Archives de catégorie : Genre des rimes

Autour d’une église aux voutes teintées, — 1861 (6)

Médéric Charot Ma première gerbe

Mon village

Autour d’une église aux voutes teintées,
Parmi les sillons verdoyants d’épis,
Cinquante maisons sans ordre jetées
Comme un tas de dés sur un vert tapis;

Deux routes de jour assez fréquentées,
Des arbres nombreux, un ciel de lapis,
Un ruisseau bordé de fleurs enchantées,
Trois ou quatre ponts sur l’onde accroupis;

Un petit bassin pour la lavandière,
Un grand abreuvoir couvert de roseaux,
Derrière un long mur un vert cimetière:

– Voilà mon village et mon âme entière.
Tant que tourneront pour moi les fuseaux
Qu’Atropos arrête avec ses ciseaux!

Q8 – T18 – tara

Connais-tu la raison pour laquelle je t’aime? — 1861 (5)

Léon Cladel Poésies

5

Connais-tu  la raison pour laquelle je t’aime?
C’est ton amour savante et ton charme érudit,
C’est dans la Volupté ton élégant système…
C’est ta caresse artiste enfin qui m’engourdit.

Nulle pour varier le monotone thème
Du plaisir n’est pareille à toi, je te l’ai dit;
Tes pleurs tombent sur moi comme l’eau d’un baptème,
Tes pleurs que le calcul appelle, ange maudit!

Rythmique, enlace-moi, nonchalante et rythmique;
En ton moelleux dandysme exempt de passion,
Mesure le regard, l’haleine balsamique,

La parole, le geste et l’ondulation:
Voluptueuse avec préméditation,
Tu parais délirante étant mathématique!

Q8 – T21

Le lac dort sous le ciel en fête: — 1861 (4)

Edmond Arnould Sonnets et poèmes

Le lac dort sous le ciel en fête:
Ni brise, ni flôt murmurant;
Pas même le nuage errant
Qui fait songer à la tempête.

D’où vient qu’une ombre se reflète,
Noire, dans l’azur transparent?
Chasseur rapace et dévorant,
Un oiseau vole sur ma tête.

Ainsi le malheur, fin vautour,
Sans qu’aucun bruit nous le révèle,
Sur nous plane, aux feux d’un beau jour:

Mais longtemps avant de le voir,
Dans nos coeurs, tranquille miroir,
Nous voyons l’ombre de son aile.

Q15 – T25  – octo Les tercets, cdc eed, violent la règle d’alternance

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique — 1861 (2)

Henri Murger Les nuits d’hiver

Sonnet
Au lecteur

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique
Où l’on vend ce volume, et qui l’as acheté
Sans marchander d’un sou, malgré son prix modique,
Sois béni, bon lecteur, dans ta postérité!

Que ton épouse reste économe et pudique;
Que le fruit de son sein soit ton portrait flatté
Sans retouche; – et, pareille à la matrone antique,
Qu’elle marque son linge et fasse bien le thé!

Que ton cellier soit plein du vin de la comète!
Qu’on ne t’emprunte pas d’argent, – et qu’on t’en prête!
Que le brelan te suive autour des tapis verts;

Et qu’un jour sur ta tombe, en marbre de Carrare,
Un burin d’or inscrive – hic jacet – l’homme rare
Qui payait d’un écu trois cents pages de vers!

Q8 – T15

Il est des jours où la muse rebelle, — 1858 (5)

Auguste Lestourgie Près du clocher

A Chéri Vergne

Il est des jours où la muse rebelle,
Comme un oiseau las de fendre les airs,
N’a plus d’amour pour les tendres concerts,
Se tait, se pose, et n’ouvre plus son aile !

Il est des jours où la flamme immortelle
Paraît éteinte ; où, semblable aux déserts,
Le cœur n’est plus qu’un stérile univers,
Sans fleur, sans vie, où nul feu n’étincelle !

Mais quand on jette à ce cœur désolé
Un nom, un seul – soudain s’est envolé
L’oiseau chanteur qui sommeillait dans l’âme !

La flamme vive a paru – tout fleuri,
Vivant, peuplé, le désert a souri! –
Ce nom puissant c’est un doux nom de femme !

Q15  T15  déca

Qui, moi? faire un sonnet? J’en ai si peu l’envie! — 1858 (4)

M.Modelon Brises d’automne

Un sonnet

Qui, moi? faire un sonnet? J’en ai si peu l’envie!
Puis, un sonnet sur quoi? sur ce qu’il me plaira?
Fort bien! essayons! Puis, advienne que pourra
Du sonnet, le premier que je fais de ma vie!

Qu’en dites-vous, ami? Vous riez, je parie,
De me voir me creuser pour une rime en ie,
Que doit suivre bientôt une autre rime en ra.
Encore un hémistiche! et puis la chose ira.

Je croyais terminer cette leçon d’escrime;
Mais il me reste encor deux tercets à trouver.
Laissez-moi! je m’en vais un instant y rêver…

Malgré ce bon Boileau, j’eus toujours peu d’estime
Pour ce genre bizarre et ses quatorze vers;
C’est peut-être, entre nous, que les fruits sont trop verts.

Q13 – T30 s sur s

Que de fois, pour charmer le mal qui me dévore, — 1858 (3)

Antoine-Auguste Génin Simple bouquet

XX

Que de fois, pour charmer le mal qui me dévore,
J’ai trompé le sommeil et devancé l’aurore!
A poursuivre un regard qu’en vain mon oeil implore,
J’ai perdu bien souvent des soleils tout entiers.

Que de fois j’ai suivi vos pas dans les sentiers,
Seul, occupant mon coeur à lui redire encore
Vos attraits, mon amour, et croyant voir éclore
Des fleurs au doux contact de votre pied sonore!

De mes désirs ainsi je m’enivre en marchant:
Ce bruit sous la fenêtre, est-ce donc votre chant?
Sur l’aile du zéphir j’ai surpris votre haleine.

Et bien! que vous passiez rieuse et sans me voir;
Quand le soir je reviens à notre vieux manoir,
J’emporte de bonheur mon âme toute pleine.

aaab baaa – T15

Pas à pas au désert, j’ai poursuivi ta trace; — 1858 (2)

Antoine-Auguste GéninSimple bouquet

LX

Pas à pas au désert, j’ai poursuivi ta trace;
Les roses et les lys m’ont rappelé ta grâce:
Leur parfum m’enivrait moins que ton souvenir,
Et dans tous leurs attraits j’aimais à te bénir.

L’oiseau dans ses chansons revient m’entretenir
De ta voix, de ton nom qu’il a su retenir;
C’est ton souffle inspiré, recueilli dans l’espace,
Que verse sur mon front l’Aquilon quand il passe.

Ainsi, je vais partout, vous conservant ma foi,
Tenant en mon esprit votre pensée éclose,
Vous cherchant, vous trouvant au fond de chaque chose.

Mais vous, vers les sommets où l’idéal repose,
Vers ces vallons sacrés qu’une eau plus pure arrose,
Lorsque vous reviendrez, penserez-vous à moi?

Q6 – T33

Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre; leurs armes — 1858 (1)

Baudelaire in L’Artiste

Duellum

Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre; leurs armes
Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang.
Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes
D’une jeunesse en proie à l’amour vagissant.

Les glaives sont brisés! comme notre jeunesse,
Ma chère! Mais les dents, les ongles acérés,
Vengent bientôt l’épée et la dague traîtresse.
– O fureur des coeurs mûrs par l’amour ulcérés!

Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces
Nos héros, s’étreignant méchamment, ont roulé,
Et leur peau fleurira l’aridité des ronces.

– Ce gouffre, c’est l’enfer, de nos amis peuplé!
Roulons-y sans remords, amazone inhumaine,
Afin d’éterniser l’ardeur de notre haine!

Q59 – T23 (H.N.) once : Grand félin d’Asie centrale, dont la robe gris clair tachetée de noir ressemble à celle de la panthère

Au chant de ton Pater, aux accords de ta lyre — 1857 (25)

P.Bion (vicaire) in La Muse des familles

Au chant de ton Pater, aux accords de ta lyre

Soudain, l’âme s’émeut, le cœur devient meilleur …
Ouvrier de ce soir … mais, pourquoi te le dire ?
Pour chanter de beaux vers, je me fais rimailleur.
Heureuse es-tu, ma Sœur ! quand ta muse féconde,
Imitant de David les chants si gracieux,
Entonne l’oraison du résempteur du monde ;

Bienheureuse ici-bas, mais plus heureuse aux cieux !
Au Pater du Sauveur ajoute une prière :
Loin, bien loin, ô ma sœur ! fais entendre tes chants,
Le nom du père est doux, mais, bonne aussi la Mère !
Interroge plutôt cette Vierge chérie,
Asile des cœurs purs, refuge des méchants.
Tu le veux, n’est-il pas ? … oh ! chante encor Marie.

Q59  T24  acr.  disp 1+6+7