Archives de catégorie : Genre des rimes

Ravaler à merci la face — 1993 (1)

Nathalie GeorgesSonnets dispars

Infinitif

Ravaler à merci la face
Au ciel endolori se pâme
Oisive une pensée lasse
D’habitude abrégée d’âme

Prendre ses racines à son cou,
Y agréger sans s’y fier
La pâte meurtrie du jour –
Raccommoder les restes frais

Traiter l’ordure rendue à gué
De la mémoire massicotée
Rabouter l’ombre à son étant

Et s’enfoncer dans la lumière
Mordre la terre à pleines dents
S’ébattre sur son coeur de pierre.

Q59 – T14 – octo

On voit parfois des choses tristes dans la vie. — 1992 (6)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Le cygne

On voit parfois des choses tristes dans la vie.
J’étais allé me promener, avec un livre,
Sur les bords de l’étang éblouissant de givre,
Quand s’offrit à mes yeux la scène que voici.

Loin du rivage sûr, un cygne peu prudent,
S’étant laissé saisir par la cruelle glace,
Agitait, de façon hélas inefficace,
Ses pauvres ailes de captif, éperdument.

J’aurais bien essayé de lui porter secours,
Mais c’était fort risqué: je suis beaucoup trop lourd.
Je partis donc, le coeur rempli d’affliction

Et je rentrai chez moi, pensif, en me disant
Que rien n’arrive aussi vite qu’un accident,
Et qu’on ne prend jamais trop de précautions.

(François Coppée)

Q63 – T15  – Remarque: cet excellent pastiche a malgré tout quelque défaut formel: Coppée ne ferait jamais rimer ‘vie’, mot féminin, avec ‘voici’, mot masculin (ajoutons qu’il n’y a pas à cette rime de ‘consonne d’appui’). D’autre part les rimes des tercets sont toutes masculines et la ‘règle de l’alternance’ est violée (Verlaine aurait pu le faire, mais pas Coppée).

La pie a marqué la neige, craché l’orange. — 1992 (3)

Robert Marteau Liturgie

(La Pie, par Claude Monet)

La pie a marqué la neige, craché l’orange.
Sur son barreau de robinier, elle se tient
Parmi les pommiers noirs. Une lumière étrange,
Comme lampe en la mer qui palpite et retient
Sa flamme, jette au jour un léger corail, frange
Déchirée enclose en sa nacre qui contient
Et répand l’orient rose et gris sur la grange
Adossée au ciel dont la cendre n’appartient
Au feu expiré de nul autre combustible
Que l’hiver viride du lierre et du gui
Qu’on écrase du doigt en gel incomestible
Sauf pour l’oiseau peut-être et le dieu déchu qui
N’ose s’approcher des seuils, rôde, incompatible
Avec la braise, en aucun lieu n’ayant d’abri

Q08 – T20 – sns

Je suis ce fortuné qu’une clé bienheureuse — 1992 (2)

Jean Malaplate Shakespeare sonnets


52

Je suis ce fortuné qu’une clé bienheureuse
Introduit au trésor caché de son désir,
Mais qui retient longtemps son humeur curieuse
Pour n’émousser la pointe à son rare désir.

Les fêtes sont ainsi rares et solennelles
N’étant que peu de jours sur la chaîne de l’an
Comme pierres de prix qu’on ne va prodiguant,
Ou dessus le collier les perles les plus belles.

Le temps qui vous enferme est aussi mon coffret,
Ou bien le cabinet où la robe demeure,
Afin de rehausser le faste de cette heure

Qui verra son éclat, longtemps tenu secret.
Oh! béni soyez-vous, dont le mérite immense,
Présent donne triomphe, absent donne espérance.

Q60 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Toute douceur contient une part d’amertume — 1992 (1)

Jacques Réda Nouveau livre des reconnaissances


Au maître

Toute douceur contient une part d’amertume
Et le moindre abandon penche vers un danger.
L’amour seul est parfait mais il est mensonger,
Où chaque instant vêcu semble déjà posthume.

Et c’est à quoi jamais le coeur ne s’accoutume
Faudrait-il pour autant gémir ou s’insurger?
Passer, réglant son pas sur un mètre léger
Entre le ciel trop pur et le sombre bitume.

Tout au fond d’une chambre en été – noir et blanc
Où palpite un rayon fauve – mais  en tremblant
Un peu, tu reconnais parfois dans ta mémoire

L’image d’une femme: elle tire ses bas
Et l’on entend fermer la porte d’une armoire,
Tant (pour la rime aussi) vous parliez bas.

Q15 – T14 – banv

Patiente luit séculaire —1991 (3)

Claude- Michel Cluny Oeuvre Poétique, I

L’olivier

Patiente luit séculaire
l’huile de lente clarté
Sa pluie-cendre et lumière
Est l’ombre de l’olivier.

Paix blonde à l’âme sévère
aiguise ma vérité
Epuise mon encre amère
profonde et pure à moitié.

Le temps me marqua, olivier
tors comme toi mais peu sage
sauf parfois en amitié.

L’encre éclairera ma page
(la nuit l’est par ton feuillage)
songe bref d’avoir été.

Q8 – T21 – 7s

Seins de glace ou d’enfer, orage — 1991 (2)

Guy Goffette La vie promise

La montée au sonnet (Pour un art poétique)
Muses

Seins de glace ou d’enfer, orage
En plaine et la mer entre les collines
Agenouillant sans mot dire celui
Qui n’avait soif que de lui-même.

Le temps présent à ses mots, le voici
Sans paroles jeté hors du poème,
Chair à nouveau et feu et eau,
Porte battante battant le coeur

Comme une grange de l’été paille et poutre
Avec la mort petite et sourde
Qui s’impatiente, voudrait parler,

Parler, de plus en plus haut,
Jusqu’à ne plus entendre qu’elle,
Dans leur bouche, qui muse.

r.exc. – m.irr

Des pas coulés dans le bitume ont un éclat de cuivre: — 1990 (3)

Jacques RédaSonnets dublinois

Ulysses

Des pas coulés dans le bitume ont un éclat de cuivre:
Ce sont les traces du héros de ce fameux roman
Qui circule à travers Dublin, l’agite et le délivre
De son destin provincial – étrange monument

Où tous les récits ont trouvé leur aboutissement
Convulsif dans une Odyssée ironiquement  ivre.
Quand on accompagne ces pas, il arrive un moment
Où l’on se demande où l’on va: dans la ville, ou le livre?

Mais bientôt on s’y perd. Un circuit déjà personnel
Se dessine qui vous ramène aux abords d’O’Connell
Bridge où devant la Poste à l’imposante colonnade.

On y discerne des éclats de balle ou de grenade,
Et c’est l’histoire vraie alors, et ses héros de sang,
Qui mêlée à l’imaginaire absorbe le passant.

Q11 – T13 – 14s

Divine absente, faite forme fugitive — 1989 (7)

– (Robert Marteau Juan de Tarsis, comte de Villamediana Poésies

(Divina ausente, en forma fugitiva)

Divine absente, faite forme fugitive
en raison de l’inégalité de nos sorts,
quand toi sur le plus haut soleil vas te poser
moi je reste en solitude de lumière hautaine;

Pour déclarer qu’en cette ombre sauvage,
celle qui en poussière et cendre se change,
contre les forces même de la mort
reste pur renom vive éternellement.

Ainsi parvient à être profit ce troc
d’une vie de travaux et de peines,
contre deux sûres toujours immortelles.

Seul gémissant Amour en la séparation,
d’un tel soleil est l’ombre poursuivie
par la nuit éternelle et les éternels malheurs.

r.exc – m.irr – tr

Je sais une villa sur les hauteurs de Naples — 1989 (5)

coll. –  Sonnets (ed. Alin Anseeuw)

Xavier Bordes

Après la fin

Je sais une villa sur les hauteurs de Naples
Où je fus quelquefois reçu par des amis
J’entends encor la grille du jardin qui racle,
En grinçant sur ses gonds, le gravier endormi.

On déjeunait dehors pour jouïr du spectacle:
Les gens déambulaient, gros comme des fourmis
Sur le port et les yeux ne rencontraient d’obstacle
Qu’au sud, là où fumait le volcan insoumis…

Sur la terrasse rose avec ses cyprès noirs
En contemplant la baie unique par les soirs
D’été napolitain d’une touffeur d’étuve

J’imaginais l’horreur qui saisit le pays
Quand un matin parmi les vignes du Vésuve
Le feu pétrifia Pompeï.

Q8 – T14  – 2m: octo: v.14