Archives de catégorie : Genre des rimes

Le miracle apparaît, et le hideux litige — 1912 (14)

Albert Saint-Paul

Hommage à Mallarmé

Le miracle apparaît, et le hideux litige
Apaise son blasphème aux portes du jubé.
La foule, dont le front reste à jamais courbé,
A sur elle senti respendir le prodige.

Qui ne frémit, tel qu’une sibylle, au prestige
Du Verbe où la rumeur banale a succombé,
Ne ceindra pas le diadème dérobé
A quelque océanique et sonore vertige.

Héroïque destin d’une âme si le sort
Doit ne la proclamer qu’aux fastes de la mort
Devant la multitude à la vie interdite !

Le Poète renferme en un cloître d’orgueil,
Solitude, dédain, exil de qui médite,
Le songe somptueux dont luira son cercueil.

Q15 – T14 – banv

Deux faunesses, parmi l’ombre et les herbes bleues, — 1912 (13)

Pierre Louÿs in Vers et Prose

Les petites faunesses

Deux faunesses, parmi l’ombre et les herbes bleues,
Se poursuivent au clair de lune, vers la source.
Leurs croupes lestes que bouleverse la course
Retroussent les poils ronds de leurs petites queues.

Elles galopent, et leurs sveltes pieds de chèvres
Vont, déchirant les fleurs et sautant les racines.
Elles ont aux cheveux, étant un peu cousines,
Mêmes cornes d’écaille, et même flamme aux lèvres.

Mais voici l’eau, qui sort d’une caverne noire…
Elles grimpent gaîment, se culbutent pour boire,
Trempent leurs seins aigus entre les hautes pierres,

S’élancent, battent l’air de leurs pieds, que prolongent
Les ombres, et, pressant leurs mains sur leurs paupières,
Du sommet des rocs, dans la cataracte, plongent.

Q63  T14  r.fem.

Carabin, prends ta carabine ! — 1912 (12)

André Salmon

L’amour médecin

Carabin, prends ta carabine !
– Car je présume que te navre
Ce manque absolu de cadavre –
Et dissèque ta concubine.

Feu ! et surtout point ne la rate.
La petite maîtresse est morte ;
Voici le cœur, voici la rate
De qui venait t’ouvrir la porte.

Voici ses seins joyeux, pivoines
Lourdes, ses poumons qu’un ultime
Soupir gonfle, et le péritoine.

Grimoire où l’œil de l’aruspice
Lit avec l’ordre du supplice
Rédempteur le pardon du crime.

Q62  T25  octo

Ton corps n’a plus pour moi ni secret, ni mystère. — 1912 (10)

Laurent Mongin Sonnets travestis, sur les rimes du sonnet d’Arvers

III

Ton corps n’a plus pour moi ni secret, ni mystère.
Tu couronnas l’amour que pour toi j’ai conçu.
Je crains, en te voyant, de ne pouvoir le taire
Cet amour qui ne doit de personne être su.

Alors que je croyais rester inaperçu,
Implorant ton regard, attristé, solitaire,
Ange, tu m’as souri. Je passais sur la terre,
Je ne demandais rien, de toi j’ai tout reçu.

O maîtresse adorée, ô maîtresse si tendre,
L’hymne de nos baisers, ne dois-je plus l’entendre,
Puisque bien loin de toi je porterai mes pas ?

Bouquet de nos aveux sois le gardien fidèle,
Puisses-tu ne jamais te flétrir auprès d’elle
Pour lui dire sans cesse : « Il ne t’oubliera pas »

Q10  T15  arv

Iris, quand ton cu dodeline — 1912 (8)

Fernand Fleuret Le Carquois du Sieur Louvigné du Dezert

Sonnet pour une belle Personne de qui l’on disoit que le gros Derrière avoit le balancement agréable d’un navire

Iris, quand ton cu dodeline
Souz les Ombres de ces jardins,
L’on ne sçait si ton pas chemine
Ou si tu vogues par chemins.

Ouy! Ce Sable est onde marine
Qui meurt au pié de ces Jasmins:
Sur elle ton cu se dandine,
Et ces Pigeons sont des dauphins.

Non! ce cu-là n’est qu’un derrière,
Et, lorsque tu l’assieds par terre,
Lasse des amoureux traffics,

Les Morts, que ta chaleur oppresse,
Erigent vers ta belle Fesse
Les pasles vits des Agarics.

Q8 – T15 – octo

Le Printemps et l’Automne ont mêlé leurs étreintes, — 1912 (7)

Louis Mandin Ariel esclave

Le Printemps et l’Automne

Le Printemps et l’Automne ont mêlé leurs étreintes,
Et leurs fruits et leurs fleurs, et la lumière de leurs yeux,
Et sont partis dans l’ombre où, comme une âme sainte
A l’horizon du soir s’élève une aurore sur eux.

Et leurs baisers sont pleins de rayons et de larmes.
Sans bruit, l’Automne pleure en sentant le froid et le soir,
Mais le Printemps sourit à l’aurore où les charmes
Des paradis perdus versent la féerie au sol noir.

Novembre, verras-tu des nids, la fleur nouvelle?
Car un miracle prend ton ciel et l’ensorcelle,
Et c’est l’aurore-amour où te voici transfiguré.

Dans les gouttes de fleurs va flamber son mirage.
Et, palpitants de ses mêmes baisers dorés,
Le Printemps et l’Automne ont même âge et même visage.

Q59 – T14 – 2m : les vers 2 ,4,6,8, 11 et 14 ont 14 syllabes

Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge 1912 (6)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc
Quatrième jour
Pour le lundi 6 janvier 1913
Jour des Rois
Cinq cent unième anniversaire
De la naissance de Jeanne d’Arc

IV

Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge
Se réjouit de voir le tendre nourrisson,
L’enfant à la mamelle et le dernier besson
Recommencer la vie ainsi qu’un héritage;

Elle en fait par avance un très grand personnage,
Le plus hardi faucheur au temps de la moisson,
Le plus hardi chanteur au temps de la chanson
Qu’on aura jamais vu dans cet humble village:

Telle la vieille sainte éternellement sage
Connut ce que serait l’honneur de sa maison
Quand elle vit venir habillée en garçon,

Bien prise en sa cuirasse et droite sur l’arçon,
Priant sur le pommeau de son estramaçon,
Après neuf cent vingt ans la fille au dur corsage;

Et qu’elle vit monter de dessus l’horizon,
Souple sur le cheval et le caparaçon,
La plus grande beauté de tout son parentage.

Q15 – T33 + ddc – y=x (c=a & d=b) – 17 vers (trois tercets), sur deux rimes

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, — 1912 (5)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc

II

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
Et qu’on était content de son exactitude,
On mit sous sa houlette et son inquiétude
Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire.

Et comme elle veillait devant le presbytère,
Dans les soirs et les soirs d’une longue habitude,
Elle veille aujourd’hui sur cette ingratitude
Sur cette auberge énorme et sur ce phalanstère.

Et quand le soir viendra de toute plénitude,
C’est elle la savante et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris dans sa sollicitude

Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Dans la cour de justice et de béatitude
Le troupeau le plus sage à la droite du père.

Q15 – T20 – y=x : c=b & d=a

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, — 1912 (4)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc
Premier jour
Pour le vendredi 3 janvier 1913
Fête de Sainte Geneviève
Quatorze cent unième anniversaire de sa mort

I

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
On la mit à garder un bien autre troupeau,
La plus énorme horde où le loup et l’agneau
Aient jamais confondu leur commune misère.

Et comme elle veillait tous les soirs solitaire
Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l’eau,
Du pied du même saule et du même bouleau
Elle veille aujourd’hui sur ce monstre de pierre.

Et quand le soir viendra qui fermera le jour,
C’est elle la caduque et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris et tout son alentour

Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Pour la dernière fois dans la dernière cour
Le troupeau le plus vaste à la droite du père.

Q15 – T20 – y=x : d=a

Un regret plus mouvant que la vague marine — 1912 (3)

Charles PéguyLes sonnets

L’épave

Un regret plus mouvant que la vague marine
A roulé sur ce cœur envahi jusqu’au bord.
Un jour plus solennel que le jour de la mort
S’est levé sur le foc et sur la brigantine.

Un espoir plus étroit que la voile latine
Portera-t-il jamais jusqu’au recreux du port,
Fera-t-il pénétrer jusqu’au secret du sort
La nef aux bois courbés coupés sur la colline.

Quand le juste pilote a déserté le nord,
Hommes laisserons-nous cette main enfantine
Saisir le gouvernail et redresser le tort.

Quand le vieux capitaine est tombé de son fort,
Laisserons-nous la voix apparemment mutine
Commander par tribord, par bâbord, et sabord.

Q15 – T17 – y=x (c=b & d=a)