Archives de catégorie : Genre des rimes

Il fait lourd; les nuées arrondies et pesantes — 1905 (1)

Marie et Jacques Nervat Les rêves unis

Il fait lourd; les nuées arrondies et pesantes
amassent tout le jour du soleil dans leurs flancs;
on entend au jardin murmurer les abeilles,
le vent chaud caresser les bambous et les herbes,

les ailes des pigeons froisser l’air près des vitres,
et l’eau couler, jaillir, éclater, fraîche et vive,
sur le fond de métal de la vasque sonore.
Dans l’assoupissement du logis, volets clos,

sonne le battement du temps, dans les horloges;
j’écris, ma plume grince et les mouches bourdonnent;
l’enfant s’endort, sous la moustiquaire de tulle,

et tu viens m’appeler, avec un doigt aux lèvres,
« car il faut, me dis-tu, que tu voies la courbure
gracieuse de ses bras nus et potelés ».

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Ma sœur, ce seraient des jours de silence — 1904 (4)

Charles Derennes – L’enivrante angoisse

Ma sœur, ce seraient des jours de silence
Et, sur le penchant bleuté des collines,
Argentines et cristallines
Les clochettes du troupeau dense.

Des jasmins flétris que le vent balance
Et, peut-être, loin, des chansons câlines,
– Mandolines sous les glycines; –
Et peut-être quelque souffrance.

Quelque nuage au bleu du jour,
Un peu de rêve, un peu d’amour,
Quelque parfum trop lourd de fleur;

Quelque souvenir, quelque pleur,
Trop de langueur lassant le cœur,
Ou, peut-être, trop de bonheur ….

Q15 – T12  m.irr

O crapaud, que ta nuit est belle — 1904 (1)

Léon Deubel Vers de jeunesse

O crapaud, que ta nuit est belle
Par ton art sobre et trémébond,
Et comme tu manquerais à elle
Rêveur, proscrit et vagabond!

Lazzaron des Naples lunaires,
Christ des infiniment petits,
Morne Caïn des accroupis
Chassé des marges de lumière,

Affirme ta douceur têtue
D’être angoissé qui s’évertue
Derrière un Nirvanah profond;

Moi, je m’endors à ton bruit sec,
L’âme grise, la pipe au bec,
Et le pâtis jusqu’au menton.

Q59 – T15 – octo

Il part très atteint et sans mot dire ; — 1903 (7)

Dr Abdullah-Djevdet-Bey in La jeune Champagne

D’un amour répudié

Il part très atteint et sans mot dire ;
Ses douleurs et ses aveux d’amant
Il les garde comme un diamant
Dans son cœur qui n’a pas su maudire.

Un silence rogue l’accompagne :
Il va tuer son rebelle espoir.
Il s’éloigne à travers la campagne
Où se déploie un triste soir.

Devant lui s’étire le chemin
Et se peuple d’images fatales
Soûles d’extases orientales.

Bref fut l’espoir, longue est l’agonie,
Et voici que le rêve d’hymen
Nimbe la funèbre symphonie.

Q62  T34  9 syll (v.8 : octo !)

Faire un sonnet semble chose facile; — 1903 (6)

L.D. Bessières Mes trois sansonnets

Le sonnet

Faire un sonnet semble chose facile;
L’alexandrin et le versiculet
S’y prêtent, mais, fait ou non d’un seul jet,
Le réussir en tout est difficile.

Il n’y faut mettre un seul mot inutile,
Lui bien donner la couleur du sujet;
Qu’il soit mordant, amoureux, indiscret,
Extravagant, sérieux, ou futile.

Mais commencer, avant d’avoir rien fait,
Par composer le deuxième tercet;
S’il est bon, c’est la moitié de l’ouvrage.

Car là devra se porter tout l’effet,
Le coloris, la plus puissante image
Qui doit former la chute du sonnet.

Q15 – T14 – banv –   – s sur s  déca

Incitatus est morne. Un mal, dont la naissance — 1903 (4)

Paul BilhautÇa … et le reste

Incitatus (sonnet obscur)
– A lire comme quelques autres – avec un Larousse à portée de la main

Incitatus est morne. Un mal, dont la naissance
Echappe aux plus savants, en stabulation
A figé les élans de son adolescence
Et sa spumeuse ardeur meurt en supputation.

Lui, si svelte jadis, n’est qu’une turgescence;
Rien ne peut ranimer l’éteinte coction,
Rien, ni squine, ni spic. Il gît sans connaissance.
L’Inmerator est dans la consternation.

Ils implorent les dieux qui veillent près de l’âtre;
Sans que des favoris s’allège le tourment.
Mais paraît un lapithe, un habile hippiâtre;

Son art, nouveau pour tous, tient de l’enchantement!
Si bien qu’Incitatus, les jambes sanguinées,
Renaît, sous le baiser ling des hirudinées.

Q8 – T23  –  (H.N.) stabulation : séjour ou entretien continu des bestiaux à l’étable. squine : sorte de bois soporifique fourni par la racine ligneuse du ‘smilax china’  hirudinée : qui ressemble à une sangsue – quant au lapithe, il combat le Centaure – pour hippiâtre cf Notice sur les mots hippiâtre, vétérinaire et maréchal, par J.-B. Huzard. – Les hirudinés ou sangsues sont totalement dépourvus de parapodes et de soies. Ces vers ont un nombre de segments constant (33) auquel il faut ajouter le prostomium. L’extrémité antérieure est pourvue d’une ventouse buccale. L’extrémité postérieure est également pourvue d’une ventouse discoïdale.

La main sur sa rapière, un grand reître à panache, — 1903 (2)

– Le docteur Henri FischerSonnailles et chansonnailles – Chants et sonnets …

Toiles- Un Roybet

La main sur sa rapière, un grand reître à panache,
De satins chatoyants fièrement s’enharnache.
Soudard, il guerroya des Flandres au Maroc.
Un hanap fait invite à sa moustache en croc.

Un Moine près de lui, glabre et gras sous le froc
Sourit dévotement au flacon de Grenache
Rutilant entre eux deux. Le Moine et le Bravache
Sont frères en Bacchus. Pour mieux humer le broc

Gourmands, dont le gosier du bon vin s’amourache
Tout au fond du cellier sombre, leur soif se cache
Entre les lourds piliers ouvragés à plein roc.

On sent, tant leur regard sur le flacon s’attache
Que l’homme au goupillon et l’homme à la rondache
Vont trinquer vaillamment jusques au chant du coq.

Q4 – T6 – y=x (c=a, d=b)  – sur deux rimes (rares)

Cheveux gaîment taillés et qu’un coup de vent fouette — 1902 (15)

– Jules Jouy in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

Coquelin cadet

Cheveux gaîment taillés et qu’un coup de vent fouette
Nez en l’air, adorant la nue avec ferveur ;
Œil naïf, effaré, comiquement rêveur,
Qui semble suivre, au ciel, le vol d’une alouette.

Saluez, bons bourgeois ; c’est l’ami Pirouette :
Vif croquis d’un talent de fantasque saveur ;
Eau-forte d’un jet large, osé, dont le graveur
Sur le convenu plat culbute et pirouette.

Qu’il cisèle l’esprit, geigne le Hareng Saur,
Vive sa gaîté franche au juvénile essor !
Hilare comme un Fou, grave comme un problème,

Hanlon ganté de frais, ô clown en habit noir !
J’aime le rire anglais peint sur la face, blême
Comme une lune ovale au faîte d’un manoir.

Q15  T14 – banv –  La loi du rasoir d’Hanlon (William James ?) s’énonce ainsi :« Ne jamais attribuer à la malignité ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe — 1902 (14)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

III

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe
Se dresse au fond du parc, proche le boulingrin.
Quatre saules, courbant leur vieux torse chagrin,
S’inclinent, courtisans pleureurs, quand le soir tombe.

La tour du colombier domine, où la colombe
Et le ramier s’en vont se gaver de bon grain.
Du village lointain, la chanson d’un crincrin
Soupire, et rit, et crie, et nasille, et succombe.

Vêtu d’ombre, pensif, monsieur l’abbé Griseul
Auprès du monument vient s’agenouiller seul.
«  La marquise, ayant fait son sourire à saint Pierre,

Est au ciel ! … » se dit-il. Mais soudain il pâlit :
Lui rappellant les deux colombes du grand lit,
L’oiseau du Saint-Esprit est sculpté dans la pierre !

Q15  T15