Archives de catégorie : Formule entière

Ma douce enfant ma gosseline, — 1911 (1)

Arthur Cravan Premiers poèmes (1908-1911)

Solo de soir

Ma douce enfant ma gosseline,
Le golfe dort adamantin
Seul quelque obstiné galantin
Pince un lento de mandoline.

Dans la brise frôlant câline
Comme une manche de satin,
Goûtons ce soir napolitain,
Suave ainsi qu’une prâline

Qui fond au cœur exquisément.
Un oiseau dans l’enchantement
Rossignole avec véhémence.

Nous écouterons si tu veux
Sa sentimentale romance
Car il lune dans tes cheveux.

Q15 – T14 -banv –  octo

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants. — 1910 (13)

Maurice Hennequin et Georges Basset Une aventure impériale

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants.
Ne se rencontrent point aux pays d’aventure ;
Et pour trouver traîtrise, embuscade et capture,
Point n’est besoin, je crois, de sortir de céans !

A vos pieds, en vaincus, ont gémi des géants.
Voyez combien de cœurs, cy, gisent sur la dure ;
Et je pleure en songeant que, le mal que j’endure
Pour le fuir, il faudrait passer les Océans !

Car vos grands yeux, toujours, sont pleins de maléfices.
Leur charme est un tissu de profonds artifices.
Et c’est un autre sphinx que leurs rellets câlins.

A l’âge, où des dangers on se fait une fête.
Lâche, je n’ose point, de peur d’une défaite
Affronter les éclairs de vos grands yeux divins !

Q15 – T15

La neige a couronné de blancheur le château, — 1910 (12)

Léon Vérane in Les façettes

La neige a couronné de blancheur le château,
La glace claire bave aux gueules de ses guivres,
Sans redouter l’autan que les frimas délivrent,
A l’entour du donjon, plane un vol de corbeaux.

La salle est vaste ; un jour gris tombe des carreaux
Que la nuit a voilé de fins rideaux de givre.
Dans l’âtre, un feu puissant tord ses membres en cuivre
Et jette sur le sol des lueurs de flambeaux.

Sans cesse résonnant entre les meneaux grêles,
Le cristal que le vent ébranle de ses ailes,
Bourdonne, les créneaux sifflent, geignent les tours,

A l’épaule du vent roulant sa clameur noire.
Mais rien ne peut tirer du charme de velours
L’enchanteur endormi dans son fauteuil d’ivoire.

Q15  T14 – banv

Un coq chante au lointain. Les bruyères en fleurs — 1910 (11)

Thomas Maisonneuve Aquarelles provençales

La lande

Un coq chante au lointain. Les bruyères en fleurs
Comme un velours brodé viennent draper leurs herbes,
Et la lande fleurit ses épineuses gerbes
Offrant son bouquet d’or aux matins enjôleurs.

Le granit pointe au ras du sol, où, tels des pleurs
Des lichens d’argent gris emmitouflent son faîte,
Et la lande paraît préparer une fête ;
Tout le charme du ciel avive ses couleurs.

Elle ondule, ainsi que des vagues aux marées
D’automne, quand la brise, aux grèves mordorées,
Hurle son chant d’oubli parmi les chardons bleus ;

Mais l’immobilité qu’elle a vous poigne l’âme,
Et le le vaste horizon, dont s’éteignent les feux,
L’étreint, comme un collier étreint un cou de femme.

Q45  T14 – banv

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte. — 1910 (10)

Edmond Rostand Didascalie de Chantecler

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte.
Portail croulant. Mur bas fleuri d’ombelles. Foin.
Fumier. Meule de paille. Et la campagne au loin.
Les détails vont se préciser au cours de l’acte.

Sur la maison, glycine en mauve cataracte.
La niche du vieux chien de garde, dans un coin.
Epars, tous les outils dont la terre a besoin.
Des poules vont, levant un pied qui se contracte.

Un merle dans sa cage. Une charrette. Un puits.
Canards. Soleil. Parfois une aile bat, et puis
Une plume, un instant, vole, toute petite.

Des poussins, pour un ver, se disputent entre eux.
Le dindon porte au bec sa rouge stalactite.
– Silence chaud, rempli de gloussements heureux.

Q15 – T14 – banv

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux, — 1910 (9)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Henry de Groux

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux,
Ne saurait sertir cri qu’houhou de loup-garou.
Suis-je autre, ainsi maudit, errant sans savoir où,
Dans le monde effrayé de m’ouïr, de ses trous

De vice, hurler honte au seuils dont les boutrous
Accroupis contre l’huis veillent le rogue écrou
Protecteur de valeur, d’honneur, de bonheur ou
D’heur seul d’être encor mieux repu sous les verroux?

Oui, peintre extravagant des tumultes épiques,
Bravo! J’aime ton œuvre où, verte au bout des piques,
Grimace la laideur du chef gras de Prudhomme.

Je l’aime avec ma haine. Et que, rouge, héroïque,
Fleuri par le fumier d’un hécatombe d’hommes,
Soit ton art salué comme un bienfait tragique!

Q15 – T14 – banv  – si les sonnets de Paterne Berrichon ont l’air de pastiches, c’est involontaire. En 9, intéressant jeu sur l’opposition singulier / pluriel dans les rimes

La neige de sa fleur splendide — 1910 (6)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vierge slave

La neige de sa fleur splendide
N’est-ce que d’elle pur j’élus,
Mais bien ses regards résolus.
Je fus, un temps sous son égide.

Son front de sagesse candide
Gardant maint pli de livres lus,
Ce sans plus fut à quoi je plus.
Son cœur me demeura frigide.

Elle venait du Nord, d’un nord
Où, livides, les ours de mort
Tachent la blancheur des campagnes.

Ses vœux, steppes de chasteté,
Loin du potager des compagnes,
N’allaient qu’en abstraite bonté.

Q15 – T14 – banv – octo

Grand œuvre d’idéal et cordial monument, — 1910 (5)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Stéphane Mallarmé

Grand œuvre d’idéal et cordial monument,
Le POEME, au fini chanteur de son mystère,
Est un miracle où l’âme enfin se désaltère
De ses fluants reflets complus de diamant.

Sons et couleurs, parfums, formes, expressément
Confondus par un nombre envolé de chimère,
Sur le Verbe ainsi chair, du bas de l’heure amère
Projettent dans l’espace un reposoir clément.

Il conçut Dieu, qui créa l’homme; la nature
Toute fleurit l’essor de son architecture
Aux murs de strophe illuminés du mot-vitrail,

Et de son vers le bloc s’avivant de peintures,
Fut, d’un style, gravé par plus ardu travail
Que le carrare de triomphantes sculptures.

Q15 – T14 – banv

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front — 1910 (4)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet à la Mort

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front
Illumine le soir de pompe et d’allégresse,
Ton hymen aux blancheurs d’éternelle tendresse,
Car ton baiser d’amour est subtil et profond.

Notre lit sera plein de fleurs qui frémiront,
Et l’orgue clamera la nuptiale ivresse
Et le sanglot aigu pareil à la détresse,
Dans l’ombre où tu pâlis comme un lys infécond.

Et la paix des autels se remplira de flammes;
Les larmes, les parfums et les épithalames,
La prière et l’encens monteront jusqu’à nous.

Malgré le jour levé, nous dormirons encore
Du sommeil léthargique où gisent les époux,
Et notre longue nuit ne craindra plus l’aurore.

Q15 – T14 – banv

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures, — 1910 (3)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,
Mêlent l’éclat de l’art à ton charme pervers,
Et les gardénias qui parent les hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures.

Ta bouche délicate aux fines ciselures,
Excelle à moduler l’artifice des vers:
Sous les flots de satin savamment entr’ouverts,
Ton sein s’épanouit en de pâles luxures.

Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,
Et l’incertain remous de ton corps onduleux
Fait un sillage d’or au milieu des lumières.

Quand tu passes, gardant un sourire ténu,
Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,
Je songe à la splendeur de ton corps libre et  nu.

Q15 – T14