Archives de catégorie : 2m

Vers plurimétriques

La vie, en ces jours, a moins de saveur. — 1895 (4)

F.H. BaudryPauca Meis – sonnets –

Pensées d’automne

La vie, en ces jours, a moins de saveur.
La fleur nous délaisse, après l’hirondelle,
Le soleil aux yeux semble être infidèle:
On devient rêveur.

Au ciel les chrétiens cherchent leur Sauveur;
Leur âme, à sa vue, ouvre mieux son aile,,
Le monde et ses deuils font grandir en elle,
Espoir et ferveur.

Le coeur plus sevré d’humaines délices,
Plus ardent, aspire aux divins calices
De félicité.

Tout passe ici-bas: fleur, joie, et nous même;
Là-Haut tout demeure – et Là-haut tout aime
Pour l’éternité.

Q15 – T15 –  2m : tara ( v.4, v.8, v.11, v.14: 5s)

Or puisque le veau d’or a lieu — 1894 (14)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A Léon Vannier

Or puisque le veau d’or a lieu
Et qu’on ne dirait plus du veau,
Il nous fut d’abord prier Dieu
Tout bonnement prodigieux.

Pour nous ruer à des travaux
Tout bonnement prodigieux,
Prose au kilo, vers vrais ou faux,
Qu’importe? Tant pis et tant mieux!

Nouer et dénouer des noeuds
Gordiens ou non, et n’étant
Pas plus des princes que des boeufs,

Néammoins, peiner tant et tant
Que vous fassiez une fortune boeuf
Et que moi j’achetasse un courage tout neuf.

abaa babb – T23 – 2m : octo; alexandrin: v.14 – toutes les rimes sont masculines. Il y a aussi un jeu de rimes sur le singulier et le pluriel

Il y a une heure bête — 1888 (10)

Charles CrosLe Collier de griffes

Berceuse

Il y a une heure bête
Où il faut dormir.
Il y a aussi la fête
Où il faut jouir.

Mais quand tu penches la tête
Avec un soupir
Sur mon coeur, mon coeur s’arrête
Et je vais mourir ….

Non! ravi de tes mensonges,
O fille des loups,
Je m’endors noyé de songes

Entre tes genoux.
Après mon coeur, que tu ronges
Que mangerons-nous?

Q8 – T20 – 2m (octo ; 5s: vers pairs)

Chacune de tes fleurs renferme dix baisers — 1887 (14)

Julles Nollée in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

A Mademoiselle ***, pour accuser réception d’une boite contenant des fleurs odorantes

Chacune de tes fleurs renferme dix baisers
Qui me sont destinés, dis-tu. Total : soixante !
Cette somme serait pour tout autre importante
Et le mettrait au rang des amoureux aisés.

Hélas ! de moi le ciel fit un enfant prodigue.
Je vis comme un torrent que nulle main n’endigue.
Pauvre dissipateur, je me trouve aux abois,
Car mes lèvres ont pris le tout en une fois.

Cigale au front léger, je viens crier famine !
Comment à mon destin faire meilleure mine ?
Iras-tu m’envoyer au bal ?

Montre que la fourmi parfois est secourable,
Et, voulant à tout prix faire mentir la fable,
Renouvelle mon capital.

Q61  T15   2m : v 11 & 14 : octo

Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées — 1886 (11)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)


Smala

Le soleil verse aux toits des chambres mal fermées
Ses urnes enflammées;
En attendant le kief, toutes sont là, pâmées,
Sur les divans brodés de chimères armées;

Annès, Nazlès, Assims, Bourbaras, Zalimées,
En lin blanc, la prunelle et la joue allumées
Par le fard, parfumées,
Tirant des narghilés de légères fumées,

Ou buvant, ranimées,
Les ongles teints, les doigts illustrés de camées,
Dans des dés d’argent fin des liqueurs renommées.

Sur les coussins vêtus d’étoffes imprimées,
Dans des poses d’almées,
Voluptueusement fument les bien-aimées.

sonnet monorime – 2m (6s: v.2, v.7, v.9 v.13)

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement — 1885 (5)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

Les cygnes

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement
Fait toujours en été vider complêtement,
L’autorité met-elle avec acharnement
Un cygne?

Serait-ce pour permettre au poète rêveur
De l’égorger, afin d’ouïr plein de ferveur
Son chant suprême? Alors, mais c’est une faveur
Insigne?

Doit-il nous rappeler que Jupiter jadis
Trouva bon d’endosser un plumage de lys,
Pour se montrer sur l’eau, comme sur terre, ingambe?

Non, c’est pour qu’un papa rabâche à ses enfants
Qui le répèteront aux leurs, tout triomphants:
« D’un coup d’aile, ça peut vous casser une jambe! ».

aaab a’a’a’b – T14 – 2m (2s: v.4, v.8 )

Elle te retient par un fil. — 1879 (19)

L’Hydropathe

Cabriol

Sonnet captif
à Sarah Bernhardt

Elle te retient par un fil.
Et, tournoyant tout autour d’elle
Tu vas, tu vas, battant de l’aile,
Admirant trois-quarts et profil.

Elle te guette et sa prunelle
T’envoie un doux rayon d’avril.
Jettera-t-elle un grain de mil
La charmeresse demoiselle ?

Vole, vole, gazouille et chante ta chanson,
Ton vol passant dans l’air comme un léger frisson
Prend sa part d’auréole, et peut-être la flatte.

Ta cage est dans l’azur, plus que la liberté
Ce lien peut sourire à ton humilité,
Pauvre petit sonnet attaché par la patte.

Q16  T15  2m (v.1-8 : octo)

L’Académie en deux parts se divise: — 1876 (4)

Emile NégrinLes trente-six sonnets du poète aveugle

L’Académie française
a.x.b+y.x.z= A

L’Académie en deux parts se divise:
L’une où du monde est connu chaque nom,
Et qui, malgré sa gloire, n’est admise
Dans le grand corps qu’après réflexion.

L’autre où se voient des princes de l’Eglise,
Entremêlés de princes de salon,
Fort peu connus, et sans réfléchir mise
Au premier rang grâces à son blason.

Or le public justicier, pour ces princes,
Dont les travaux passagers sont si minces,
Fait du fauteuil un simple tabouret;

Tandis qu’ailleurs, pour ces hommes de lettres
Que leurs travaux immortels rendent maîtres,
Il en fait un trône doré.

Q8 – T15 – 2m (octo: v.14) – (18 sonnets sont en provençal-nissard)  » En principe les quatorze vers du sonnet comptent le même nombre de syllabes. Un vers plus court à la fin du deuxième tercet constitue une licence, mais elle est permise parce qu’elle produit une cadence agréable à l’oreille.
Depuis quelque temps, les sonnets sont revenus à la mode; seulement beaucoup de personnes semblent en avoir oublié les règles fondamentales.
Le sonnet doit être la peinture concise, complète, élégante d’une idée unique ou d’un fait ‘isolé’, et se terminer par une ‘chute’, comme on disait à l’époque de Des Barreaux. Voilà pour le fond.
Les deux séries de rimes semblables des deux quatrains doivent être régulièrement accouplées, deux à deux, ou régulièrement alternées deux à deux. Les trois couples de rimes des deux tercets doivent être arrangés de manière que le troisième vers soit en parallèle avec le sixième.
Voilà pour la forme.Hors de ces règles de sens et de structure, pas de sonnet.
J’ajouterai comme corollaires les trois observations suivantes: On ne peut alterner les rimes du premier tercet, parce que cette disposition au-dessous du quatrain entraîne quatre rimes différentes à la file l’une de l’autre, ce qui est contraire à la prosodie.
Terminer le deuxième tercet par deux rimes accouplées est également irrégulier, parce que cet arrangement pèche contre l’harmonie, en supprimant, pour ainsi dire, la note finale du chant.
Quelques auteurs délaient un récit en deux ou trois sonnets consécutifs, cela répugne à la logique. Autant vaudrait couper en morceaux un tableautin de Meissonnier.  » Il admet donc seulement  les combinaisons Q8-T15 et Q15-T15. La critique des dispositions qui ne font pas rimer les vers 9 et 10 procède d’une ancestrale tendance de la prosodie en langue française : retarder le moins possible l’écho d’une rime. Enfin, il n’admet que les sonnets qui constituent à eux seuls un poème. »

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme — 1873 (37)

– – Joseph AutranSonnets capricieux

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme
Qui, de ses douze chants, assomme l’auditeur !
Sur le ton solennel que tout autre s’endorme,
Toi, tu n’as pas le temps d’assoupir un lecteur.

J’aime ton pas léger, j’aime ta mince forme ;
Ayant si peu de corps, tu n’as pas de lenteur,
On fait un lourd fagot avec le bois de l’orme,
Avec un brin de rose on fait une senteur !

Va donc, cours et reviens, demande à l’hirondelle
Cet essor qui franchit tout le ciel d’un coup d’aile ;
Au fier cheval de Job emprunte son galop

Sois l’éclair, le rayon, le regard, le sourire.
Oh ! et fais en un mot que l’on ne puisse dire :
« Quatorze vers, c’est encor trop ! »

Q8  T15  2m  s sur s

Tiens non! j’attendrai tranquille, — 1873 (27)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Toit

Tiens non! j’attendrai tranquille,
Planté sous le toit,
Qu’il me tombe quelque tuile,
Souvenir de Toi!

J’ai tondu l’herbe, je lèche
La pierre, – altéré
Comme la Colique-sèche
De Miserere
!

Je crèverai – Dieu me damne! –
Ton tympan ou la peau d’âne
De mon bon tambour!

Dans ton boîtier, ô Fenêtre!
Calme et pure, gît peut-être …
…………………………………
Un vieux monsieur sourd!

Q59 – T15 – 2m (octo; 5s: v.2, v.4 ,v.6, v.8, v.11, v.15) – La ligne de points en fait un sonnet de quinze vers.