Archives de catégorie : Formule entière

O ravissant moulin, pittoresque séjour, — 1890 (21)

A.Ellivedpac (Capdeville) in L’Aurore

Le joli moulin

O ravissant moulin, pittoresque séjour,
Voici le gai tic-tac de la meule joyeuse,
Que l’écume des flots recouvre tour à tour
De dentelle d’argent et d’hermine soyeuse

Avec le deux Babot, compagne de l’Amour,
Arrive de la ville, et, là-bas, sous l’yeuse
Elle prépare alors le boudin, un du jour,
Bravo ! charmante épouse à l’humeur travailleuse.

Le mari beau gaillard apprête un gros baiser
A l’ombre du total, où viennent se poser
Les effrontés pierrots tout neigeux de poussière.

Oiseaux enfarinés j’aime votre doux chant,
Rivière de cristal, je t’adore et pourtant
Je préfère au moulin … la gentille meunière!

Q8  T15  Sonnet-charade . (Prime : 1 timbre en caoutchouc aux initiales du lauréat)

Les Andains tour à tour sous la Faux — 1890 (20)

Karl Boès in L’ermitage

Rêve d’été

Les Andains tour à tour sous la Faux
Se couchaient, blonds et mélancoliques
Et l’Aoûteux prenait des airs bibliques
Avec ses tours de bras triomphaux.

Au fil d’un rythme lent jamais faux,
Les Epis tombaient et, symboliques,
Semblaient pleurer de tendres Suppliques –
Tels nos Cœurs sous vos pieds, ô Saphos !

Car le Champ est à vous, Moissonneuses,
Tout à vous, adorables Haineuses ! ..
Par un Couchant d’un fier Coloris,

Creusez rythmiquement la Blessure,
Et puissent nos Cœurs endoloris
Mourir, comme les Blés, en Mesure … ?

Q15  T14 – banv –   9s.

Quand on ne vous prend pas encor tout jeunes veaux — 1890 (19)

Raoul Lafagette Les cent sonnets

Vaches et bœufs

Quand on ne vous prend pas encor tout jeunes veaux
Sur l’affreux charreton qui mène aux boucheries,
Le paysan vous soigne au fond des métairies,
Et bientôt vous l’aidez dans ses graves travaux.

Ô Vache nourricière ! il sait ce que tu vaux
Pour changer en bon lait les luzernes fleuries,
Et toi, Bœuf, sous l’azur et les intempéries,
Pour les profonds labeurs par les monts et les vaux !

Courbés dans la lenteur pensive de vos marches,
Vous avez l’air de doux et puissants patriarches,
Dociles compagnons sous le joug accouplés ;

Mais hélas ! dès que vient votre vieillesse forte,
Vous voyez, loin des champs où prospèrent les blés
Des rouges abattoirs s’ouvrir l’horrible porte !

Q15  – T14 – banv

Traînant un long manteau d’hermine bien fourré, — 1890 (12)

Léon Valade Poèmes posthumes

Sonnet d’hiver

Traînant un long manteau d’hermine bien fourré,
Janvier, monarque antique à la barbe de neige,
S’avance bruyamment au milieu d’un cortège
De femmes et d’enfants dont il est adoré.

En vain les mécontents te savent mauvais gré
Des étrennes, impôt très vieux que rien n’allège:
La popularité reste ton privilège,
O Roi dont la couronne est de papier doré;

Soit qu’au flanc des gâteaux insérant une fève,
Tu te prêtes, pour rire, à la royauté brève
Dont s’égaye un instant le plus pauvre festin;

Soit que ton échanson, l’empereur Charlemagne
Verse aux bons écoliers, trop bourrés de latin,
Des flots quasi-moussus de simili-champagne.

Q15 – T14

Naïve, j’ai gardé l’impression première — 1890 (11)

Léon Valade Poèmes posthumes

Dessous de bois

Naïve, j’ai gardé l’impression première
De la forêt nocturne où soudain je pus voir
Sous l’entrelacement du lourd branchage noir,
Rougeoyer, tout au loin, le feu d’une chaumière.

Plus d’une allée au bois, battue et coutumière,
Pour moi prend un aspect étrange à concevoir,
Quand, au pied des grands troncs reculés par le soir,
La ligne d’horizon met de vive lumière.

Mystérieuse, ainsi qu’un rayon projeté
Sur une porte close, éclate la clarté
Au bas des arbres drus, d’où l’ombre épaisse tombe.

J’y retrouve toujours l’ancien tressaillement;
Et, je ne sais pourquoi, je rêve l’outre-tombe
Comme un dessous de bois éclairé vivement.

Q15 – T14- banv

En cette lumière apâlie — 1890 (10)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet exital

En cette lumière apâlie
où s’adoucit l’attrait de l’heure,
s’endort et dort comme en un leurre
mon rêve de mélancolie.

Ame falote d’Ophélie,
pauvre âme mienne qui la pleure,
il faut subir qu’un ciel enfleure
l’ultime rameau d’ancolie.

rien d’immanent que le réel,
le rêve lui-même est formel,
fait d’intangible encor blessant.

Nous mourons du vague adulé,
et dans la coupe de Thulé,
nous buvons notre triste sang!

Q15 – T15 – octo – enfleure : H.N (Disparus du Littré) a l’adjectif ‘enfleuri’ mais pas le verbe

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique — 1890 (9)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet liminaire

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique
pour la matière où sont toutes formes encloses,
et pieusement je veux que l’art, loin des gloses
de la science, essore à l’aile des musiques.

Il sera digne alors de la grâce pudique
des vierges, de leur col fragile, de leurs poses
décentes, il aura pour les apothéoses
nitides, le vague de la mer mélodique.

Fiers mépriseurs de la précision qui sculpte
et cristallise sous les ornements d’un culte
immuable, la vie intense et débridée,

mes vers, neige impollue où s’altère et succombe
la frondaison trop délicate des idées,
nimbent la beauté d’un grand vol froid de colombes.

Q15 – T14 – banv –  rimes féminines

Voici. Ton âme est un lac artificiel — 1890 (5)

Jules TellierOeuvres

Voici. Ton âme est un lac artificiel
Et minuscule ainsi que ceux des Tuileries,
Un bassin très petit sous les branches fleuries
Qui n’a pas assez d’eau pour réfléchir le ciel.

On en voit, à deux pieds, sans plus, le fond réel,
Moins beaux que les reflets d’azur et leur féeries,
De vieux pantins, des pots cassés, des fleurs flétries,
Et mille objets manquant du charme essentiel.

Ton âme, en un jardin sans mystère, que foule
A toute heure le pas indiscret de la foule,
Est un bassin couvert d’oiseaux de toutes parts:

Les cygnes blancs, tendant leurs cous aux belles lignes,
Glissant à la surface au milieu des canards,
– Mais les canards y sont plus nombreux que les cygnes.

Q15 – T14 – banv

D’autres auront le bruit, la gloire, — 1890 (4)

Edouard GrenierPoèmes épars

Renoncement

D’autres auront le bruit, la gloire,
Et leur nom partout répété;
Le mien s’éteindra sans mémoire,
Comme s’il n’eut jamais été.

Mais qu’on marque ou non dans l’histoire,
Rien ne vaut d’être regretté.
La vie est un rêve illusoire,
Le songe d’une nuit d’été.

Obscur ou glorieux, qu’importe!
La mort d’un seul coup d’aile emporte
Tous nos vains désirs – et c’est bien!

La gloire est d’être aimé. S’il tombe
Une ou deux larmes sur ma tombe,
Il suffit: le reste n’est rien.

Q8 – T15 – octo

Si, subtile, le petit nez — 1890 (3)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)


Pour un baptême

Si, subtile, le petit nez
Eblouissant noyé dans telle
Candeur de rires devinés
Que s’entr’ouvre cette dentelle,

Le filial instinct vous prit,
Orgueilleuse, mais la seconde,
De ressembler par son esprit
Tout bas à votre aïeule blonde,

Conservez, des fonts baptismaux,
Afin qu’il se volatilise
Miraculeusement en mots
Natifs et clairs comme une brise,

Mademoiselle Mirabel
Sur la langue le grain de sel.

shmall – octo