Archives de catégorie : Genre des rimes

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

Ils peuvent s’enfuir les jours et les années — 1891 (25)

Georges Suzanne Premiers poèmes (avec une préface de Paul Verlaine)

Sonnet

Ils peuvent s’enfuir les jours et les années
Au vol fugitif, rapides s’écrouler
Comme à l’automne passent des fleurs fanées,
Comme l’oiseau sur la branche s’envoler,

Maintenant que j’ai, ô bonheur ineffable !
Aspiré de ton cœur le parfum divin,
Le Destin, ce noir vautour infatigable,
S’envolera sur ma destinée en vain.

Puisque ton âme a palpité sur mon âme,
Que mes lèvres ont baisé ton corps de femme,
Que m’importent l’Heur et le Malheur des Temps !

Qu’elle roule donc, cette vague, ma vie !
Parmi l’Océan de l’heure inassouvie
Mon coeur est bercé de souvenirs charmants !

Q59  – T15  – 11s

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres — 1891 (24)

La Conque

Maurice Quillot

La comédie de la mort
à Stéphane Mallarmé

Le Jardin, le grand jardin se boursoufle de tertres
Où pousse des touffes d’adorables chrysanthèmes
Dans les enclos fermés de cadenas et de chaînes!
– Comme si l’on craignait que les âmes se perdent.

On écrit leurs noms sur des Croix dans les herbes vertes:
Et dans l’ombre du soir, les parents vont tout blêmes,
Parce qu’ils ont peur de voir les Morts, hors de leurs gaînes,
S’en venir leur dire avec des bouches trop ouvertes:

 » Que venez vous ici, ridicules trouble-fêtes;
Allez, ce grand calme est bon pour nos pauvres têtes,
Et nos cheveux sont le gazon des lentes charmilles.

Comme les Dieux immortels, nous vivons sans querelles;
Nous disons nos ‘Ave’ sous les petites chapelles
Où sont inscrits nos noms dans les Caveaux des Familles! »

Q15 – T15 – 13s – Rimes approximatives (assonnances).

Vieil idéal manchot des mornes architectes — 1891 (23)

L’Ermitage

Georges Fourest

A la Vénus de Milo
‘Aux quinze-vingts le vieil Homère et toi cascade, Hortense, ma fille’ Jules Vallès

Vieil idéal manchot des mornes architectes
Sortis premiers de l’Ecole des Vilains-Arts;
Paros mal retrouvé par les benêts hasards,
Keulla-Reduction pour cracheurs de Pandectes

Plâtre durci sur la tronche pleine d’insectes
Des petits Italos, article de bazars,
Nulle en bizarre et bon nanan des vieux busards
Chez Balandard sur la pendule où tu t’objectes!

Paganisme des quincaillers! Bronze en toc! Zinc!
Sache que les adorateurs du marquis Tseng,
Ceux qu’un magot, poussah falot, séduit et botte,

O mijaurée, ont renversé ton piédestal
Et qu’ils ont mis dans un Panthéon de cristal
Ta Soeur négresse aux longs têtons: la Hottentote!

Q15 – T15

Il évoque, en un bois thessalien, Orphée, — 1891 (22)

L’Ermitage

Paul Valéry

Paradoxe  sur l’architecte

Il évoque, en un bois thessalien, Orphée, sous les myrthes, et le soir antique descend. Le bois sacré s’emplit lentement de lumière, et le dieu tient la lyre entre ses doigts d’argent. Le dieu chante et, selon le rythme tout-puissant, s’élèvent au soleil les fabuleuses pierres, et l’on voit grandir vers l’azur incandescent, les murs d’or harmonieux d’un sanctuaire.
Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée! Son oeuvre se revêt d’un vespéral trophée, et sa lyre divine enchante les porphyres. Car le temple érigé par ce musicien, unit la sûreté des rythmes anciens, à l’âme immense du grand hymne sur la lyre! …

pr

Déjà paru la même année dans La Conque (revue de Pierre Louÿs), il est dissimulé en prose à la fin du texte. On remarque  que le vers 8 du sonnet, ‘ Les hauts murs d’or harmonieux d’un sanctuaire ‘, est, dans la prose, privé d’une syllabe. Elle n’est pas rétablie dans l’éd. Pléiade. Elle ne l’était pas non plus dans l’édition de 1931. Est-ce une erreur non corrigée par Valéry; ou une omission volontaire? Par ailleurs, ‘Orphée se trouve deux fois à la rime, aux vers 1 et 9. La disposition des rimes du sonnet est excentrique.

Les genêts luisent dans la lande désolée; — 1891 (21)

Francis Jammes Six sonnets

I
La fièvre

Les genêts luisent dans la lande désolée;
Sur l’ocre des côteaux la bruyère est de sang:
Mais tu ne peux guérir mon coeur triste où descend
Le souvenir de ma pauvre enfance en allée.

Viens: elle est d’émeraude et d’argent la vallée:
Douce comme ta voix, l’eau chuchote en passant,
Et clair comme ton rire est l’angélus croissant:
Fraîche comme ta bouche est la mousse mouillée.

J’ai la fièvre: Viens là, près de ces romarins,
Près de ce puits glacé que ronge l’herbe fraîche;
Viens, pleurons et mourons, fillette aux yeux sereins;

Nous sommes las: moi, las de sentir une brêche
En mon coeur mort d’amour lors de son mois de mai.
Toi, lasse en ton printemps de n’avoir pas aimé.

Q15 – T23

Je voudrais être un très vieux saule plein de mouches — 1891 (20)

La Revue Blanche

Romain Coolus

Vers le repos

Je voudrais être un très vieux saule plein de mouches
Près d’une eau morte que reflèterait ma nuit.
Nous amalgamerions, elle et moi, notre ennui
Et ne tenterions point de vaines escarmouches.

Avec la passivité pesante des souches,
Je subirais le vent qui caresse et bruit
Et le mauvais orage dont le feu détruit
Et le soleil versant ses corrosives touches.

Je serais très heureux ainsi, point ne bougeant,
Trempant mes feuilles dans le pacifique argent,
Dans l’eau défunte où nul poisson n’irait nageant,

Loin de tout mouvement ridicule et stérile,
Dispensé de la vanité si puérile
D’agir et de vouloir être une âme virile.

Q15 – T5

Sur les autels de pourpre ornant les cathédrales — 1891 (18)

Le concours de La Plume
(concours, premier prix)

Les vrais crucifiés, ce sont les amoureux
Jean Richepin

Sur les autels de pourpre ornant les cathédrales
Qu’élève un coeur mystique à la seule Beauté,
Des Madones, nimbant leurs fronts purs de clarté,
S’érigent dans l’orgueil de leurs robes astrales.

Les Christs crucifiés aux peintures murales
Lèvent leurs yeux pâmés d’amère volupté:
A leurs lèvres du sang de leur sein dévasté
Monte un baiser d’amour avec leurs derniers râles.

La Déesse, invincible aux regards des fervents,
S’épand et se transforme en songes décevants
Qui flottent doucement dans la pâleur des cierges.

Et mêlés aux parfums des encensoirs dorés
Plus haut que l’hosannah des pleurs désespérés,
Planent les chants subtils des implacables Vierges.

Marcel Noyer

Q15 – T15

Le temps morne a fermé l’oeil clair des pierreries — 1891 (15)

Le concours de La Plume

(concours n° 143)

Sonnetin

Le temps morne a fermé l’oeil clair des pierreries
Sa poussière a terni le bois d’ébène et l’or
Et le riche brocard des lourdes draperies.
Le temps respectueux n’osa jamais encor

Faner ce frais visage et ces lèvres fleuries
Sur le lit centenaire où  la Princesse dort.
O rose fleur, parmi les tresses décoiffées

L’éphèbe émerveillé la baisa doucement.
Voilà comme, un matin, le Prince élu des Fées
Tira de son sommeil la Belle au Bois dormant.

aba bab cd cd – Le ‘sonnetin’ est une sorte de ‘sonnet court’, de répartition 3+3+3+2. Je ne lui connais pas de descendance.

Le grand soufflet gémit et le noir charbon fume, — 1891 (14)

Le concours de La Plume

Vers forgés

Le grand soufflet gémit et le noir charbon fume,
Voici que le foyer de la forge s’allume,
J’aime le forgeron qui soude sur l’enclume
A grands coups de marteau les fers incandescents.

Le métal obéit à ses efforts puissants
Et son travail joyeux a de mâles accents.
J’aime aussi l’écrivain qui soude avec la plume
Les mots de notre langue en groupes frémissants.

Il les prend dans le rêve éthéré, dans la boue,
Il va pour les chercher au fond de l’univers,
Puis il les réunit, les disjoint, les secoue,

Les assemble en paquet, les attache, les noue
L’un à l’autre, à sa guise, à l’endroit, à l’envers,
Et l’on trouve la vie humaine dans ses vers.

aaab bbab – T18