Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

Du temps que la nature en sa verve puissante — 1857 (13)

Baudelaire

13
La géante

Du temps que la nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,
Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.

J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme
Et grandir librement dans ses terribles jeux;
Deviner si son coeur ouve une sombre flamme
Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux;

Parcourir à loisir ses magnifiques formes;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes,
Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,
Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,
Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.

Q59 – T14

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes, — 1857 (12)

Baudelaire

12
L’idéal

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,
Produits avariés, nés d’un siècle vaurien,
Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,
Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.

Je laisse à Gavarni, poëte des chloroses,
Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital,
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

Ce qu’il faut à ce coeur profond comme un abîme,
C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans;

Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,
Qui tors paisblement dans une pose étrange
Tes appas façonnés aux bouches des Titans!

Q59 – T15

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, — 1857 (11)

Baudelaire

La beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

Q63 – T23

La tribu prophétique aux prunelles ardentes — 1857 (10)

Baudelaire Les fleurs du mal

Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mis en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler de rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

Q15 – T15


J’ai longtemps habité sous de vastes portiques — 1857 (9)

Baudelaire Les fleurs du mal

La vie antérieure

J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Q48 – T30

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, — 1857 (8)

Baudelaire Les fleurs du mal

L’ennemi

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé ça et là par de brillants éclairs,
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique élément qui ferait leur vigueur?

– O douleur! ô douleur, le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

Q59 – T14

Eve perdit l’aïeul de la grande famille, — 1857 (3)

Charles de Nugent Souvenirs d’un voyageur

La femme
sonnet à Amédée de Bejarry

Eve perdit l’aïeul de la grande famille,
Et pour nous perdre encor, d’Eve on voit chaque fille
Qui se fait courtiser, qui sourit, qui babille,
Qui s’habille et se déshabille.

Que de charmes elle a du front à la cheville!
Mais de tant de beautés la perfide qui brille,
Dans la main qui la tient glisse comme une anguille,
Et ne craint ni verrou ni grille.

Le jaloux dont le coeur de noirs tourments fourmille
Loûtrerait(?) vainement au fond d’une bastille
La coquette dont l’oeil pétille.

Que de bure ou de soie elle ait une mantille,
Toute femme sait coudre, et de fil en aiguille
Est sujette à la peccadille.

aaaa aaaa aaa aaa – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)  – sonnet, on le voit, monorime

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine, — 1857 (2)

Joseph PétasseLe Collier de perles sonnets –

Pourquoi la forme du sonnet

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine,
J’aime les courts récits, j’ai peur des longs travaux;
Mon pied aime à fouler les gazons de la plaine
Et trébuche en montant les rapides coteaux.

Bien mince est mon bagage et courte mon haleine.
Je ne saurais suffire à ces drames nouveaux
Où l’auteur haletant, péniblement promène
Le lecteur fatigué de ses sombres tableaux.

Mais graver sa pensée ou riante ou sévère
Dans un cadre imposé qui la borne et l’enserre,
Avec un horizon bien défini, bien net,

C’est un travail que j’aime, où ma muse est à l’aise,
Où mon coeur agité se délasse et l’apaise.
C’est pourquoi j’ai choisi la forme du sonnet.

Q8 – T15 – s sur s – bi Le grand sonettiste Pétasse répartit ses soixante-dix sonnets en ‘diseaux’. Chaque ‘diseau’ contient dix sonnets.

Suivi des souvenirs de ma normande plage, — 1857 (1)

Alexandre Cosnard in La Muse des familles

Fleurs hâtives

Suivi des souvenirs de ma normande plage,
Parfois, portant mes pas et ma tristesse ailleurs,
Je rencontre un pommier tout jeune et tout en fleurs,
Quoique de bois chétif et presque sans feuillage:

Je rencontre un enfant, parmi ceux du village,
Qui semble, à son maintien, n’être pas un des leurs …
Pauvre ange aux grands yeux bleus, aux fiévreuses couleurs,
Grave et pensant raison si longtemps avant l’âge!

Les gens de ce pays sont pleins d’espoir alors:
L’enfant et le jeune arbre aux précoces trésors,
On les fête à l’envi, mais moi, mon coeur se serre;

Car, pour l’arbre et l’enfant, ma mère avait chez nous
Un triste adage appris par moi sur ses genoux,
C’est: « Croître de souffrance et fleurir de misère! »

Q15 – T15 -bi

Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe, — 1855 (11)

Auguste Brîzeux Histoire


IV

Les rimeurs ont posé le sonnet sur la pointe,
Le sonnet qui s’aiguise et finit en tercet:
Au solide quatrain la part faible est maljointe.

Je voudrais commencer par où l’on finissait.
Tercet svelte, élancé, dans ta grâce idéale,
Parais donc le premier, forme pyramidale.

Au-dessous les quatrains, graves, majestueux,
Liés par le ciment de la rime jumelle,
Fièrement assoiront leur base solennelle,
Leur socle de granit, leurs degrés somptueux.

Ainsi le mouvement s’élève harmonieux,
Plus de base effrayante à l’oeil et qui chancelle,
La base est large et sûre et l’aiguille étincelle,
La pyramide aura sa pointe dans les cieux.

s.rev: ede dcc abba abba ‘Sonnet renversé’ de Briseux. Louis Ayma, en 1839, l’a précédé, contrairement à ce que répètent les traités