Archives de catégorie : Genre des rimes

La nuit était semblable à nos pensers funèbres; — 1866 (8)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

L’orage du soir

La nuit était semblable à nos pensers funèbres;
Des nuages grondants s’entassaient sous nos yeux,
La lune, au front voilé, blanchissait les ténèbres,
L’éclair multipliait son vol capricieux.

L’air était sombre, lourd, la brise sans haleine,
La foudre promenait sa terreur dans les cieux;
Un réseau de brouillards enveloppait la plaine,
Et le jardin dormait sans bruit mystérieux.

Nous marchions lentement, le coeur haut, l’oeil avide,
Et nos esprits d’accord; quand l’âme n’est point vide,
La contemplation est une volupté.

C’était là votre image, ô penseurs, ô poètes!
Des voix de la nature éternels interprètes …
Tout n’est-il pas en vous tonnerre, obscurité?

Q38 – T15

Encaissé dans les bois, au fond d’une prairie, — 1866 (7)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

L’étang de Heussey
A madame Hyacinthe de Pontavice de Heussey

Encaissé dans les bois, au fond d’une prairie,
L’étang que nous aimons sourit frais et charmant;
Le hêtre teint de vert son cristal plus dormant
Que le front calme et pur d’une vierge qui prie.

Le sentier qui l’enlace est plein de rêverie;
Le vent, qui fait chanter les arbres de ses bords,
Couche sur son miroir les rameaux déjà morts,
Et le ride au hasard d’une feuille flétrie.

Sa rive monte à peine au-dessus de ses eaux,
Aussi, pour se baigner, je crois que les oiseaux
N’ont qu’à courber plus bas les branches frissonnantes.

Oh! que mon jeune coeur lui ressemble toujours!
Cette onde si limpide est l’image des jours
Où le vent sèmera les feuilles jaunissantes.

Q36 – T15

Le sifflet retentit dans la gare sonore, — 1866 (6)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

En chemin de fer

Le sifflet retentit dans la gare sonore,
Et le convoi s’ébranle; – un bruit lourd, infernal,
Roule et court sur les rails; la route se dévore,
Et le monstre de fer suit son rouge fanal.

Allumons un cigare et lisons mon journal;
Quand tout sera fini j’entrerai dans ma chambre.
D’ailleurs, le temps est long quand on est en décembre,
Et que notre voisin est gênant ou banal …

Tout passe, tout s’enfuit, – je touche à ma limite!
Notre corps maintenant voyage non moins vite
Que le coeur et l’esprit pour ceux qui ne sont plus.

Mais on arrive, hélas! – l’oreille encore avide
Des serments de l’amour, la joue encore humide
Des pleurs de nos adieux et des baisers émus!

en chemin de fer , 31 décembre 1856

Q36 – T15 Autres quatrains rares sur trois rimes: abab ba’a’b

Un jour, j’étais assis sur une terre anhydre, — 1866 (4)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville

III

Un jour, j’étais assis sur une terre anhydre
Au pied d’un châtaignier, gros comme un baobab,
J’avais soif à rêver tous les puits de Moab,
Et, quoique Bourguignon, j’aurais lampé du cidre.

J’aurais même, je crois, bu l’eau d’une clepsydre, …
Lorsque vint à passer la fille de Joab,
Vieux juif parcheminé, plus riche qu’un nabab,
Dont l’or très-mal acquis renaissait comme l’hydre!

Il était laid, vorace, et sale comme un porc;
Mais Elle … on aurait dit la soeur du dieu de Delphes;
Elle avait, en courant, le vaporeux des elfes.

Et ma soif disparut. Cet enfant de New-York
Pouvait tout transformer .. jusqu’aux haines des Guelfes.
Son amour était doux comme un vers des Adelphes.

Q15- T29 Rimes rares, mais quatre seulement: – idre -ab – orc – elphes

A l’âge où notre front se flétrit et se marbre, — 1866 (3)

Louis Goujon

Sonnets. Inspirations de voyage
Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville

II

A l’âge où notre front se flétrit et se marbre,
Nous avons vainement interrogé le sphinx.
Vétéran des salons, polis comme du marbre,
Nous portons sur la vie un dur regard de lynx.

L’Amour ne revient plus s’ébattre sous notre arbre,
Les chansons du Printemps fatiguent le larynx;
Les enfants on grandi, l’intérêt nous désarbre
Les bois où soupirait la flute de Syrinx.

Autrefois, nous voulions l’énivrement des valses,
Notre trop plein coulait comme celui des salses;
Aujourd’hui nous sentons le dard aigu du spleen.

Nous avons à venger des crimes comme Electre,
Partout des libertés se dresse aussi le spectre,
Et pourtant nous rêvons tout l’or d’un Aberdeen.

Q8 – T15 Autre exercice en rimes rares: – arbre – inx – alses – een – ectre (le verbe ‘désarbrer est inconnu du tlf et des ‘disparus du littré’)

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre, — 1866 (2)

Louis Goujon Sonnets. Inspirations de voyage

Rimes Humouristiques, trio de sonnets à Théodore de Banville
I

J’étais comme une barque à l’abri dans un havre,
Vidant joyeusement ma bourse et mon hanap;
Maintenant, je suis roide, et froid comme un cadavre,
J’ai la pâleur du coing et je bois du jalap.

Le désir de la mer m’entraîne vers Le Havre,
L’amour des hauts sommets me pousse jusqu’à Gap;
Mais je souffle en montant, où le passé me navre,
Et j’ai peur du naufrage en doublant quelque cap.

Amis des droits vaincus, mon vers défend le peuple;
Je dis à l’Avenir: « l’Irlande se dépeuple,
Accours la consoler, Dieu le veut … allons, houp! »

Puis je songe à dormir à l’ombre, sous un trèfle.
Un torride soleil rend mou comme une nèfle;
Je m’attends à mourir du typhus ou du croup.

Q8 – T15 Exercice de rimes rares: -avre – ap – euple – oup – èfle (TLF) jalap : Plante proche du liseron, très répandue en Amérique du Nord, dont la racine tubéreuse est utilisée comme purgatif :

Au milieu des lianes de jalap pleines de corolles parlantes
Les grands échassiers gris et roses se régalent de lézards croustillants et s’envolent avec un grand bruit d’ailes à notre approche.
CENDRARS, Du monde entier au cœur du monde, Vomito negro, 1957, p. 144. – P. méton. Extrait de la racine de la plante aux propriétés laxatives.

Je n’ai reçu pour apanage — 1865 (4)

Edouard Monod Le cœur et les lèvres

Préface courte

Je n’ai reçu pour apanage
Qu’un peu d’esprit, ainsi que Dick* :
– Assez pour faire un badinage
Trop peu pour en faire trafic.

En faveur de mon très-jeune âge,
Je demande grâce au public.
Je me suis souvent mis en nage,
Souvent même j’ai pleuré (sic),

Pour composer ce petit tome
De rimes, j’ai bien peur, vraiment,
Qu’on n’en ait pas pour son argent.

Enfin, l’on verra. – C’est, en somme,
L’histoire de mon cœur d’enfant
Et de mes péchés de jeune homme.
* En Angleterre, nom de clown

Q8  T28  octo

Au Louvre, bien souvent, je n’ai regardé qu’elle, — 1865 (2)

Madame Auguste Penquer, née Léocadie Salaün Révélations poétiques

La Joconde

Au Louvre, bien souvent, je n’ai regardé qu’elle,
C’est la beauté suprème, infinie, éternelle;
La femme, ainsi que Dieu l’a faite pour charmer,
Pour inspirer l’amour et surtout pour aimer.

Son oeil, sombre et profond, par instants étincelle,
Comme un  foyer ardent couvé sous la prunelle;
Son sourire a ce don qui ne peut s’exprimer,
Qui semble tout permettre et sait tout réprimer.

Devant ce beau portrait, je rêve et je m’oublie,
L’esprit rempli d’extase et de mélancolie.
J’admire avec mon coeur autant qu’avec mes yeux:

C’est l’idéalité vivante et solitaire
Qui passe, en se mêlant aux splendeurs de la terre,
Mais qui garde toujours une empreinte des cieux.

Q1 – T15

Aimez toujours, disait votre romance, — 1865 (1)

Valéry Vernier Les filles de minuit

Fier est mon coeur

Aimez toujours, disait votre romance,
Aimez toujours, et nous verrons après;
Et malgré vous, votre air d’insouciance
Raillait vos lèvres, et disait: jamais!

Merci pour moi, Louison, l’expérience
M’a révélé les féminins protêts;
Je ne saurais, à si longue échéance,
Vous adorer, malgré tous vos attraits.

Ses yeux sont beaux: à cette ardente flamme
Facilement on se grillerait l’âme,
Si de dédain on ne se cuirassait.

Fier est mon coeur, comme disait Musset:
De l’abaisser en une attente vaine,
En vérité, non, ce n’est pas la peine

Q8 – T13- déca Ce cousin d’Hugo Vernier (l’auteur, entre autres, du Voyage d’Hiver) nous révèle ceci: « il m’est arrivé d’écrire de la prose à la clarté du jour, je n’ai guère composé de vers que la nuit ». On remarque la césure ‘à l’italienne’ au vers 4.

C’est ici la case sacrée — 1864 (8)

Baudelaire in Revue Nouvelle


Bien loin d’ici

C’est ici la case sacrée
Où cette fille très-parée,
Tranquille et toujours préparée,

D’une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Ecoute pleurer les bassins:

C’est la chambre de Dorothée.
– La brise et l’eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée.

Du haut en bas, avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D’huile odorante et de benjoin.
Des fleurs se pâment dans un coin.

s.rev. – eee ddd babb abaa – octo