Archives de catégorie : Mètre

Musiques ombreuses vertes— 1899 (6)

Léopold DauphinCouleur du temps

Pour Stéphane Mallarmé
1 – septembre 1898

Musiques ombreuses vertes
Pour imiter les fontaines
Que tes flutes si lointaines
Par leurs trous au soir ouvertes

Ou quel allegro touchant
Tes blés dorent maints et blonds
Claires trilles de violons
Quand exulte le couchant

Mais où les toits des fumées
Les fiancent à l’étoile
S’arpégeant avec le voile
Long de harpes embrumées.

Pleurs! le Rêve en ses décors
Clame une plainte de cors.

shmall* – 7s

Les seigneurs blancs couchés dans leurs corsets de marbre, — 1899 (5)

Remy de Gourmont

Le soir dans un musée

Les seigneurs blancs couchés dans leurs corsets de marbre,
Larves que le soleil mène à l’éternité?
Ces colonnes vêtues de lierre comme des arbres,
Ces fontaines qui virent sourire la beauté?

Les évêques de cire à la mitre de cuivre,
Les mères qu’un enfant fait penser au calvaire,
L’angoisse de l’esclave, l’ironie de la guivre,
Diane, dont les seins se gonflent de colère?

Cette femme aux longues mains pâles et douloureuses?
Ces beaux regards de bronze, ces pierres lumineuses
Qui semblent encore pleurer un amour méconnu?

Non, soumis au désir qui m’écrase et me charme,
Je ne voyais rien dans l’ombre pleine de larmes
Qu’une main mutilée crispée sur un pied nu.

Q59 – T15 – m.irr

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres, — 1899 (4)

Paul RomillyMuse & Musette

Apostrophe

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres,
Suer sans repos, me battre les flancs,
Hanneton rêveur, pondre des vers blancs,
Denués de sens autant que les vôtres.

Vous m’auriez crié « Te voilà des nôtres! »
Dupes volontiers de mes faux-semblants.
Prêtres maladifs aux cultes troublants,
Vous l’auriez compté parmi vos apôtres.

Mais je ne veux pas de ces lâchetés.
Vos suffrages sont trop cher achetés:
J’écarte la main que vous m’alliez tendre.

Hiboux clignotant d’un oeil hébété,
Nous ne sommes pas faits pour nous entendre:
Vous préférez l’ombre, et moi la clarté.

Q15 – T14 – banv –  tara

Préface de G. Vapereau (auteur du Dictionnaire des Contemporains) – Après deux siècles environ de discrédit, notre génération littéraire a ramené, pour le sonnet, une ère de faveur et d’éclat. L’école romantique, se souvenant qu’il remonte, par delà le règne trop longtemps célébré des maîtres classiques, à l’époque moins démodée de la Renaissance, l’avait repris comme l’étendard de la Pléiade. On s’y est attaché pour les prétendues difficultés de sa forme, pour les contrastes de mots ou d’images que sa concentration met en relief, pour ses effets de prosodie, je dirai presque d’acoustique, pour ses harmonieuses sonorités! Quelques-uns l’ont adopté, sans prétention ni arrière-pensées, comme le cadre le plus favorable d’une noble idée et d’un sentiment délicat. Grâce à ces diverses aspirations, les sonnets se sont de nouveau multipliés, et plusieurs ont paru digne de survivre. Une pensée d’amour mystérieux et discret, dans le ‘sonnet d’Arvers’, a suffi pour sauver le nom et le souvenir d’un poète voué, sans cet éclair, à un entier oubli. D’autres, comme Joséphin Soulary, ont produit des sonnets avec assez de continuité pour en former ses recueils, et, malgré leur travail acharné de ciselure littéraire, ils ne survivent auprès de la postérité, qui a commencé pour eux, que par l’ingéniosité du trait et la délicatesse du sentiment. Quant aux prosodistes qui cherchent avant tout, dans le sonnet, le mérite de la difficulté vaincue, comme celui qui a fait l’un des siens en quatorze syllabes, ils réalisent des bizarreries sans intérêt, et, s’il reste un souvenir de leurs tours de force, on a bientôt oublié les noms des acrobates des lettres qui les ont accompli.
M. Paul Romilly n’est pas de ces derniers. Malgrè sa facilité à tourner la stance, quatrain ou tercet, il affranchit le sonnet de quelques-unes de ses puériles exigences; mais il ne cesse d’y voir ce petit cadre savant qui fait ressortir en pleine lumière la pensée ou le sentiment, augmente l’éclat ou nuance la grâce. ….

Comme au bonhomme La Fontaine, — 1898 (21)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Pourquoi des sonnets

Comme au bonhomme La Fontaine,
Les longs ouvrages me font peur :
A mon esprit de courte haleine
Convient un facile labeur.

Pourtant je ne crains pas la peine,
Et je ne suis pas sans ardeur ;
Mais de la source d’Hippocrène
Par gouttes ne vient la liqueur.

Non plus qu’à nos anciens trouvères,
Il ne me faut pas de grands verres
Pour trinquer avec Apollon.

Du Sonnet la faible mesure
Suffit pour rendre mon allure
Titubante au sacré vallon.

(A. Boursault)

Q8 T15 octo  s sur s

Du sonnet quel est l’avantage ? — 1898 (20)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Du sonnet quel est l’avantage ?
Vous dit-on souvent au palais :
Il n’a que faire dans les plaids,
Ce n’est qu’un charmant badinage.

Erreur ! on doit à son usage
De condenser non sans succès,
En peu de mots, en quelques traits,
Un confus et lourd verbiage.

Eh quoi ! messieurs les avocats,
Quatorze vers sont-ils au cas
D’encourir une raillerie ?

Onques juge ne dormirait
Si jamais une plaidoirie
N’était plus longue qu’un sonnet.

(G.Hipp)

Q15 T14 – banv – octo  s sur s

Dans l’Epopée, une vaste peinture — 1898 (19)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

‘Ut pictura poesis’

Dans l’Epopée, une vaste peinture
S’enlève à fresque et se brosse à grands traits ;
Des demi-dieux violant les secrets,
Le Drame antique outre un peu la nature ;

Jusqu’aux confins de la caricature
La Comédie exhaussant ses portraits,
Nous fait toucher nos travers de plus près ;
Le Sonettiste est peintre en miniature :

De Michel-Ange il n’a pas les crayons,
De Raphaël les célestes rayons,
Ou de Rubens la magique palette ;

Terburg, Miéris lui prêtent leur pinceau :
L’immensité dans la mer se reflète ;
Un coin de ciel suffit au clair ruisseau.

(Georges Garnier)

T15 Q14 – banv –  déca s sur s

L’Apologue est indien ; — 1898 (16)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet est limousin

L’Apologue est indien ;
L’Attique trouve le Drame ;
L’Elégie est de Pergame ;
Le Poème est rhodien.

Un berger arcadien
Composa l’Epithalame ;
L’inventeur de l’Epigramme
Fur le barbier lydien.

Enna fit parler Tityre ;
Rome conçut la Satire ;
Byzance orna le Dizain ;

La Ballade est allemande ;
La Villanelle, normande ;
Et le Sonnet, limousin !

(Abbé Joseph Roux)

Q15  T15  7s  s sur s

Dans sa forme attrayante, avec art modelée, — 1898 (15)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet

Dans sa forme attrayante, avec art modelée,
Nous aimons le sonnet, concis et gracieux.
Nous le voulons parfait : accents hamonieux,
Œuvre finement ciselée.

Elevant son essor vers la voute étoilée,
Dont les astres sans nombre éblouissent nos yeux,
Ainsi que l’ode il peut, dans l’infini des cieux,
Monter sur une stance ailée.

Souvent le cœur y parle un langage charmant ;
L’esprit en fait jaillir comme d’un diamant
Les plus brillantes étincelles.

Oui, c’est un joyau rare, une perle, un trésor …
Avouons-le pourtant : c’est une cage d’or
Où n’entrent pas les grandes ailes.

(Léon Magnier)

Q15  T15  s sur s –  2m (octo 4-8-11-14

L’impertinent petit vieillard, — 1898 (9)

Franc-Nohain Les flûtes

Sonnet de l’inutile impertinence

L’impertinent petit vieillard,
Ayant tiré de sa poche une énorme
Tabatière en corne,
Me dit d’un air goguenard:

‘Voilà du bon tabac, cher Monsieur, je m’en flatte,
Mais pour vous c’est comme des dattes;
Vous pouvez admirer comme on l’a bien râpé,
Mais d’en prendre un seul grain il vous faut vous taper. »

– Monsieur, dis-je au vieillard, vous ignorez sans doute
Que je chique, et ne prise pas;
Gardez-le donc, votre sale tabac:
Qu’est-ce que vous voulez que j’en foute?

12v – métrique irrégulière