Archives de catégorie : Longueur du sonnet

J’ai fini de trébucher: adieu les essais — 1947 (5)

Henri ThomasLe monde absent

Homo faber

J’ai fini de trébucher: adieu les essais
De l’âge ingrat, je foule allègrement la terre,
Je vais, robot sacré, dans ma propre lumière,
Ecoutant bourdonner mes rouages secrets.

Mon cœur a son déclic, mon sexe est une roue,
comme l’eau d’un moulin le sang la fait tourner,
éveil, et l’engrenage interminable joue,
le poème est parfois un graphique léger.

Oscillant dans le vent d’automne je m’avance,
par trois ou quatre feuilles mortes poursuivi,
le moteur est bercé par sa propre cadence.

Les tôles du fossé, lamentables débris
ont beau parler du grand déglingage final,
tranquille et composant chaque pas, je souris,

étant certain qu’un jour une flamme magique
ou logique consumera la mécanique

Q15 – cdc dxd + ee – 16v

Des croix basques décoraient la maison — 1946 (6)

Armen Lubin Le passager clandestin

Sanatorium dans les Hautes -Pyrénées

Des croix basques décoraient la maison
Où des choses élevées étaient en danger de chute.
Les poitrinaires ne pensaient qu’à leurs minces cloisons
Des leurs membres étendus amortissant les disputes.

Au milieu d’une jeunesse restée à l’état larvaire
Les outils nobles avaient été posés de travers
Et tout se refusait. Absence complète
Dans le sentier réservé au passage du prophète.

Mais le pays d’automne bruissait le soir
Lorsqu’une mésange sur une poitrine en dentelle
Se posait avec sa confiance intacte.

Délicates ondes et bondissantes goutelettes
Nous rassuraient sur les intentions réelles des Pyrénées
Déjà presque seraines par endroit,
La boite à outils devenait visible au sommet de l’Ararat.

Q58 – T exc – m.irr – 15v

J’abandonne ta chaîne et tes molles arcades, — 1937 (2)

Tristan Derème La tortue indigo

(Les sonnets de M. Polyphème Durand)
D’un sonnet sans tête

– …. Je voudrais, dit M. Polyphème Durand, vous soumettre, …, une pièce fugitive, une bagatelle, un rien, mais dont la forme est encore, je le crois, inconnue: c’est un quatrain suivi de deux tercets.
– c’est un sonnet à qui l’on a coupé la tête.
– Il vous plaît à dire; mais l’essentiel, c’est qu’un poème forme un tout; et si mon humble ouvrage y parvenait, ne serait-il pas supérieur au sonnet, puisqu’enfermant autant de pensées en moins d’espace, il aurait donc l’avantage de la concision et pourrait donc ennuyer pendant moins longtemps les personnes qui consentiraient à l’entendre. Nous savons ce qu’est un sonnet – un sonnet sans défaut, comme parlait l’autre – et si vous m’en donniez licence, je tenterais de le définir ainsi:

Sonnet, double quatrain qu’un tercet double suit,
Ta moindre négligence est mise au rang des crimes!
Deux rimes aux quatrains, trois aux tercets: cinq rimes.
Unique rime aux vers un, quatre, cinq et huit.
Le vers onze finit ainsi que le vers treize.
Ne manquez à ces lois et chantez à votre aise.

– J’aimerais mieux, déclara Mme Baramel, que vous eussiez dit: Le vers 13 finit ainsi que le vers 11.
– Vers que nous graverons, Madame, dans le bronze; mais je ne songe point du tout à rien changer au mien, encore qu’on m’en puisse gourmander, comme vous faites, car j’ai voulu précisément marquer que, de deux vers, les poètes ont assez bien coutume de ne construire le premier qu’après avoir trouvé le second, – je dis: construire et trouver; et l’on peut, par conséquent, se plaire à soutenir que c’est le vers onzième qui dans la forme et le son de sa dernière syllabe imite la fin du treizième.
– Mais, reprit M.Durand, tant de poètes, et Malherbe, et Baudelaire, ont fait de ces sonnets que Racan nommait licencieux, et Gautier libertins, où les rimes du second quatrain ne sont plus celles du premier, que j’ai pensé fort raisonnable de supprimer l’un des quatrains, puisqu’il brisait, en quelque sorte, l’architecture de ces petits ouvrages; et, dans ma solitude béarnaise, à cet endroit où deux gaves, en s’unissant, perdent la moitié de leurs rives, rêvant à des amours qui, selon la coutume, m’avaient été douces et cruelles, à Bayonne, et qui me tourmentaient encore, voici comme j’improvisai:

J’abandonne ta chaîne et tes molles arcades,
Bayonne, dont le nom chante au bout des fusils,
Pour mêler ma paresse et mes songes choisis
Au bruit vain de cette eau qui se rue en cascades.

Je fus cascade aussi dont mes soirs sont fourbus.
Amour, Gloire, Allégresse, adieu! Les vins sont bus,
Et ce double torrent sera tout mon Hydaspe.

L’hameçon de Vénus brille au gave d’Ossau
Pourtant ou de ma main charme le gave d’Aspe,
Quand je tente une truite avec un vermisseau.

abba ccd ede – 1o vers

– Vous êtes bien impertinent, dit Mme Baramel, de comparer ainsi l’amour à la pêche à la ligne; mais je ne sais ce que vous voulez dire avec vos fusils.
– Ne vous rappelez-vous point ces soldats que nous a peints Chateaubriand?  » … Ils portent un tube enflammé, surmonté du glaive de Bayonne. »
– Je crois, Monsieur, dit M. Théodore Decalandre, que cette forme de poème que vous avez inventée se montre fort propre à contenir les beautés les plus grandes. Malherbe, lui-même, ne voudrait pas me contredire. Pour nous mener longtemps par des chemins divers, vous avez mis, Monsieur, votre esprit à l’envers et vous avez trouvé la strophe de dix vers, – astre fameux au ciel de ce vieil univers.

On admirera la belle tentative de M. Polyphème Durand pour définir de manière brève et en vers le sonnet banvillien. Il n’y parvient pas tout à fait (à cause des tercets)

Je ne vous ai jamais dit que je vous aimais — 1933 (11)

Armand Masson in Felix  Arvers : articles (fonds rondel, RF 21313)

à la manière de Paul Géraldy

Je ne vous ai jamais dit que je vous aimais
Et pourtant il y a longtemps que je vous aime
Plus que moi-même et plus même que mes poèmes
Mais je le cache, et vous ne le saurez jamais.

Je vous ai rencontrée souvent chez les Dufour
Seulement je suis excessivement timide,
Je restais là, avec ma tasse de thé vide,
N’osant rien demander, pas même un petit four.

Pourtant, vous avez l’air d’avoir bon caractère,
Mais vous êtes mariée, à ce que l’on m’a dit.
Alors, moi, j’ai pensé : Mon petit Géraldy,
Le mieux que tu aies à faire c’est de te taire.

C’est pourquoi, si plus tard, un beau jour, vous lisez
Ces vers où vous ne pourrez pas vous reconnaître
Vous vous direz « Qui donc cela peut-il bien être ? »
Et puis qui sait ? peut-être que vous m’écrirez.

Pastiche arv  4 qu à rimes embrassées

Comme le fruit son ver, ma vie — 1933 (9)

Armand Masson in Felix  Arvers : articles (fonds rondel, RF 21313)

à la manière de P.J Toulet

Comme le fruit son ver, ma vie
Cèle un tourment secret,
Bien malin qui devinerait
Le nom de mon envie.

Toi-même ne me connais point,
Qui nourrit ma pensée,
Et qui plus distraite est passée
Que le vent sur les coings.

Car ce désir qui me lancine,
Il cède à ta vertu :
Et si je t’aime, je l’ai tu
Ou si c’est la voisine.

– arv  pastiche  3 qu – 2m: octo, 6syll

Avec sa grande voix hâlée, — 1933 (1)

Henri-Philippe LivetChants du prisme

Avec sa grande voix hâlée,
Le matin chante dans les vergues;
Le matin rit dans les huniers
Aux mille mouettes en exergue.

Il bondit la joue en plein feu,
S’éclabousse d’azur limpide
Et jette ses deux bras à Dieu
Qui sur l’abîme se décide.

Pour les pleureuses de rosée,
Pour les pleureuses de lumière,
Il bat d’étincelles les cieux,
Bouillonne aux profondeurs perlières.

Et des semis de fleurs d’étoiles
S’effacent au doigt ineffable
Qui passe lucide et songeur

Sur les brumes aux douces nacres,
Des lagunes roses et ocres,
Où, fluide, fuit un vapeur.

3Q: abab a’b’a’b’ a »b »a »b »– T15  octo

O splendide, salut! Viens à moi qui t’appelle! — 1928 (2)

Catherine PozziOeuvres poétiques

Invocation

O splendide, salut! Viens à moi qui t’appelle!
Comme un songe, descends de l’Olympe sacré,
Où depuis deux mille ans se languit ta beauté …
Reviens! et que ton œil de nouveau étincelle!

O mère des désirs, ô douleur, ô douceur,
O souffrance adorée, plaisir profond, ô charme!
Astarté, Kythérè, mouille-moi d’une larme,
Et je serai ton œuvre, ton enfant, ta soeur!

O Kyprès! si mes yeux sont beaux et mes dents blanches,
Mes dents sont de travers, hélas, mon nez est grand!
Mon menton trop petit à pousser fut trop lent,
Et ma taille flexible est elle qu’un planche!

Unique! ce sonnet – Car ce s’ra un sonnet –
Du début parnassien s’est dégagé tout net –
Hélas! zut – je le sens devenir prosaïque:

Mais vois: d’exquis bonbons et d’odorants oeillets
Sont exposés pour toi sur un blanc tabouret,
Et je t’offre ceci d’une âme bucolique! ….

Journal, 24 oct. 1900

abba a’b’b’a’ a »b »b »a » – T6

L’homme s’enfuit, le cheval tombe, — 1926 (3)

Paul Eluard Capitale de la douleur


Le jeu de construction
A Raymond Roussel

L’homme s’enfuit, le cheval tombe,
La porte ne peut pas s’ouvrir,
L’oiseau se tait, creusez sa tombe,
Le silence le fait mourir.

Un papillon sur une branche
Attend patiemment l’hiver,
Son cœur est lourd, la branche penche,
La branche se plie comme un ver.

Pourquoi pleurer la fleur séchée
Et pourquoi pleurer les lilas?
Pourquoi pleurer la rose d’ambre?

Pourquoi pleurer la pensée tendre?
Pourquoi chercher la fleur cachée
Si l’on n’a pas de récompense?
– Mais pour ça, ça et ça.

Q59 – tercets non rimés – 15v

L’ombre noyait les bois. C’était un soir antique. — 1925 (3)

Albert Samain Poèmes inachevés

Améthyste

L’ombre noyait les bois. C’était un soir antique.

Les dieux puissants vaincus par le Dieu pathétique
Après mille ans d’Olympe avaient quitté la terre,
Et la syrinx pleurait dans Tempé solitaire.
Sur la mer en émoi, vers l’orient mystique

Une aube se levait. Pleins de souffles étranges
Les chênes renuaient des branches prophétiques,
Et les grands lys élus versaient leurs blancs cantiques
Aux lacs sanctifiés visités par les Anges.

Le ciel était plus doux qu’un col de tourterelle ….
Rêveuse en longs cheveux, nymphe lacune frêle
Tressait de pâles fleurs autour d’une amulette.

Et près d’elle, dans le crépuscule idyllique,
Un petit Faune triste, aux yeux de violette,
Disait sur un roseau son cœur mélancolique …

Et c’était le dernier amour du soir antique …

Q49  T14  –  y=x :e=a – 16v (a-   -a)

Le pré est vénéneux mais joli en automne — 1913 (13)

Guillaume Apollinaire Alcools

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Q10  – T13 -y=x: e=a  – 15v – disp: 7+5+3m.irr.On peut à la rigueur considérer qu’il s’agit d’un sonnet, si on admet qu’il a été ‘dénaturé’ par le découpage en deux vers de l’alexandrin ‘Les vaches y paissant ..’ (qui a eu lieu sur épreuves) et le déplacement des frontières strophiques.