Archives de catégorie : Formule entière

La main fait glisser une légère — 1995 (6)

Hedi Kaddour Les fileuses

Les pommettes

La main fait glisser une légère
Bretelle noire le long de l’épaule
Trempée de pluie, et la ville
Sous le vent devient l’égale

Des gestes les plus clairs.
Réjouissons-nous un instant
De croire à la figure
, récite
La femme aux pommettes saillantes,

Alors qu’à petits pas les montres
Vont leur chemin dans le jour
Véritable.
Elle fut la première

A embrasser, et se surprend encore
De sa douceur en regardant sa jambe
Monter vers le vieux lustre.

bl – m.irr  plutôt octosyllabes

Etre là est absolument inexplicable, — 1995 (5)

Robert Marteau Registre (1999)

( Samedi 9- mardi septembre 1995)

Etre là est absolument inexplicable,
Vu que nous n’avons pas la possibilité
De voir l’infini non plus que l’infiniment;
Ni d’entendre la gravitation des corps
Célestes à l’intérieur de ce qui n’a
Pas de circonférence à proposer à l’oeil,
Même mathématique; et quant à la musique,
Nous ne savons pas expliquer qu’elle ait son chiffre
Dans les métaux consonnant aux sphères, et qu’elle
Sonne à l’esprit sans qu’en soit rompu le silence,
Nous autres jetés au centre qui est partout
Sans que nous sachions rien de ce qui nous entoure,
Mais voués à ce qui s’en va vers l’éternel
Où nous voulons renaître à ce que nous étions.

bl – 12s- sns

Le Christ a écrit sur le sable pour que tout — 1995 (4)

Robert Marteau Registre (1999)

(Dimanche 16 juillet 1995)

Le Christ a écrit sur le sable pour que tout
Soit dit en même temps qu’effacé. Même nous,
Nous ne sommes que des traces qui ont perdu
La mémoire de leur origine. Au début,
Il y avait le divin vide où tout était
Tenu en perpétuel renouvellement
Comme en perfection perpétuellement
Nouvelle. Il n’y avait, bien entendu, ni poids
Ni mesure: nous étions avec tout au sein
Des trois principes et par eux constitués
Ainsi que l’était tout ce qui fut et sera.
Qui donc alors se souviendrait de qui jeta
Hors du cercle infini la pierre inexistante,
Inaugurant la Chute et la Division?

bl – 12s- sns

Et ce serait un grand bonheur d’en finir à l’automne — 1995 (3)

Claude Esteban Quelqu’un commen ce à parler dans une chambre

Et ce serait un grand bonheur d’en finir à l’automne
avec ce corps qui n’en peut plus et dans les arbres un peu de vert,
tout resterait à sa place, sans nous, jusqu’à l’hiver
et puis viendrait la neige et la Noël pour tous les autres

quelqu’un dirait peut-être, connaissiez-vous cet homme-là,
je  ne sais plus son nom, il lui arrivait parfois de sourire
pour pas grand-chose, un nuage qui passe, mais il faut vivre
avec les siens, mais c’est déjà beaucoup de se souvenir

et l’on serait cet homme-là qui n’intéresse plus personne
mais qui ne souffre plus de son corps et ce serait déjà beaucoup,
peut-être qu’on serait mêlé dans la terre aux feuilles jaunes

et qu’on descendrait comme les fourmis au-dedans du chaud,
on dormirait, on n’aurait plus de mauvais rêve, on pourrait croire
que les morts sont heureux dans leurs demeures sans échos.

bl – m.irr

Comme partout ailleurs le ciel à Bezons — 1995 (2)

Guy Goffette Le pêcheur d’eau

Paix de coucou
A Gérard Noiret

I

Comme partout ailleurs le ciel à Bezons
Est par-dessus le toit, et peu s’inquiètent
En bas de la qualité d’une étoffe
Si commune – sauf le vieux boxer peut-être

Qui ne dort plus et rumine sa fin
Prochaine à la fenêtre du troisième
Cité des Lilas tandis que les petits
Pavillons de meulière font corps avec

Le souvenir l’oubli des jours maigres et
Du pain dur. C’était hier et ça reste
Comme le ciel dans la mémoire, un bleu

De plus en plus rapiécé: le retour
De mon père à la maison et ses mains
Nues et meurtries près de l’assiette à fleurs.

bl – 10 s

O vous qui écoutez dans mes rimes éparses — 1994 (4)

André Rochon trad. Pétrarque in Anthologie bilingue de la poésie italienne
O vous qui écoutez dans mes rimes éparses
Le son de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première errance juvénile,
Quand j’étais en partie autre que je ne suis

Le style varié, en quoi je pleure et parle
Parmi les vains espoirs et la vaine douleur,
Chez qui comprend l’amour pour l’avoir éprouvé,
Trouvera, je l’espère, et pardon et pitié.

Mais je vois aujour’d’hui comment du peuple entier
Je fus longtemps la fable, en sorte que souvent
De moi-même à part moi j’éprouve de la honte,

Puisque honte est le fruit de mes délires vains,
Ainsi que repentir et claire connaissance
Que ce qui plaît au monde est un songe éphémère.

bl  alexandrins  tr (rvf 1)

L’hiver froid convient aux canards, et le noroît — 1994 (3)

Robert Marteau Registre (1999)

(Jeudi 22 décembre 1994)

L’hiver froid convient aux canards, et le noroît
Qui souffle les fait contents de s’ébattre où l’eau
Bat le plus fort. Tout est grisaille mais ils mettent
Du jaune et du bleu sur la pierre qu’ils décorent,
Parfois farfouillant du bec parmi le plumage,
Parfois le col dressé pour l’ostentation
Des diaprures. Près des barques: orangées,
Les palmes bien à plat au lavoir; se rengorgent;
D’un bref raclement prémédité interrompent
Ce que l’oreille et l’oeil prenaient pour le silence.
Même sans roseaux, les voilà chez eux, avec
Leurs canes dans l’étonnement toujours d’avoir
De si beaux mâles; à la bêtise, insensibles:
Objets d’art spontanés autant que glorieux.

bl – 12s- sns

Seize, deux fois huit, c’est le nombre qui gouverne — 1994 (2)

Robert Marteau Registre (1999)

(Trouville, dimanche 31 juillet, lundi 1er août 1994)

Seize, deux fois huit, c’est le nombre qui gouverne
La méduse, dont un cercle est le centre, vers
Lequel seize angles ont leur sommet dirigé
Sa gélatine garde exactement l’empreinte

De la Création telle qu’au Créateur
Il échut de la calculer. On voit vers Lui
Que tout converge et qu’en même temps tout de Lui
Rayonne. Cet amas, ce miroir translucide

Est un miracle qui émerveille l’esprit
Si l’oeil d’abord s’y est arrêté. La méduse,
Pas la mer qui l’a laissée au sable, est vouée

Certainement à la mort, et bientôt à la
Putréfaction, sans pourtant que soit dissoute
L’image qu’il lui fut donné de nous transmettre.

bl – 12s- sns

C’est la section d’or que la coupe du chêne — 1994 (1)

Robert Marteau Registre (1999)

(Lundi 18 avril 1994)

C’est la section d’or que la coupe du chêne
Abattu présente. On y voit inscrits les cernes
Qu’y laissa le soleil à son passage, en haut,
Quand il ondule engendrant la succession

Des saisons, s’échinant dans la plume, masqué.
Comme je dis, les oiseaux m’approuvent: les geais
Psalmodiant en choeur des psaumes amoureux
Que je n’ai pas accoutumé de leur entendre

Produire, et tout alentour l’approbation
Est générale, qu’elle ait sa source dans le gosier
De la corneille, du pivert ou du pouillot.

Mais il se tient muet et coi lui le traceur
Sinueux, embossé derrière les nuées
Bien souvent, sans jamais laisser rien au hasard.

bl – 12s- sns

Les lisières, la lune, un oiseau qui traverse — 1993 (17)

Robert Marteau Registre (1999)

(Forêt de Chizé, vendredi 29 octobre 1993)

Les lisières, la lune, un oiseau qui traverse
Les dernières couleurs que le jour laisse voir:
Le brun rouge d’un guéret, l’ocre des érables,
Le violet, l’étain terni, l’or roux, le cuivre

Taché d’oxydes. Maintenant, parmi les branches:
Balafrée, encore elle, admirable galette
Offerte au bec, comme à la bouche, comme au mufle
Des bestiaux, de lait, ou de beurre, de farine

Légère, aussi la voit-on qui flotte et se tient
Suspendue, hostie en ascension, le jour
En cendres s’effondrant et la nuit à l’inverse

Lactifiée, ouverte au froissement des plumes
De la chouette hulotte en chasse, assurant
Le salut par la lumière accueillie en haut.

bl – 12s- sns