Archives de catégorie : Longueur du sonnet

Ce poème s’écrit sous l’oeil d’un charpentier — 1995 (1)

Jacques Réda L’incorruptible

Le charpentier

Ce poème s’écrit sous l’oeil d’un charpentier
Qui s’active au sommet de la maison voisine
Avec des bruits de clous, de brosse et de mortier.
Peut-être me voit-il, et la petite usine

Que font ma cigarette, un crayon, la moitié
D’une feuille où ma main hésitante dessine,
Comme un échantillon d’un étrange métier
Qu’on exerce immobile au fond de sa cuisine;

A chacun son domaine. Il faut dire pourtant
Que, du sien, mon travail n’est pas aussi distant
Qu’il peut le croire: lui, répare une toiture

Tuile à tuile, et moi mot à mot je me bâtis
Une de ces maisons légères d’écriture
Et je sors volontiers, laissant là mes outils,
Pour aller respirer un peu dans la nature.

Q59 – T14 + d – 15v

Elle est sensible à l’amitié comme une sensitive — 1987 (4)

Xavier BordesLa pierre amour

Anti-sonnet  – Ariane, ma soeur

Elle est sensible à l’amitié comme une sensitive
Et pourtant se jette à la guerre avec le cri rauque
de l’Insomnie

Elle aime également ce qu’elle connaît
et ce qu’elle ne connaît pas
fait surgir une source là
où ne dormait pourtant que l’ombre du désert

Arrondit ses hanches dorées d’une ténèbre douce
comme celle frisante de la dune
Partage en deux la nuit de son astre d’argent
au creux de son écrin de mousse noire
telle une perle de rosée oubliée par la sylphide
lorsqu’elle a cassé dans sa hâte le pectoral de l’araignée

Et voici que soudain notre destin perd le nord
et se croit à l’article de la mort

Que la mer avançant dans les plis de sa toge
et sans cesse annonçant sa chute
ne sait plus si elle était à la lève ou à la retombe
et reste suspendue comme aux photos des calendriers

‘anti-sonnet’ – 19v

Paf ! d’un bond rivière ! — 1983 (5)

Jacques Demarcq Derniers sonnets

Celle même, miss, taire
(ter)

Paf ! d’un bond rivière !
taille-doigt, d’ôte queuté
sur l’abrège : pater
d’un gué) dans les pognes

Aléa, Jacques t’es
tu parles ! d’un cutter
papa-rasoir ? gnon
castrat, d’compendium

Ca laisse des légions
en gaule) t’es fort guère
gars ! depuis que Rogne

Est-ce ? la pine de niée
sort d’cité : un gnome
Compiègne
où t’es né

Complet’ment … Sonnets !

1983 (3-5) : une séquence de 3 sonnets. Rimes orales, on lit la formule suivante , valable pour les trois:  abac  badc  dac  bcb b . Reprises de sonnets à sonnet (à vous de voir comment)
Les vers sont de 5 positions (comptées oralement). Un quinzième vers, de longueur variable, rime avec le quatorzième
Les strophes sont signalées par la majuscule de leur premier vers.
Homophonies à débusquer

L’oiseau, qui est site — 1983 (4)

Jacques Demarcq Derniers sonnets

Celle même, miss, taire
(bis)

L’oiseau, qui est site
lieu ! de m’écouter
l’âme d’ici : t’invite
pourquoi forêt ? stère

Sans phallé : d’où t’es
coup ça biche, touriste
chair urge ) oui dare-dare
spasme ! le guérit ver

Avec un d’César
au rut) bite qu’on risque
gare ! à ton guerrière

Tant saigne, qu’impregne
dans l’ouate, on trop perd
con
piège où t’es né

Mentionné …

Spèce ! de palmipède — 1983 (3)

Jacques Demarcq Derniers sonnets


Celle même, miss, taire
(semel)

Spèce ! de palmipède
le coup d’main, raté
appelle plus : à l’oued
sec ça sexe plie (d’suite)

Manche en 2 : d’Oise t’es
à cours tôt, ton bled
te marque (m’es témoin)
eh ! type mol au gîte

Descente des Romains
nos pères, p’tit qu’un raid
et tes barbares ! pfuit

Une peignée, soignée
dégats : comprennent vite
qu’honte
baigne où – t’es – né

Et ? …

Les mots nouveaux me donnent de la tablature, — 1973 (11)

OulipoLa Littérature potentielle

Francois le Lionnais

L’unique sonnet de treize vers et pourquoi*

Les mots nouveaux me donnent de la tablature,
Ils ne figurent pas au Larousse illustré
Et bien souvent je suis quelque peu étonné
Par ceux-ci, dont l’aspect semble contre nature:

Arnalducien, bensilloscope, bergissime,
Blavièrement, braffortomane, duchater,
Lattisssoir, lescurophage, queneautiser,
Quevaloïde, schmidtineux, à quoi ça rime?

Mais il est parmi tous un mot imprononçable,
Sous un parler rugueux son sens est délectable,
C’est le mot: oulichblkrtssfrllnns.

J’eus tort de faire appel à lui pour un sonnet
Car je ne trouve pas de rime à frllnns.

* Après adoption d’un quatorzième vers, le titre deviendra:
Sonnet de quatorze vers.

Q63 – ccd xd – 13v

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère. — 1969 (7)

Joseph Djirian Kaléidoscope

L’écume

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère.
Calme, calme la mer d’un bleu étourdissant,
Teinté par le soleil ; elle brasse le sang ;
Et mon âme s’émeut d’un parfum d’éphémère.

L’instant ce n’est qu’écume éjectée en dentelles
Qui se répand comme l’heur entravé. L’ardeur
De s’exalter ainsi que ces flots en fureur
Se pourchassant, hélas !, mais sans croiser leur zèle.

Tout bouillonne à souhait dans ce chaos sans bornes.
Ses crêtes se touchant, la frange qui les borne
Tisse le pavillon d’un royaume inconnu

Disputé par les flots. Illusion solitaire
Où baigne ma vigueur, qui teinte à son insu
L’élan fallacieux que la vie exaspère.

Une trouée en l’eau, la colombe s’immole
Quand d’ériger dessus, mon âme se console.

Q63  T14  -ff    16v

Souvent me suis, comme un con, pris — 1965 (7)

Olivier Larronde L’ivraie en ordre (ed. 2002)

A sa queue

Souvent me suis, comme un con, pris
A rêver, un doigt sur ta nuque
De trancher le sphinx incompris
Qui, bien membré, me laisse eunuque.

Puisque tu n’appartiens qu’à toi.
Si je t’osais tailler en pipe
Gicler au visage des rois
Plutôt que visiter la tripe.

Exaspérant bête. Joie
Lors, à mâchonner impuissant
Ton pétale, qui le rougeoie.

Son menstruel frère de sang!
Va, d’autre tunique – mon chat, loir
Sans griffe et d’épine que toi -,
Cauchemarde le nonchaloir.

Q59 – cdc dec e – octo – 15v

Souvent, tel un printemps répandu sur la mer — 1958 (3)

Pierre-Jean JouveInventions


Musique

Souvent, tel un printemps répandu sur la mer
J’ai suivi les remous des cordes bois et cuivres:
Sauvage allait la cavalière de la mort
Sonnant l’orage pour le malheur de la terre;

Ou douce de ses oiseaux déchirants, un soleil
Dans les pleurs, et le chant raisonnable des anges
Ayant séduit la bête avec un œil soyeux
Pour l’idylle du temps l’éternelle louange;

Discours infiniment tu par l’intime étrange
O gloriole des sons esprit de vision
Mystère entier comme est cette humaine vision.

r.exc – 11v  

L’amoureuse immuable au fétiche de bête — 1957 (2)

Pierre-Jean JouveLA VIERGE DE PARIS

L’homme fatal

L’amoureuse immuable au fétiche de bête
N’avait pas négligé son soulier de satin
Remuements de peau neuve et toisons cris de têtes
Assouvissement vaste! Et des années plus loin

Il recherchait partout une sombre catin
Voisine: aux armes de Ses poids et de Ses bêtes
Sans jamais revenir à Son cœur clandestin
Sans être désembrassé de Ses bras funestes.

Cependant d’autres femmes nues et élancées
Dont les mains rappelaient le pouvoir de la mer
Dans les villes passant lui faisaient souvenir

Par son étrange ride et forte dignité
De la Nudité rousse au sein décapité
Qui plus ancienne encor que l’amoureuse amère
De son enfance avait plongé jusqu’à la mort.

Q8 – ccx ddx y – 15v