Archives de catégorie : Mètre

O mes contemporains du sexe fort, — 1893 (24)

Verlaine Dédicaces

Quatorzain pour tous

O mes contemporains du sexe fort,
Je vous méprise et contemne point peu,
Même il en est que je déteste à mort
Et que je hais d’une haine de dieu.

Vous êtes laids, moi compris, au delà
De toute expression, et bêtes, moi
Compris, comme il n’est pas permis : c’est la
Pire peine à mon cœur et son émoi

De ne pouvoir être (si vous non plus)
Intelligent et beau pour rire ainsi
Qu’il sied, du choix qui me rend cramoisi

Et pour pleurer que parmi tant d’élus
A faire, ces messieurs aient entre tous
Pris Brunetière. O les topinambous !

Q59  T30  rimes masc.  octo

La vie est toute tracée — 1893 (22)

Paul Verola Les baisers morts

Scepticisme

La vie est toute tracée
Et, gondole sans rameur,
L’âme coule, harassée,
Amour, sifflet ou rumeur

A rien ne sert se débattre ;
Le cœur fuit, méchant ou bon :
Toujours noir est le charbon ;
Toujours blanc sera l’albâtre.

L’âme, toute embarrassée,
N’entraîne que ce qui meurt,
Baisers secs, fleur trépassée,
Bois mort et vaine clameur !

Elle va, troupeau sans pâtre
Et sans but, à l’abandon,
Broutant violette ou chardon,
Yeux bleus ou dégoût saumâtre.

Dans le cœur rien ne peut naître
Et tout ce qui y pénètre,
Y pénètre pour mourir,

De l’univers sanctuaire
Il n’est que l’obituaire
Changeant printemps en hiver ;

Larmes, cris, chants de victoire,
Il est le four crématoire
Incinérant l’Univers !

Quatre quatrains (abab a’b’b’a’ abab a’b’b’a’) et trois tercets ( ccd c’c’d’ eed’ ; la rime ‘d’ est quasi-orpheline)

Existe-t-elle encor, cette île — 1893 (21)

Paul Verola Les baisers morts

Evocation

Existe-t-elle encor, cette île
Où le baiser, toujours vainqueur,
S‘épanouit dans chaque cœur,

Où la moindre brise distille
Des arômes ensorceleurs
Sur les lèvres toujours en fleurs ?

Où, dans la luit pleine d’aveux,
La lune orgueilleuse démêle
L’or et l’argent de ses cheveux
Sur le flot gris qu’elle constelle ?

L’île où la fleur même a des lèvres,
La pierre, des pulsations,
Où l’Océan, pendant ses fièvres,
Rugit toutes nos passions ?

Où vers l’amour montent tous vœux ;
Où la rose, au papillon frêle
Tendant son front vierge et séveux
Lui murmure : arrête ton aile !

Cette île où l’âme la plus mièvre
A d’immenses éruptions,
Où la chair jamais ne se sèvre,
Où tout n’est que vibrations ?

Elle exista : nous y vécumes
Inondés d’azur et d’écume,
Enlacés à briser nos corps !

Oh ! retournons-y, car peut-être
Ce qu’on croit mort peut y renaître,
Et tu pourrais m’aimer encor.

double sonnet fait d’un sonnet renversé et d’un Q 59- T15, les quatrains sur les mêmes rimes. octo

Des pas menus et trottinants d’insecte, — 1893 (9)

Albert Aurier Oeuvres posthumes

Portrait

Des pas menus et trottinants d’insecte,
Un grand oeil noir toujours comme en maraude,
Une démarche alerte et circonspecte,
Toute petite, en robe d’émeraude

Elle trottine, elle flane, elle inspecte,
Avec des airs de carabe qui rôde,
Ou bien parfois, s’arrête et se délecte
Au grand soleil ardent qui la taraude.

Le satin vient du Japon, qui brillotte,
Semble une élytre, et, toujours brinqueballe
Comme une antenne, à sa toque embarbée,

Un plumasseau mince qui se trémousse …
Est-elle femme? Est-elle scarabée?
On aimerait l’aimer parmi les mousses.

Q8 – xyd ede – déca – brilloter : (H.N.) briller un peu

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

C’est fin de bal:  » Vois-tu que brille — 1892 (7)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Violons
Pour Georges Darien

C’est fin de bal:  » Vois-tu que brille
Dans leurs yeux fous même chanson?
Ecoute rire à l’unisson
Les deux violons du quadrille.

Ce n’est pas le rire qui brille
Dans les yeux après la chanson,
Vont-ils pleurer à l’unisson?
Les deux violons du quadrille.

Mais vient le temps où la chanson
Que l’on rêvait à l’unisson,
Comme autrefois dans les yeux brille.

Pauvre chanson ! Pauvre chanson !
Ils riront seuls à l’unisson
Les deux violons du quadrille.

Q15 – T6 – octo  – y=x (c=b, d=a) – Sonnet sur deux rimes avec vers-refrain: 4,8, 14

Cette vie est bien monotone: — 1892 (6)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Théâtre

Cette vie est bien monotone:
Même farce et même décor,
Ne saurait on jouer encor
Un peu de neuf qui nous étonne?

Je sais un théâtre divin,
Pièce et décor, tout y varie,
C’est une fantasmagorie,
Les auteurs sont l’Amour, le Vin.

L’Amour compose les grands rôles
Où l’on pleure, quand vient le tour
Du Vin c’est un feu de mots drôles.

Avec le Vin, avec l’Amour
On peut vagabonder sans trêve
Dans le ciel infini du Rêve.

Q63 – T23 – octo

« Vierge impudique, aux flancs d’airain — 1892 (2)

Antoine SabatierSonnets en bige

Donna Juana

« Vierge impudique, aux flancs d’airain
Striés de blondeurs et de hâles,
Parmi les hommages des mâles,
J’ai passé, monstre vipérin.

Parmi les désirs et les râles,
Je fus le lac, perfide écrin
De mirage où le pèlerin
Veut rafraîchir ses lèvres pâles.

Au prix du sang, au prix des ors.
Et fus la jeteuse de sorts,
Prêtresse de Mélancolie.

Oh! de leur commune folie
Combien des meilleurs et des forts
Etreignant mes genoux sont morts!

Q16 – T9 – octo

Le bachot privé d’avirons — 1892 (1)

Mallarmé in Lettre à Paul Nadar

Le bachot privé d’avirons
Dort au pieu qui le cadenasse –
Sur l’onde nous ne nous mirons
Encore pour lever la nasse

Le fleuve sans autres émois
Que l’aube bleue avec paresse
Coule de Valvins à Samois
Frigidement sous la caresse

Ce brusque mouvement pareil
A secouer de quelque épaule
La charge obscure du sommeil
Que tout seul essaierait un saule

Est Paul Nadar debout et vert
Jetant l’épervier grand ouvert

shmall – octo