Archives de catégorie : Genre des rimes

Quand le luxe hautain des carafes frappées — 1889 (9)

George Auriol – in  Le Chat Noir

Six heures et demie

Quand le luxe hautain des carafes frappées
Constelle le faubourg et les grands boulevards
Oubliant les Ohnets et les François Coppées,
Je vais m’asseoir parmi les estomacs buvards

Qui ruminent de Scholl les grandes épopées.
Mon Troisfrançois emmi les nobles bolivars
S’aperçoit, au travers des voitures stoppées
Sous le regard éteint des collignons bavards …

Je compte sur mes doigts les trésors de ma bourse,
Tandis qu’au ciel déjà s’apprête la Grande Ourse
Et que, très lentement, mon cigare s’éteint …

Mon coeur se rafraîchit d’un souffle d’azalées,
Et je crois voir passer dans le Quartier Latin
Les lapis-lazuli des sources en allées.

Q8 – T15

Furieuse, les yeux caves et les seins roides, — 1889 (7)

Paul Verlaine –  Parallèlement

Sappho

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sappho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le long des grèves froides,

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées;

Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l’âme va redire aux vierges endormies:

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, –
Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies.

s.rev: ede dcc abba abba

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre — 1889 (2)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

Remède

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre
Qui nous ronge le coeur, ainsi qu’un vieux remord?
Pouvons nous étouffer le doute qui nous mord,
Quand nous avons tout lu: la Nature et le Livre?

Pouvons-nous assurer le fier combat que livre,
En nous l’espoir vivace à la peur de la Mort?
Pouvons-nous espérer, vils esclaves du Sort,
Une autre liberté qu’un trépas qui délivre?

Pouvons-nous demander à l’exil un séjour
Où l’on oublie, au soir, les fatigues du jour?
Non, si notre esprit faible est ivre de matière;

Oui, si l’amour du Beau nous est toujours plus cher,
Si nous lui consacrons notre existence entière,
Oui, si l’extase nous affranchit de la chair.

Q15 – T14 – banv

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore, — 1889 (1)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

A Stéphane Mallarmé, au poète de l’azur et des fleurs, ce livre est dédié.
Le poème’, publication mensuelle – Cette publication a pour objet de donner chaque mois un poème inédit. Son but n’est pas de plaire au plus grand nombre, mais de satisfaire aux exigences littéraires d’une élite.
Je tente une épreuve difficile; j’entreprends une lourde tâche, lourde surtout parce qu’il me faut porter le poids d’un orgueil obligatoire. Au milieu du fracas de la mêlée humaine où tous les égoïsmes se confondent en un heurt furieux de combat, soldat dédaigneux de ma faiblesse et fort de mon courage, j’embouche la trompette à sonner l’idéal. S’il est des échos qu’ils en vibrent; s’il est des voix amies, qu’elles répondent.
Exilés, nous parlerons de la patrie absente; en des chants de gloire ou de tristesse, nous attesterons de la vitalité de nos âmes; et, guidés par nos aspirations divines, nous goûterons l’immense joie de marcher vers la réalisation de nous-mêmes.

25 mars 1889.
tirage à 500 exemplaires; n° 308

Suggestion

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore,
A la rose sanglante, au lys immaculé,
Que j’irai demander le symbole voilé
Qui, dans l’esprit voyant, te ferait vivre encore.

Je n’obtiendrais ainsi qu’un reflet incolore,
Auprès du clair soleil que tu m’as révélé.
Non, pour dire ta voix dont l’accent m’a troublé,
Je ne parlerai pas d’un chant doux et sonore;

Mais je rappellerai comment, devant la mer,
Devant la nuit sublime, après le jour amer,
Et devant toi, mon coeur goûta la même extase.

Alors, on te verra dans le sentiment pur,
Dans la Forme soustraite au Réel qui l’écrase,
Plus loin que le regard et plus haut que l’azur.

Q15 – T14 – banv

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre — 1888 (33)

Paul-Jean Toulet in Oeuvres complêtes

sonnets exotiques, III
à l’âme de Dumollard

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre
Où la cupide Mort met ses joyaux de prix,
Où les corps tant aimés par son ombre surpris
Gardent encor leur grâce en perdant la lumière.

Amant inassouvi des chairs de cimetières,
Consolateur des morts, toi seul plein de mépris
Pour les corps où le sang met son tendre pourpris,
Tu gardais tes baisers aux pâleurs de la bière.

Je voudrais bien savoir, poète méconnu,
Ceux que tu préférais de ces corps mis à nu:
Le linceul soulevé de la vierge encor fraîche

Ou la chair trentenaire et que mûrit l’amant
Et que mûrit la mort encore plus savamment,
Très molle avec des bleus, comme une vieille pêche?

Q15 – T15

Dans le parallélisme où le destin l’accule, — 1888 (29)

Le Décadent

Résignation

Dans le parallélisme où le destin l’accule,
Le temps toujours égal coule en jeux inégaux,
Crépuscule, aube, aurore et grand jour, crépuscule,
Et puis la nuit, but ignoré des madrigaux.

Or, tandis que leurrés d’un songe ridicule,
Nous espérons des paradis dominicaux,
La vie indifférente autour de nous circule,
La Mort, sans lendemains, rit des soins médicaux.

Pour toi, rassasié des voluptés humaines,
Las du vin dégoûtant des amours et des haines,
Résiste à l’illusoire appétit des plaisirs.

Et, sobre des vils mets qu’on te jette en pâture,
Sâche, puisque le Sort a trompé tes désirs,
Borner ton Idéal à sa caricature.

Louis Pilate de Brinn’Gaubast

Q8 – T14

Mâle et viril poète aux pensers d’or, j’admire, — 1888 (27)

Le Décadent

A Stéphane Mallarmé

Mâle et viril poète aux pensers d’or, j’admire,
Contemplateur, tes vers limpides où se mire,
Ainsi qu’en un cristal, l’irradiant flambeau
De ton âme, – paradisiaque tombeau!

Et ne crains rien, jamais  -: d’envieux auront beau
Clamer, comme devant tout génial tableau,
Un jour, ceux qui ne se charment pas à te lire,
Viendront s’agenouiller à la voix de ta lyre;

Soit que, tendre ou hautain, ton verbe si cruel
S’adoucisse parfois en des azurs de ciel,
Ou soit que de ton front jaillissent, fiers, superbes,

– Epanouissement harmonieux de gerbes –
Des vols plus puissants que des rayons de soleil,
Mourant dans une apothéose au sang vermeil!

André de Bréville

Q6 – T20

L’insénescence de l’humide argent, accule — 1888 (23)

Le Décadent

Le limaçon

L’insénescence de l’humide argent, accule
La Glauque vision des possibilités
Où s’insurgent par telles prases abrités
Les frissons verts de la benoîte Renoncule.

Morsure extasiant l’injurieux calcul,
Voici l’or impollu des corolles athées
Choir sans trève! Néant de sphynges Galathées
Et vers les Nirvanas, ô Lyre, ton recul!

La mort …  vainqueur … et redoutable:
Aux toxiques banquets où Claudius s’attable
Un bolet nage en la Saumure des bassins.

Mais, tandis que l’abject amphyction expire,
Eclôt, nouvel orgueil de votre pourpre, ô Saints!
Le Lys ophélial orchestré pour Shakespeare.

Arthur Rimbaud

« Note – Ce sonnet si exactement conforme à la doctrine de Saint Augustin touchant les erreurs manichéennes nous semble intéressant oh! combien parmi tous! Dans l’oeuvre du Jeune Maître disparu. Promesse ou Remembrance, le lecteur acute, sans doute, placera dernier entre les vaticinations dernières de Rimbaud, le chant d’un cygne perspicace affamé de Non-Etre et qui, sur l’étang des luxures, lamente le lotus aboli.

Cette note et ce sonnet nous été adressés par un lecteur du Décadent.  »

Q15 – T14 – banv – insénescence (H.N.) : qualité de ce qui ne vieillit pas. – Formule ‘banvilienne’, si on admet la rime du masculin ‘possibilités’ avec le féminin ‘athées’

L' »Albert Hall », au dôme bizarre — 1888 (22)

Le Chat Noir

London Fog

L' »Albert Hall », au dôme bizarre
Semble un formidable encrier.
Nous prendrons pour presse-papier
Un lion de ‘Trafalgar Square’.

De la « Banque », spectacle rare,
Nous ferons un vaste casier;
Et « Marble Arch » change en plumier
Son précieux bloc de Carrare.

Le ‘Monument’ est le crayon
Et la ‘Colonne de Nelson’
Devient un porte-plume étrange.

Cependant le soleil surpris
Met sur un ciel de buvard gris
Son pain à cacheter orange.

Stationer

Q15 – T15 – octo

L’abdomen prépotent des bénignes cornues — 1888 (20)

– ? Le Décadent

« Un sonnet d’Arthur Rimbaud »

Les cornues
Les cornues au long des tablettes, les petites larmes de grès blanc, blanches comme les plus blancs des corps de femmes ….

L’abdomen prépotent des bénignes cornues
Se ballonne tel un ventre de femme enceinte.
Es-dressoirs, elles ont comme des airs de sainte
Procession vers quel Bondieu? de plages nues …

Et leur Idole, à ces point du tout ingénues
Pèlerines  c’est des Gloires jamais atteintes,
O la Science! Phare inaccessible …
………………………………
……………………………..

Mais c’est dans l’âpre Etna de vos nuits, ô Cornues!
Que mûrit le foetus des Demains triomphants! … –
O Vulve! De leur bec tel des sexes d’enfant

Et volute du Flanc telles les lignes nues
Du pur Torse de l’Eve aux rigidités lisses:
S de leur col fluet comme de jeunes cuisses!

Ce miraculeux sonnet, si fâcheusement mutilé, est d’une époque incertaine. Disons cependant que de bons juges l’estiment, en raison du ton général de la pièce et de sa facture tourmentée, contemporain des dernières Illuminations – N.D.L.R.

abba ab..– T30