Archives de catégorie : Mètre

Les choses qui chantent dans la tête — 1884 (13)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vendanges
A Georges Rall

Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez! c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète!

Ecoutez! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.

Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose!

Chantez, pleurez! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres.

Q63 – T23 – 9s – Rimes toutes féminines

Ce soir je m’étais penché sur ton sommeil. — 1884 (12)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vers pour être calomnié
A Charles Vignier

Ce soir je m’étais penché sur ton sommeil.
Tout ton corps dormait chaste sur l’humble lit,
Et j’ai vu, comme un qui s’applique et qui lit,
Ah! j’ai vu que tout est vain sous le soleil!

Qu’on vive, ô quelle délicate merveille,
Tant notre appareil est une fleur qui plie!
O pensée aboutissant à la folie!
Va, pauvre, dors, moi, l’effroi pour toi m’éveille.

Ah! misère de t’aimer, mon frêle amour
Qui va respirant comme on respire un jour!
O regard fermé que la mort fera tel!

O bouche qui ris en songe sur la bouche,
En attendant l’autre rire plus farouche!
Vite, éveille-toi! Dis, l’âme est immortelle?

abba a*b*b*a* ccd c*c*d*– 11s – Comme en 1881, 7, Verlaine rime une finale masculine avec une féminine.

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal. — 1884 (10)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Sonnet boiteux
A Ernest Delahaye

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Epouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des haôs.

Non vraiment c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!

Q59 – cdd efa’– 13s – Ça boite sévérement en effet. Mais quel talent ! Le mot-rime du vers 14 est le même que celui du vers 5. Les tercets ne sont que partiellement rimés. Le premier quatrain est à rimes masculines, le second à rimes féminines. Sans oublier le mètre ‘boiteux’: 13 syllabes.

Chose italienne où Shakespeare a passé — 1884 (9)

Paul VerlaineJadis et Naguère

A la louange de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakespeare a passé
Mais que Ronsard fit superbement française,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,
Dogme entier toujours debout sous l’exégèse
Même edmondshéresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force aquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,
Ayant procuré leur luxe aux misérables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Epris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.

Q15 – T14 – banv –  – 11s – s sur s

Près d’un « objet charmant » — 1884 (3)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Préservatifs

Près d’un « objet charmant »
Lorsque l’amour m’appelle,
Avant de voir ma belle
Je passe chez Millant.

Là, du petit au grand,
Flotte une ribambelle
De rubans qu’avec zèle
Il gonfle en y soufflant.

Enfin! j’ai ma mesure!
Au sein de la luxure,
Vite, allons nous plonger.

Caché dans la baudruche,
Je veux comme l’autruche,
Ne plus croire au danger.

Q15 – T15 – 6s

Mélie a fini d’être sage — 1884 (1)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Ecchymoses

Mélie a fini d’être sage
Et s’en mord les doigts maintenant.
Des taches d’un bleu chagrinant
Marbrent sa nuque et son corsage.

Ses compagnes d’apprentissage
Hochent la tête en la menant
Près d’un herboriste éminent,
Oracle attitré du passage.

Et la nigaude d’exposer
Un vallon noir, des sommets roses,
Où l’autre peut herboriser

Trouve un parterre d’ecchymoses,
Livides fleurs d’alcôve écloses
Sous la ventouse du baiser.

Q15 – T21 – octo

Comme deux oiseaux nous nichons — 1883 (25)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Hélène, IX

Comme deux oiseaux nous nichons
Dans un lit d’éclatante hermine
Et lorsque l’été se termine
A tous les yeux nous nous cachons.

Nous sommes les petits nichons,
Tant convoités de la gamine
Et que le garçon examine
Avec des regards folichons.

Lorsqu’avec notre tétin rose
Un homme, ivre de plaisir, cause
Nous nous cabrons comme un coursier,

Nous sommes plus blancs que l’ivoire,
Et presque aussi durs que l’acier
Voilà ce qui fait notre gloire.

Q15  T14 – banv – octo

Cette balle, comme elle est ronde — 1883 (24)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Le poème d’un suicidé

Cette balle, comme elle est ronde
Comme elle entre bien dans le trou
De ce revolver … J’en suis fou !
J’ai pour elle une amour profonde.

Non jamais brune, jamais blonde
Avec leurs robes à froufrou
N’allumèrent pareil grisou
Dans ma cervelle vagabonde.

Quand elle entrera dans ma peau
Je tomberai comme un moineau
Me pâmant sous sa douce étreinte.

Chère balle, je t’aimerai
Lorsque ma vie étant éteinte
Je dormirai dans le tombeau.

Q15  T14  – banv – octo