Archives de catégorie : Mètre

Parfums, couleurs, systèmes, lois! — 1881 (4)

Paul VerlaineSagesse

Parfums, couleurs, systèmes, lois!
Les mots ont peur comme des poules.
La chair sanglote sur la croix.

Pied, c’est du rêve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.

Cieux bruns où nagent nos desseins,
Fleurs qui n’êtes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l’oeillade de tes seins,

Nuit câlin aux frais traversins,
Qu’est-ce que c’est que ce délice,
Qu’est-ce que c’est que ce supplice,
Nous les damnés et vous les Saints?

s.rev: dcd cdc abba abba – octo

Du sein des riches fleurs d’Asie — 1881 (1)

Arthur BretonLe Garde-forestier. sonnets –

Le Sonnet

Du sein des riches fleurs d’Asie
Le parfum sort plus pénétrant
Et l’or du Palerne enivrant
S’épure en l’amphore choisie.

Le Sonnet d’émail transparent
Ainsi fait luire, ô poésie,
Ta quintessence d’ambroisie
Dans son beau calice odorant;

Et, lorsqu’on penche cette coupe,
Qu’à vives facettes découpe
La pointe du vers raffiné,

L’idée au travers étincelle,
Et plus poétique ruisselle
Du Vase avec art buriné.

Q16 – T15 – octo – s sur s

Lecteur, les vers de ce recueil — 1880 (24)

Tristan Gratien in La nouvelle lune

« Notre ami n’ayant pas le courage de commencer son volume, en a d’abord écrit l’épilogue »

Sonnet-épilogue

Lecteur, les vers de ce recueil
On un parfum de pourriture,
De réalisme et de cercueil,
En un mot, sont d’après nature.

Rarement j’ai franchi le seuil
De la Morgue, où le ciel figure,
Et mes vers en portent le deuil,
Lugubrement, je te le jure.

Tu peux les voir d’un mauvais œil
Ou leur faire un charmant cercueil,
Ami lecteur, je n’en ai cure !

S’ils froissent un peu ton orgueil,
Cher mortel, fais-en un linceul
Pour ta noble et superbe ordure.

Q8  T6  octo  y=x (c=a & d=b)

Devant l’ex-Napoléon-un — 1880 (23)

Cabriol in L’Hydropathe

Maurice Petit*

Devant l’ex-Napoléon-un
Il fait, le dimanche matin,
Ronfler, sous une dextre main,
Pour charmer maint, et maint et maint

Nez d’argent, que jadis la treille
Avait bourgeonné, mainte oreille,
Aux oreilles de sourd pareille,
L’orgue ! et pour cela j’appareille

Au plus haut mat de perroquet,
Le pavillon roux, bleu, blanc qu’est
Le pavillon du vrai courage.

A Maurice Petit je bois
Pour vouloir bien rajeunir d’âge
L’Invalide à la têt’ de bois.

* organiste aux Invalides

aaaa  bbbb T14  octo  on remarque la rime ‘un/ matin’

Tous les vieux bouquins dédaignés aux couvertures désolées — 1880 (17)

Narzale Jobert Klimax


XVI ter
Césure après la 8ème syllabe
Les livres parias

Tous les vieux bouquins dédaignés aux couvertures désolées
Avec des cornes, des frisons, où la poussière gîte en paix
Sont pour moi des amis touchants, et que je passe sur les quais.
Ma main les arrache à la pluie, au chaud soleil, aux giboulées.

Mon coeur soudain s’émeut devant leurs pantomimes accablées;
Je crois les entendre me dire: « o passant, vois, je n’ai pour dais
Que le firmament gris ou bleu, je n’ai point d’illustre palais;
Je t’en supplie, emporte-moi loin de ces cases maculées.

J’entends leurs voix, leurs cris plaintifs, je les reçois sous mon manteau,
Ainsi j’abrite dans le val contre l’autour le faible oiseau.
Et ces volumes inconnus, j’en dote ma bibliothèque.

Je vous préfère bien souvent aux plus vantés de nos écrits,
O mes pauvres auteurs obscurs! …lorsque mon esprit les dissèque,
Je trouve quelque fois en eux, une perle, un joyau de prix.

Q15 – T14 – 16s (8+8) (HN° frison : Nom d’un ancienne étoffe de laine

Dans le bois mystérieux que le doux zéphyr morcelle, — 1880 (16)

Narzale Jobert Klimax

XV ter
Césure après la 7ème syllabe
La tourterelle

Dans le bois mystérieux que le doux zéphyr morcelle,
En suivant les verts sentiers parsemés d’odorantes fleurs,
Vous plaît-il d’ouïr le chant, le chant tout composé de pleurs
Qu’au fond du fourré voisin roucoule une humble tourterelle?

Peut-être m’a-t-on ravi mon cher compagnon, vous dit-elle;
Qu’est-il devenu? Je crains, je crains pour lui quelque malheur.
S’il était captif, bientôt je mourrais, sentant ses douleurs;
Mais il reviendra, j’y compte, à notre nid toujours fidèle.

Rêve trompeur! Le jour passe, et nul retour dans le bosquet,
La tourterelle au taillis glisse de bouquet en bouquet,
Appelant de cris plaintif l’Achate de la solitude.

Sur la branche aux yeux cachée, objet de leur sollicitude,
Las! Nul gosier ne répond … les oiseleurs trouvent, un soir,
La pauvrette infortunée expirante – de désespoir.

Q15 – T13 – 15s (7+8) il manque une syllabe au vers 1.

Lorsque l’hiver approche, j’aime à contempler les grues — 1880 (15)

Narzale Jobert Klimax

XIV ter
Césure après la 8ème syllabe
Les grues

Lorsque l’hiver approche, j’aime à contempler les grues
Qui vont traversant le brouillard en un tige acéré
Afin de mieux pertuiser l’air qui n’est plus azuré
Car les lumières du soleil pour lors ont disparu.

Elles palpitent au-dessus des toits, et de nos rues
Et poussent un long cri qui semble un appel timoré
A leurs compagnons dont le vol se serait arriéré.
Si quelqu’une allait faire brèche en leurs lignes si drues! …

Et cette infortune survient, hélas, plus d’une fois.
Bien souvent un chasseur rodant dans les champs, dans les bois,
Elève son arme, un coup part, et tombe une émigrante.

Soudain glisse parmi les rangs un frisson d’épouvante …
Abandonnez, ô villageois, ce trop barbare jeu,
Et laisser en paix les oiseaux gagner le ciel bleu

Q15 – T13 – 14s (8+6) (HN) pertuiser: percer (terme vieilli)

Jouez, chérubins, vos jours sont exempts de nuage! — 1880 (14)

Narzale Jobert Klimax

XIII
Césure après la 5ème syllabe
A des enfants

Jouez, chérubins, vos jours sont exempts de nuage!
J’aime à contempler vos yeux brillants, pleins de candeur,
Un Dieu vous bénit et vous dispense le bonheur,
Quand dans nos esprits tout soucieux gronde l’orage.

Oh! qui nous rendra les plaisirs naïfs du jeune âge?
Les espoirs dorés qui palpitent dans notre coeur,
Les baisers si doux de notre mère au front rêveur,
Pour nous composant un avenir au frais mirage?

Riez, chérubins; trop tôt le calice de fiel
Viendra remplacer dans vos mains la coupe de miel,
Que l’Illusion, charmante enchanteresse, habite.

On voit tous les ans la fleur au soleil rajeunir,
Verdoyer l’arbre où l’oiseau musicien médite,
Mais notre printemps à nous ne saurait revenir.

Q15 – T14 – 13s (5+8)

Au fond d’un bois j’ai découvert un ruisselet, — 1880 (12)

Narzale Jobert Klimax.

XII sexies
Césures après les 4ème et 8ème syllabes
Le ruisselet

Au fond d’un bois j’ai découvert un ruisselet,
Sur des cailloux blancs et polis danse son onde,
Sous les roseaux, les nymphaeas, il vagabonde;
La biche vient s’y rafraîchir; l’oiseau s’y plaît.

D’un rameau vert voici descendre un gai couplet,
Chant qui ravit cette oasis calme et profonde.
Dans le gazon, point scintillant, la fraise abonde
Avec des fleurs au teint lapis ou violet.

La soleil filtre aimablement sous la ramée.
La brise est douce et l’atmosphère est embaumée.
Concerts, fraîcheurs, herbes, parfums mystérieux!

Eden charmant, Eldorado, pur Elysée,
Que chaque été je viens revoir! – tranquillisée,
Loin du bruit l’âme avec bonheur rêve en ces lieux.

Q15 – T15 – 12s (4+4+4) – On remarquera qu’on n’a pas là affaire à un alexandrin du type dit ‘romantique’ ou ‘hugolien’ car la césure en 6 est abandonnée. Il s’agit donc d’un mètre différent.