j’ai, chez l’antiquaire, et chez le brocanteur,
Racheté le turban, le Centaure, le Teur,
Hercule, Rome, Naple, et la Draghme et le Cygne,

Et dans mes vers hâtifs songe qu’il est réel
Que, pour signifier ma modestie insigne,
Je fais les singuliers rimer aux pluriels.

Q15 – T14

Orgueil du grand sitôt en extase cabré, 1913 (8)

Paul Reboux et Charles Müller A la manière de
Sonnets

II

Orgueil du grand sitôt en extase cabré,
D’ombre et torse forêt en qui la même absconse
Fut. Etoile vitreuse où le nombre s’annonce,
Ascension clamée au trouble de l’entré,

Accord du geste avec le destin conjuré,
Vertical attestée en sa double réponse,
Pourpre en immensité banale et, si je fonce,
Pars, cri silencieux, et règne, soupiré!

Alors quand révolu triple s’itérative
L’astre, flux que soudain cueille une main craintive
Où l’infini du peu déploie un vol impur.

Et l’arc ainsi bandé par la détresse aiguë
Fera, foudre d’acier, incendie et ciguë,
Luire des larmes d’or aux blancheurs du futur.
Stéphane Mallarmé

Q15 – T15  on remarquera que la dispositions des rimes n’est pas mallarméenne
Glose
Un groupe d’érudits prépare une traduction française des oeuvres de Stéphane Mallarmé. Cette entreprise, en raison des recherches qu’elle nécessite, n’aboutira pas, sans doute, avant de longues années. Nous ne pouvons aujourd’hui donner au lecteur que la traduction du premier de ces deux sonnets:

Quand le vaticinant I Quand  le poète prophète

erratique I    qui ne sait où il va

Au larynx dédaléen, I et dont la parole s’égare,

divague, I divague

en sa manie I           en sa folie

tant dédiée I        si coutumière

et avant tout I   et qui, avant d’exister,
radiée de I se retranche même de ce
l’absent I       qui n’existe pas,

pour animer I     lorsqu’il va souffler

le syrinx de l’insaisissable, I   dans une flûte sans son,

O n’être que I     il rêve de n’être que
du sphinx I un sphinx
le mystère I          dont l’énigme
aboli I       n’ait pas de sens

par qui l’âme est congédiée I et de supprimer de l’âme
I     tout ce qui n’est pas

du clair-obscur I      complètement obscur,

O chevaucher I     il rêve, chevauchant

le lynx, aveugle I          un lynx aveugle

et de ses yeux exorbités I       aux yeux arrachés,
vers la victoire I      d’aller vers la gloire
irradiée I rayonnante!
Enigme I       Etant une énigme

telle la Pythie I     semblable à la Pythie
hypogéenne I      qui vit sous la terre,
Ambage I Etant plein de détours
non pas un I multiples

d’où dévie l’inconnu, I     d’où ne sort rien,

j’ai approfondi l’azur I j’ai reculé les limites

de l’impénétrable. I       du galimatias.

Et, cygne ténébral I Et, poète ténébreux

Sitôt hiéroglyphique I       dès que j’écris,
qu’ombre I        que rend nul

en son vide I   au sein de la nullité

un déléatur I un signe de suppression
obstructif, I paralysant,
J’offusque, I Je réponds
triomphal, I        triomphalement

le néant qui m’assigne. I      au défi du néant.

Les cryptographes ne se sont pas jusqu’ici mis d’accord sur le sens du deuxième sonnet. Certains proposent une version, mais nous respectons trop nos lecteurs pour la leur mettre sous les yeux.

Quand le vaticinant erratique, au larynx — 1913 (7)

Paul Reboux et Charles Müller A la manière de
Sonnets

I

Quand le vaticinant erratique, au larynx
Dédaléen, divague en sa tant dédiée
Et de l’Absent manie avant tout radiée
Pour de l’insaisissable animer la syrinx,

O n’être qu’aboli le mystère du sphinx
Pour qui du clair-obscur l’âme est congédiée!
O chevaucher, vers la victoire irradiée,
Aveugle, et de ses yeux exorbité, le lynx!

Hypogéenne telle énigme la Pythie,
Ambage non pas d’un d’où l’inconnu dévie,
J’ai de l’impénétrable approfondi l’azur,

Et, ténébral sitôt hiéroglyphique cygne
Qu’obstructif en son vide ombre un déléatur,
J’offusque, triomphal, le néant qui m’assigne.

Stéphane Mallarmé

Q15 – T14 – banv

Gai, gai, marions les heures — 1913 (5)

Léon Deubel in Oeuvres

Gai, gai, marions les heures
Aux souvenirs tour à tour,
Un instant frivole court
Sur son talon de couleur.

Que la mariée est belle
Sous ses fleurs en ses atours!
Chantons ses chastes amours!
Le futur est poivre et sel.

Il porte beau et ses bagues
Dardent mille éclats de dagues
Qui font assaut d’épidermes.

Ah! ces cloches envolées;
Gai! Vive la mariée;
L’instant luit comme un dieu terme.

Q15 – T15 – 7s

Maître, que l’on dit de Villon le frère, — 1913 (4)

Adrien RemacleLe Livre d’une jeunesse

Sonnet pour Paul Verlaine
« Il y eut plusieurs apôtres Paul, vers Damas  » Le Dépareillé
Argument: Paul, dans sa vie, un géant poète, effrayant, venant, leur frère, après les autres géants Charles d’Orléans, Villon, Vigny, Musset, Baudelaire, aussi grand qu’eux, aussi doux et tendre, plus doux et plus tendre qu’aucune tremblante brise humaine, et accroupi, acculé au roc d’une misère farouche qui était une grandeur de plus.

Maître, que l’on dit de Villon le frère,
Taureau très enfant, Platon sourcilleux,
Monstre en pleurs très doux de terribles yeux,
Humble et juste orgueil jadis et naguère,

Ton cœur si vibrant qui, délicat, erre
De l’amour humain vers celui des cieux,
Reste orphelin calme aujourd’hui que, vieux,
Ton amer Gaspard chante ta misère.

Tu n’as « balladé » tes belles margot;
Ni chanté « repue » en peine d’écot:
Tu restes dévot de la bonne Vierge,

Timide chrétien du péché confus,
Et, chantre indompté de l’horrible verge,
Quêtant du Seigneur pardons éperdus …

1886 Paris. Pavillon d’Assas

Q15 – T14 – banv – tara

Valence, qui descends mollement jusqu’au fleuve, — 1913 (3)

Jean-Marc Bernard Sub Tegmine Fagi

Nostalgie

Valence, qui descends mollement jusqu’au fleuve,
Dans la sérénité de la belle saison
Je te revois encore au bout de l’horizon,
Claire et blanche au milieu du ciel, ô ville neuve!

Il n’est plus rien que toi maintenant qui m’émeuve.
J’évoquerai dans mon esprit la frondaison
Des platanes puissants du Parc et son gazon
Si paisible à mes pas en d’âpres jours d’épreuve.

O Valence, voici ton Champ-de-Mars, voici
Tes terrasses au bord du Rhône et puis aussi
L’ombre apaisante, au soir, de tes larges allées;

Tes coteaux où la vigne est grise sous le vent …
– Et puis voici toutes mes larmes en allées
Vers la chaude clarté de ton soleil levant!

Q15 – T14

Les foules sont depuis cent ans venues — 1913 (2)

Edouard DujardinPoésies

Hommage à Shakespeare – suite –

Les foules sont depuis cent ans venues
Contempler le tombeau de ceux qui ne furent point;
Sans cesse et du plus loin,
Des mains inconnues

Ont gravé leur hommage sur le sépulcre où ingénue
Flotte la vision du couple surhumain,
Et plus d’un
A prié, près de ce marbre, vers ces ombres inadvenues.

Ainsi, ciel vide, ciel désolé, ciel morne, où sûrement,
Nul dieu n’habite, nul père, et nul espoir! ô firmament
Désert, divinement ainsi tu brilles,

Et bien que tel l’esprit te sache vide, désert et désolé,
Tu demeures, ainsi que le tombeau du jeune amant de la jeune fille,
Notre foyer, notre amour, et notre clarté.

Q15 – T14 – banv – m.irr