Archives de catégorie : Formule entière

A l’âge où notre front se flétrit et se marbre, — 1866 (3)

Louis Goujon

Sonnets. Inspirations de voyage
Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville

II

A l’âge où notre front se flétrit et se marbre,
Nous avons vainement interrogé le sphinx.
Vétéran des salons, polis comme du marbre,
Nous portons sur la vie un dur regard de lynx.

L’Amour ne revient plus s’ébattre sous notre arbre,
Les chansons du Printemps fatiguent le larynx;
Les enfants on grandi, l’intérêt nous désarbre
Les bois où soupirait la flute de Syrinx.

Autrefois, nous voulions l’énivrement des valses,
Notre trop plein coulait comme celui des salses;
Aujourd’hui nous sentons le dard aigu du spleen.

Nous avons à venger des crimes comme Electre,
Partout des libertés se dresse aussi le spectre,
Et pourtant nous rêvons tout l’or d’un Aberdeen.

Q8 – T15 Autre exercice en rimes rares: – arbre – inx – alses – een – ectre (le verbe ‘désarbrer est inconnu du tlf et des ‘disparus du littré’)

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre, — 1866 (2)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville
I

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre,
Vidant joyeusement ma bourse et mon hanap;
Maintenant, je suis roide, et froid comme un cadavre,
J’ai la pâleur du coing et je bois du jalap.

Le désir de la mer m’entraîne vers Le Havre,
L’amour des hauts sommets me pousse jusqu’à Gap;
Mais je souffle en montant, où le passé me navre,
Et j’ai peur du naufrage en doublant quelque cap.

Amis des droits vaincus, mon vers défend le peuple;
Je dis à l’Avenir: « l’Irlande se dépeuple,
Accours la consoler, Dieu le veut … allons, houp! »

Puis je songe à dormir à l’ombre, sous un trèfle.
Un torride soleil rend mou comme une nèfle;
Je m’attends à mourir du typhus ou du croup.

Q8 – T15 Exercice de rimes rares: -avre – ap – euple – oup – èfle (TLF) jalap : Plante proche du liseron, très répandue en Amérique du Nord, dont la racine tubéreuse est utilisée comme purgatif :

Au milieu des lianes de jalap pleines de corolles parlantes
Les grands échassiers gris et roses se régalent de lézards croustillants et s’envolent avec un grand bruit d’ailes à notre approche.
CENDRARS, Du monde entier au cœur du monde, Vomito negro, 1957, p. 144. – P. méton. Extrait de la racine de la plante aux propriétés laxatives.

Oeuvre de Colomban, abri fait pour le deuil, — 1866 (1)

Louis GoujonSonnets. Inspirations de voyage


L’église de Brou

Oeuvre de Colomban, abri fait pour le deuil,
Qu’un désespoir de femme éleva dans la Bresse,
Ton marbre est pénétré d’un rayon de la Grèce,
L’art gothique allemand dort dans ton blanc cercueil.

Marguerite a bâti ton ardente merveille,
Pour donner à l’époux son immuable veille;
C’est le tombeau d’un rêve après les pleurs du jour.

Partout, sur le Carrare ou les murailles grises,
Le culte de la mort a sculpté leurs devises:
Leurs chiffres enlacés éternisent l’amour.

Les regrets personnels ont rempli cette enceinte;
Là, l’Eglise infidèle à son céleste voeu,
Aux tendresses du coeur livra la cité sainte:
C’est la maison d’une âme et non celle de Dieu.

abba ccd eed a’b’a’b’= QTTQ – disp: 4+3+3+4 Les tercets sont mis entre les quatrains : un exemple de permutation des strophes du sonnet

Lincoln, grand citoyen, fils de la liberté, — 1865 (3)

J.C. Lusine extrait du Phare de la Loire sous forme de faire-part


Un rameau d’Immortelle

Lincoln, grand citoyen, fils de la liberté,
Intègre magistrat, vertu digne d’Homère ;
Toi qui n’oublias point ton berceau ni ta mère,
Gloire de l’Amérique et de l’Humanité !

Ton devoir est rempli ; ton ombre avec fierté
Voit l’esclavage en vain quêter un victimaire,
Il n’a pris que ton coprs, le crime est éphémère …
Ton œuvre à toi s’envole à l’Immortalité !

Aussi, comme une femme au fruit de ses entrailles
Le Sud au Nord uni pleure à tes funérailles :
Ton sang dicte la paix au peuple fier géant.

Reçois donc, ô martyr de la Liberté Sainte,
Des travailleurs dans le deuil et la plainte
Un rameau d’Immortelle à travers l’Océan !

Q15 – T15

C’est ici la case sacrée — 1864 (8)

Baudelaire in Revue Nouvelle


Bien loin d’ici

C’est ici la case sacrée
Où cette fille très-parée,
Tranquille et toujours préparée,

D’une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Ecoute pleurer les bassins:

C’est la chambre de Dorothée.
– La brise et l’eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée.

Du haut en bas, avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D’huile odorante et de benjoin.
Des fleurs se pâment dans un coin.

s.rev. – eee ddd babb abaa – octo

Je veux faire un sonnet, – superbe … magnifique! — 1864 (7)

Frederick Juncker Sonnets

Fantaisie

Je veux faire un sonnet, – superbe … magnifique!
Original, surtout: mon sujet est charmant.
Je l’ai tiré du coeur, et, certes!, je me pique
De toucher cette corde harmonieusement …

Pour qu’il soit sans reproche, il faut que je m’applique,
Le revoie et corrige; – il faut également
Qu’il soit mis bien au net, afin que la critique,
Honteuse, devant nous, s’incline poliment.

Ah! Nous allons donc faire une oeuvre de génie!
Je me sens tout dispos! La rime et l’harmonie
Chantent à mes côtés leurs plus belles chansons;

Vite! Dans ce beau feu que ma verve s’allume;
Mon buvard! …   mon papier! Mon garde-main, ma plume!
Et maintenant j’y suis, – tout est prêt – Commençons!

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Q8 – T15 – 15v  – s sur s Ici, il allonge le texte d’une ligne de points, quinzième vers, ou premier vers d’un sonnet absent.

J’aurai trente-six ans dans onze mois d’ici; — 1864 (6)

Frederick Juncker La gerbe


Ego

J’aurai trente-six ans dans onze mois d’ici;
Je suis blond, grand et mince, assez facile à vivre;
Les extrêmes chez moi vont se touchant – Ainsi
Je suis plus fou qu’un singe, ou plus grave qu’un livre.

Je ne suis pas courtois; – pourtant, je dis: Merci!
Quand on m’offre une chaise. – Aisément je me livre
A qui m’offre son coeur; mais – qu’on me pende! – si
J’en ai jamais cherché qu’on rougirait de suivre!

Quant à mes qualités, mes défauts, mon humeur,
Ma foi! N’en parlons pas; je ne suis point fumeur
Et c’est une vertu, de nos jours, assez belle.

Je travaille pour vivre et chante par amour,
Enfin, je crois en Dieu, très-cher lecteur, et pour
En finir avec moi, sache que je m’appelle:
Frédérick Juncker

Q8 – T15 Frédérick Junker introduit son nom en supplément à son sonnet, par sa signature manuscrite en facsimile.

Qui peut vous oublier blondes filles du Nord, — 1864 (4)

A. de Flaux Sonnets

XIV
Sur les jeunes filles de Stockholm

Qui peut vous oublier blondes filles du Nord,
Au teint pâle, aux yeux bleus, si pures et si belles
Qu’il nous semble toujours aux voûtes éternelles,
Comme des séraphins, vous allez prendre essor!

De vos yeux abrités sous vos longs cheveux d’or
Parfois, à votre insu, sortent des étincelles.
C’est que le feu caché qui couve en vos prunelles
N’a dans aucun climat fait battre un coeur plus fort.

Pendant les courtes nuits de juin, ô jeunes  filles,
Quand vous veniez, le front caché sous vos mantilles,
Fouler d’un pied léger les prés de Djurgarden,

Je croyais voir au ciel scintiller plus d’étoiles;
L’air était embaumé, la nuit était sans voiles,
Et mon rêve enchanté durait jusqu’au matin.

Q15 – T15

Mozart et Rossini vont me donner l’andante. — 1864 (2)

Arsène Houssaye Les cent et un sonnets


LXXX –
Les Italiens

Mozart et Rossini vont me donner l’andante.
Ceux qui ne savent pas la langue du vieux Dante
Aiment ce beau théâtre où chante Mercadante,
Où Verdi tout de feu jette son âme ardente.

Ces dilettantes sont pareils au sacristain
Qui n’a jamais compris une messe en latin.
C’est qu’ici-bas tout est plus beau dans le lointain,
Je ne voudrais pas lire au livre du Destin.

Les femmes, mes amis, sont comme ce théâtre,
Car moins on les comprend, plus on les idolâtre,
Aspasie ou Laïs, Hélène ou Cléopâtre.

Que faut-il à Paris dans les soirs nébuleux?
Yeux noirs et cheveux blonds, cheveux noirs et yeux bleus,
Quand la Patti nous chante un air miraculeux.

A4B4C3D3

Je me suis laissé prendre au piège — 1863 (12)

François-Victor Lacrampe Les chaumes

Sonnet

Je me suis laissé prendre au piège
De ces deux yeux noirs et profonds,
Et les miens leur font un cortège
Comme aux roses les papillons.

Ces yeux ornent un front de neige
Couronnés de beaux cheveux blonds,
C’est comme un voile qui protège
Leurs mélancoliques rayons.

Malgré moi, je reste en extase ;
Je veux parler, mais chaque phrase
S’arrête et jamais ne finit.

J’admire leur beauté divine,
Silencieux … çà, ma voisine,
Je suis bien près de votre nid.

Q8  T15  octo  bi