Archives de catégorie : Formule entière

Quand je considère comment la lumière a disparu pour moi — 1839 (10)

Kervyn de Lettenhove trad. Milton Oeuvres choisies


Sur sa Cécité

Quand je considère comment la lumière a disparu pour moi avant la moitié de mes jours dans ce monde vaste et obscur et que le talent qu’on ne peut cacher sans être puni de mort m’a été donné sans utilité, quoique mon âme se dévoue à servir mon créateur et à lui rendre compte fidèle. De peur que, se retournant vers moi, il ne me condamne, je demande avec amour:  » Dieu réclame-t-il le travail du jour en l’absence de la lumière?  » Mais la Patience, arrêtant mon murmure, me répond aussitôt: « Dieu, n’a besoin ni du travail de l’homme ni de ses propres bienfaits. Ceux-là le servent le plus saintement, qui portent le mieux son joug pacifique; sa position est pareille à celle d’un monarque; des milliers d’hommes s’empressent à ses ordres et traversent sans cesse la terre et l’océan; mais ceux-là qui restent immobiles et attendent, le servent aussi.  »

pr – tr

Le célèbre sonnet de Milton ( ‘When I consider how my Light is spent’ ) en un paragaphe compact de prose.

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre, — 1839 (7)

Louis Ayma Les préludes


XXXIX – Invocation

« Quelle âme est sans faiblesse et sans accablement » V.Hugo

Lorsqu’en mes jours semés de beaux soleils et d’ombre,
Tu veux intercaler, mon Dieu, quelques jours sombres,
Et me faire expier par des pleurs mes plaisirs.

Quand tu veux sous mes pas entr’ouvrir un abîme,
Des complots des méchants me faire la victime,
De fermer ton oreille à mes pieux soupirs!,

Quand tu veux que je souffre, et que la calomnie
Triomphe quelque jour de ma vertu honnie:
Quand tu veux que je doute, et que sur mon chemin
L’esprit du mal se jette et me tende la main:

Daigne, dans ces moments de secrète agonie,
M’inonder, ô mon Dieu, de torrents d’harmonie;
Fais que la poésie alors sur ses genoux
Me prenne, et sur mon front pose un baiser bien doux.

s.rev. eec ddc bb’a’a’ bbaa – Un sonnet renversé, genre qu’il pratique avant Auguste Briseux.

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France, — 1839 (2)

Emile PehantSonnets

A MM. Sainte-Beuve et Barbier

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France,
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla longtemps languir, comme un arbre en souffrance
Qui s’épuise en boutons sans parfums ni couleurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance
Et le fait reverdir comme au temps les meilleurs;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance
Et balancer aux vents son front chargé de fleurs.

Vous, de toutes ces fleurs, vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour atteindre au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, dans ma corbeille, hélas, je ne recueille
Que celles qu’au gazon parfois la brise effeuille,
Et mon maigre bouquet se fanera bientôt.

Q8 – T15 – s sur s

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure, — 1838 (15)

Edouard-L. de Blossac Heures de poésie

Sonnet

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure,
Où défaillent vos vœux ;
Allez, et repassez le seuil de la demeure,
Où vous fûtes heureux.

Je ne sais quoi d’amer s’en exhale à toute heure !
Tout est sombre en ces lieux !
L’écho souffre et se plaint ; un vent froid vous effleure,
La foudre gronde aux cieux ! ….

Là, pourtant, du bonheur vous connûtes l’ivresse ;
Là, peut-être, le joug dont l’amour vous oppresse,
Longtemps s’est prolongé ….

C’est le même ciel bleu, sur le lac sans orage,
Ce sont les mêmes fleurs encor, le même ombrage :
L’homme seul est changé !

Q8  T15  – 2m (octo : v2,4,6,8,11,14)

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire, — 1838 (14)

Charles de Chancel Juvenilia

A ma muse

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire,
Vos chants, dont nul encor n’avait ouï les chœurs,
Et vous vous envolez de mon toit solitaire,
Avide de trouver un écho dans les cœurs !

Hélas ! tout n’est pas rose au monde littéraire !
Si quelques écrivains, y traînent en vainqueurs,
Le plus grand nombre y rampe et la critique austère,
A fustigé leurs noms de leurs rires moqueurs.

Mais, grâce à vos doux yeux, Muse, à votre jeune âge,
Peut-être qu’elle aura pour vous un doux langage,
Et que pour vous guider elle tendra la main ……

Partez, que Dieu vous garde, ô belle voyageuse,
Et que des vents amis vous ramènent joyeuse,
Sans déchirer votre aile aux ronces du chemin.

Q8  T15

A nos aieux, le pur honneur, — 1838 (13)

Théophile Lodin de Lalaire Les victimes

Le siècle

A nos aieux, le pur honneur,
La fleur de la galanterie
L’amour du roi, de la patrie
Et de Dieu ; partant, le bonheur.

Chez eux, point de plat suborneur
Qui livrât la foule ahurie
Au vil Moloch de l’industrie ;
Point de sophiste empoisonneur.

Mais c’est à l’or que je me pique
D’offrir mon encens romantique,
Et je jette le reste aux vents.

Pour l’or, comme un nègre je sue,
J’écris, je trahis, je me vends,
Je sers, je nuis, je meurs, je tue.

Q15  T14  – banv – octo

ö Charle, ô guide sûr ! que de choses trouvées, — 1838 (11)

Ulric Guttinger Jumièges, prose et vers

A mon  honorable ami, M.Charles Nodier, de l’Académie française

ö Charle, ô guide sûr ! que de choses trouvées,
Sur vos pas tant aimés du gothique manoir !
A vous qui d’une main relevez l’encensoir,
Et de l’autre agitez la baguette des fées.

A vous, proses et vers, de ces scènes rêvées
Aux bords où notre muse une fois vint s’asseoir,
Où la sainte abbaye, aux lueurs d’un beau soir,
Sentit à vos accents ses tombes relevées !

A vous tous ces récits qu’entamait votre voix,
Lorsque la paix du monde en évoque les gloires !
A vous tous les échos de ce jour d’autrefois,

Cher et bon enchanteur de nos vieilles histoires,
Héritier des secrets d’un si grand souvenir,
Et dont ce beau passé fait un bel avenir !

Q15  T23

Vous qui écoutez l’accent de mes soupirs exprimés en vers — 1838 (9)

Mr le chevalier d’ArrighiOdes et sonnets choisis de Pétrarque

I

Vous qui écoutez l’accent de mes soupirs exprimés en vers, dont je nourrissais mon coeur dans la première folie de ma jeunesse, quand j’étais presqu’un autre homme que je ne suis maintenant.

Du différent style dans lequel je pleure et je parle, flatté de vaines espérances et accablé d’une inutile douleur; s’il y a parmi vous quelqu’un qui éprouve de l’amour par preuve, j’espère trouver de la pitié plus que du pardon.

Mais je vois bien maintenant combien pendant long-temps je fus la fable de tout le monde; ainsi bien souvent j’ai honte de moi-même.

Et le fruit de mes rêveries, n’est que la honte, le repentir, et de connaître clairement, que tout ce qui plaît au monde n’est qu’un petit songe.

pr – rvf1  (premier sonnet de Pétrarque)

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose: — 1838 (6)

Théophile Gautier La comédie de la mort


Adieu à la poésie

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose:
Ote ta robe blanche et tes beaux rayons d’or;
Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor,
Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.

Il faut que sur le sol ton pied d’oiseau se pose.
Marche au lieu de voler: il n’est pas temps encor;
Renferme dans ton coeur l’harmonieux trésor;
Que ta harpe un moment se détende et repose.

O pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain,
Ils ne comprendraient pas ton langage divin;
A tes plus doux accents ton oreille est fermée!

Mais avant de partir, mon bel ange à l’oeil bleu,
Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée,
Et pose sur son front un long baiser d’adieu!

Q15 – T14 – banv

Hier, dans votre sein, ma montre est descendue. — 1838 (5)

François Ponsard in Oeuvres complêtes, III (1876)

La montre

Hier, dans votre sein, ma montre est descendue.
Le pays lui parut sans doute bien orné,
Car, pour voir chaque site, elle a tant cheminé,
Que la pauvre imprudente à la fin s’est perdue.

Elle battait bien fort; vous l’avez entendue,
Mais vous ne saviez pas que j’eusse imaginé
D’y renfermer au fond un coeur emprisonné;
C’était lui qui battait sur votre gorge nue.

Depuis ce temps, il bat d’un mouvement si vif
Dans le cachot doré qui le retient captif,
Que ma montre en une heure achève la semaine.

C’est ainsi qu’à l’en croire, il s’est passé des mois
Depuis que je vous vis pour la dernière fois;
Il s’est passé pourtant une journée à peine.

Q15 – T15