Archives de catégorie : Genre des rimes

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles; — 1897 (9)

Robert de Souza Sources vers le fleuve

La Lumière

La lumière avait délié les fleurs d’entre les feuilles;
Les feuilles tendaient  leurs petites mains tendues
Suppliantes, au-devant des chenilles velues;
Mais les chèvres renouaient le tout en une touffe, d’une faim qui cueille.

Et les hommes ne sentaient point la vie, espoir et deuil,
Les songes dormaient des femmes étendues nues
Par les gazons qui frisent, et font les chairs moussues,
Pour, sans doute, que d’humbles ombres rases cachent notre orgueil…

Ni les âmes ne connaissent les grandes ailes,
Ni les coeurs la volonté de leurs appels,
Seules les bouches s’ouvraient au plaisir d’être nées;

C’était l’attente vague des existences,
Qui ne sentaient pas quand les aurait enfin créées,
La Lumière qui relie toutes choses- par qui l’on pense.

Q15 – T14 – banv – m.irr

Je sais qu’un lis s’ouvrit à la saison lointaine: — 1897 (8)

Levet (Le Pavillon ou La Saison de Thomas W. Lance – petit poème cultique)


VI. Hiver
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide, où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi, plein de tristesse lâche
Un bâteau frêle comme un papillon de mai.

Arthur Rimbaud
La crémerie:

Je sais qu’un lis s’ouvrit à la saison lointaine:
– ô clair matin d’hiver baisez la crémerie
Comme l’agneau du saint approuve de sa laine
Le moine blanc qui pleure à l’autel de Marie.

En tes cheveux – l’ombre dès sa source est tarie! –
Le linceul de mon rêve où tes yeux porcelaine
Rayonnent le néant d’un calme de Germaine,
Neige que ne saurait troubler la laiterie!

Et c’est comme un repos sur des douleurs exquises!
(Ma bouche a murmuré la poudre des marquises
D’ « antan ») – halte future où la fumée émane

Le « Pâle Voyageur, qui, ses armes rongées,
Evoque les blondeurs crémeuses du barman
Sous les palmiers drapés d’antilopes vengées …

THOMAS W. LANCE A DIT.

Q10 – T14

Voulant encourager ses aurores charmées, — 1897 (7)

LevetLe drame de l’allée

III

Voulant encourager ses aurores charmées,
Le soleil, qui vous remarquait et vous baisa,
Laissa sur votre peau ses teintes plus aimées,
Pour poser ses rayons qu’aux reines il lança!

De larges papillons aux ailes imprimées,
Laquais trop effrontés qu’un vent jaloux chassa,
Sans répondre à l’élan des roses alarmées,
S’envolèrent désorbités de ci, de là ….

Respirai-je la fleur par le soleil élue,
Rayonnante aux jardins enfiévrés de chaleur,
Déplorant le conseil d’une sainte mévue,

Car le soleil jaloux du poète voleur,
A lâchement placé, sentinelle imprévue,
Qui veillait, le serpent-minute dans la fleur.

Q8 – T20

Eros, roi de la mer, des cieux et de la terre, — 1897 (6)

Stuart Merrill Poèmes

La Vision d’Eros
pour un tableau d’Armand Point

Eros, roi de la mer, des cieux et de la terre,
Apparaît, le carquois lourd de ses dards de feu,
Contre les flots d’azur d’où surgit, solitaire,
Aux premiers jours du monde, Aphrodite à l’oeil bleu.

Son âme est un secret, son sexe est un mystère,
Et tel qu’il se révèle, homme et femme, le Dieu
Eveille tour à tour, lascivement austère,
En le coeur de la femme et de l’homme le voeu

Impur qui fit pleurer Achille sur Patrocle,
Et retentir Lesbos des plaintes de Sapho,
Et saigner don Juan d’Elvire à la Margot.

Et voici qu’il entend Troie immense qui brûle,
Et le cri de Leucade, et dans le crépuscule
Les pas du Commandeur descendu de son socle.

Q8 – T35

A toi, pauvre vieux, je souhaite — 1897 (5)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

Souhaits à Léopold Dauphin
1er janvier 1897

A toi, pauvre vieux, je souhaite
De vivre tel que te voilà
Avec les maux par-ci, par-là,
Et la rage d’être poète.

Pour que la douleur si souvent
Morde ton corps et le pâlisse
(Dixit Monsieur de la Palisse)
Il faut que ton corps soit souffrant:

Tu souffres, donc tu vis, que diable!
Et vivre est encor, vois-tu, vieux,
Ce qu’on nous a trouvé de mieux
Pour rendre la vie enviable.

Sois résigné, deviens meilleur
Et bon poète, rimailleur.

shmall – octo

L’arrière saison s’avance — 1897 (4)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

« Fais dodo …  »

L’arrière saison s’avance
Avec, cortège automnal,
Les heures de connivence
Agissant pour le final.

Et mon âme, guêpe pâle,
Reste calme vers le soir
Des apeurements, du râle
Où vient la fin sans surseoir:

Elle écoute si l’appelle
Quelque voix par les ailleurs
Indifférente à la pelle
Lugubre des fossoyeurs.

La Terre n’est pas méchante:
Une berceuse, elle chante.

shmall – 7s

Isochrone et lent, le pendule, — 1897 (3)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

Autre musique de chambre

Isochrone et lent, le pendule,
Sous les laques du vieux cartel,
D’un sec tic-tac hache et module
Le silence et mon spleen mortel:

Et ma pensée aussi oscille
En un va-et-vient continu
Captive du rythme et docile
A l’hypnotique son ténu

Qui très cruellement balance
Les souvenirs des anciens jours
Et, railleur, dans le noir silence
Sans cesse dit: « toujours, toujours ».

L’heure qu’il mesure est chimère
Eternellement éphémère.

shmall – octo

L’innocence était, de ton âme, 1897 (2)

Léopold DauphinRaisins bleus et gris

A Paul Verlaine
8 janvier 1896

L’innocence était, de ton âme,
Et la mystérieuse voix
Si vierge et perverse à la fois,
Et l’amer parfumé dictame!

Nos espoirs pleurent superflus;
Cette voix tant câline et tendre,
Qu’au ciel aimé tu viens de rendre,
Nous ne l’entendrons jamais plus!

Ni le jet d’eau à la fontaine,
Ni fluides les clairs ruisseaux,
Ni la brise dans les roseaux
Ne la donneront si lointaine.

Et nous restons inconsolés,
Nous, de ses musiques ailées.

shmall* – octo

Les Astres haut levés sur d’antiques Mémoires — 1896 (17)

André Ibels. In Cités Futures

Vers d’airain pour Saint-pol-roux

Les Astres haut levés sur d’antiques Mémoires
Irradiant les Temps d’un éblouissement,
Ont mis un peu d’azur épars en ton grimoire,
Et voici que ta voix tremble splendidement.

Las de Procession majestueuse et lente,
Tu sculptas de tes mains des reposoirs magiques,
Et les mots blancs tissés sur les cordes qui chantent
Coulèrent de tes doigts en arpèges rythmiques.

Page royal du Verbe aux armes d’Ironie,
Troubadour et jongleur de fastueuses proses,
Brode un bouclier d’or contre la tyrannie.

Ton Glaive qui dardait sa pointe vers la Lune,
Dédié, désormais, aux races d’infortune,
A lui – dans la Ténèbre – rehaussé de roses !

Q59 – T25

« étrange recueil dont chaque texte, aux accents volontiers prophétiques, désigne au lecteur un soldat-poète de l’armée anarchiste »

Dans deux heures au plus on veut que dare dare — 1896 (16)

Ludovic Sarlat in  L’année des poètes

Un étrange défi

Dans deux heures au plus on veut que dare dare
Je présente au lecteur un sonnet tout entier.
J’accepte avec plaisir ce défi singulier
Qui me séduit surtout parce qu’il est bizarre.

Le sonnet, pour de grands esprits, c’est l’oiseau rare ;
Mais ce genre depuis longtemps m’est familier,
Et j’enfourche Pégase encor sans étrier :
On sait que de sonnets je ne suis pas avare.

Tiens ! je vais être au bout de mes quatorze vers,
Et je sens que, malgré la glace des hivers,
Poésie, en ma main ta coupe est toujours pleine.

J’ai fini mon sonnet et gagné mon pari :
Ma verve est toujours jeune, elle n’a pas tari,
Car j’ai fait celui-ci en un quart d’heure à peine.

Q15  T15  s sur s