Archives de catégorie : Genre des rimes

La Nation débordait de cent torrents grossie — 1958 (1)

Henri BassisSonnets pour la République


La Mer

La Nation débordait de cent torrents grossie
Toutes les rues charriaient ce soir d’étranges fleuves
Une coulée d’azur trouant les jours d’épreuves
Comme si l’Avenir faisait une éclaircie

Des hommes avançaient en bleu les mains noircies
Et des femmes portant parfois des robes neuves
Des gavroches sifflaient Paris faisait ses preuves
La République était vivante Dieu merci

Chantant grondant riant oubliant sa fatigue
Tout un peuple océan battait contre ses digues
Moi j’écoutais sans fin ce géant respirer

Je sais qu’un Mai toujours démentira Brumaire
Une vague me prit et j’entrai dans la mer
Où lente mûrissait une énorme marée.

Q15 – T15

La rime est un carcan : je n’en fais pas mystère, — 1957 (5)

Florilège des Sonnets d’Arvers rénovés et signés des lauréats du Concours de la Muse d’Oc

(Georges Poucet)
L’énigme d’art vert

La rime est un carcan : je n’en fais pas mystère,
Un supplice plus dur, dans ce genre, est conçu,
Car le sonnet d’Arvers (j’eus préféré me taire)
Je dois le pasticher, ne l’ayant jamais su.

Mais, pourtant, ce problème est-il inaperçu ?
Non, près des Jeux Floraux, on n’est pas solitaire ,
Et plus d’un cavalier aura mis pied à terre :
Descendant de Pégase, il sera bien reçu.

Il lui faudra choisir le sévère ou le tendre ,
S’inspirer de son mieux, s’il veut se faire entendre,
Qu’on puisse en l’écoutant le suivre pas à pas,

En restant, à la rime, entièrement fidèle,
Gagnant le dernier vers encor tout rempli d’elle,
Il dira : c’est fini ! mais ne finira pas.

Q10  T15  arv  s sur s

Tes yeux m’ont révélé leur secret sans mystère, — 1957 (4)

Florilège des Sonnets d’Arvers rénovés et signés des lauréats du Concours de la Muse d’Oc

(madame Calliot-Bonnat)

Tes yeux m’ont révélé leur secret sans mystère,
Et ce cruel amour en ton âme conçu.
Le mal est sans espoir ! continue à le taire,
Mais je préfèrerais n’avoir jamais rien su.

Tu passais, près de moi, souvent, inaperçu
Dans la foule, partout, je restais solitaire …
Je ferai, jusqu’au bout, mon chemin sur la terre,
Ne demandant plus rien, ayant assez reçu.

Grâce à Dieu, quelquefois, je suis douce et très tendre
Mais je vais mon chemin, ne voulant pas entendre
Ce murmure d’amour élevé sur mes pas.

L’agréable devoir auquel je suis fidèle,
M’empêche de frémir au sonnet tout plein d’ELLE.
Eternel  ton amour ? Non, je ne le crois pas.

Q10  T15  arv

Fluide aux éléments flous bouillonnant sous l’orage, — 1957 (3)

Pierre Boulle in Le poids d’un sonnet


Le pithécanthrope

Fluide aux éléments flous bouillonnant sous l’orage,
la mer anéantit sans haine et sans amour
cette goutte de pluie alanguie en l’air lourd
qui tombe, en chuchotant sa chanson, du nuage.

Le gouffre, sans reflet de ce fatal naufrage,
au destin de l’atome éternellement sourd,
détruit l’être, et dissout le fragile contour
en la simple Unité de sa splendeur sauvage.

Plus réel que de l’air la frêle passagère,
tu laissas un débris de ton humanité:
c’est ce crâne blanchi qui rit dans la poussière.

Mais ton âme, un soupir de la Divinité,
comme la goutte d’eau dans sa chute éphémère,
s’est dissoute, Univers, en ton immensité.

Q15 – T20

L’amoureuse immuable au fétiche de bête — 1957 (2)

Pierre-Jean JouveLA VIERGE DE PARIS

L’homme fatal

L’amoureuse immuable au fétiche de bête
N’avait pas négligé son soulier de satin
Remuements de peau neuve et toisons cris de têtes
Assouvissement vaste! Et des années plus loin

Il recherchait partout une sombre catin
Voisine: aux armes de Ses poids et de Ses bêtes
Sans jamais revenir à Son cœur clandestin
Sans être désembrassé de Ses bras funestes.

Cependant d’autres femmes nues et élancées
Dont les mains rappelaient le pouvoir de la mer
Dans les villes passant lui faisaient souvenir

Par son étrange ride et forte dignité
De la Nudité rousse au sein décapité
Qui plus ancienne encor que l’amoureuse amère
De son enfance avait plongé jusqu’à la mort.

Q8 – ccx ddx y – 15v

Oh tu pleures, Silence obscur larme perdue — 1957 (1)

Pierre-Jean JouveLA VIERGE DE PARIS

Oh tu pleures, Silence obscur larme perdue
Et fleur de la maison sous le nuage noir
Et la menace de la mort d’antique nue
Le drapeau de la honte avec le ciel du soir,

Tu pleures. Des brillants descendent sur ta pierre
Et touchent à ton sein. Les miracles lointains
Sont errants et l’amour voit périr ta paupière
O toi qui inspirais le poète prochain

Dans une odeur de bois augustes et de livres
Regardant des trésors par d’anciens carreaux
Mère de notre amour et Vierge qui ne livres

Pas le secret de liberté mystique et beau
Mais conserve l’hymen sous la robe de pierre
Et rêves l’éternel pardon comme du lierre.

Q59 – T23

Je me suis installé entre deux cimetières — 1956 (2)

Jacques BaronL’imitation sentimentale

Premier et dernier poème de Montmartre

Je me suis installé entre deux cimetières
A l’âge où les amours ne font plus de mystères
Et d’un pas de silence j’entre dans la maison
Nouvelle au beau moment de la juste raison

Je me suis installé dans la vie coutumière
Avec mes amours et premières et dernières
A Montmartre un beau soir de la jolie saison
Laissant quelques remords sans consolation

Oubliant aussi bien de pauvres rendez-vous
Négligeant aisément de futiles promesses
Mesurant largement mes superbes faiblesses

Et faisant peu de cas de mon histoire de fou
Et faisant peu de cas de toutes les richesses
Je me demande un peu ce qu’on nomme sagesse

Q1 – T29 alexandrins parfois approximatifs

O le diable amoureux les diablesses attendent — 1956 (1)

Jacques BaronL’imitation sentimentale


Le diable amoureux

O le diable amoureux les diablesses attendent
Avec impatience vos propos en scherzo
Si frais comme un beau jour est le vrai mot des mots
Vous le direz encore Elles seront vos amantes

Le mot amour ainsi que le cœur de l’amande
Est délicieux sous une écorce rude et
Cependant d’un vert spécial et velouté
Espérance et joie au bout de la légende

Si le cœur de vingt ans ne vous manque jamais
Et si tout droit tout simple et de bonne façon
Et de la belle humeur dont est un vrai garçon

Vous pouvez dire amour aux belles qu’on a semées
Sur terre pour les hommes aux destins de fumée
Vous dites un petit mot qui en connaît trop long

Q45 – T28 alexandrins approximatifs

Toute âme a son secret, l’escargot son mystère — 1955 (5)

– ? in Vie et Langage (août 1955)

Toute âme a son secret, l’escargot son mystère
Sous les rayons ardents ; lorsque l’herbe a fondu,
Pourquoi, d’un air pressé, a-t-il quitté la terre
Pour grimper au pylone et rester suspendu ?

Des miliers d’escargots au faîte parvenus ,
En gerbe déployés brillent dans la lumière,
«  Ils sont à moi », pensai-je, et d’une grosse pierre,
Visant bien, frappant mieux, je les ai descendus.

Je me penchai vers eux, pour palper leur chair tendre.
Où sont-ils ? Pas un corps dans les coques de cendre,
Les sépulcres blanchis s’écrasent sous mes pas !

Peut-être, au vent du soir, adorables nacelles,
Les cornes ont porté leurs âmes éternelles
Jusques au paradis ? nous ne le saurons pas

Q10  T15  (arv) approximatif

Notre chemin passe par les traverses — 1954 (8)

Jean Sénac Les leçons d’Edgard in Oeuvres poétiques (1999)

1

Notre chemin passe par les traverses
Il est large et précis comme un cou de taureau,
Il craint le cœur dans les heures adverses
Dans le plaisir il craint les mots.

Notre chemin quand tombent les averses
Sent la luzerne et l’églantine à crocs,
Et si l’ornière au feu central nous verse,
Notre pied garde assez de flot.

Notre chemin procède par énigmes,
Quoique très clair ton sourire conduit,
Ton corps charrie les pigments et les rythmes.

Ta voix consent aux laves de la nuit.
Mais l’or au front, il trace, solitaire,
Notre chemin de paix dans les plis de la terre.

Q8 – T23 – 2m : déca;  octo: v.4, v.8; alexandrin: v.14