Archives de catégorie : Genre des rimes

Je dansais avec vous, vous qu’en tremblant je nomme; — 1855 (8)

Jules Marchesseau Les croyances

Sonnet à mlle Cécile de ***

Je dansais avec vous, vous qu’en tremblant je nomme;
Vous me disiez: ‘ J’ai vu R*** aujourd’hui. »
Et, si de trop d’éclat vos yeux bleus n’avaient lui,
Je vous eusse conté le propos d’un grand homme:

– Un jour qu’en Ibérie il allait, plein d’ennui,
César, voyant un bourg pauvre et laid devant lui,
Dit à ses compagnons: « J’aimerais mieux, en somme,
Etre ici le premier que le second à Rome. »

– De César et de vous les titres sont égaux,
Car génie et beauté portent un diadème:
Cécile aux blanches dents, penseriez-vous de même?

Vous plairait-il aussi régner sur nos hameaux
Plutôt que?  – Mais, hélas!, pour être au rang suprême,
Vous n’avez pas besoin d’abandonner Bordeaux

Q18 – T28

Je suis fort amoureux, non de vos yeux, madame, — 1855 (6)

Marc du Velay Les Vélaviennes


Au plus joli pied
« Ce n’est pas vous, non, madame, que j’aime » Théophile Gautier

Je suis fort amoureux, non de vos yeux, madame,
Non de vos doigts menus et blancs comme le lait,
Du limpide sourire où se trahit votre âme,
De ce front gracieux d’un doux rêve voilé,

De vos sourcils d’ébène à la courbe si pure,
De ce cou délicat, arrondi, potelé,
Des brillants anneaux d’or de votre chevelure,
De ce bras, vrai bijou, si beau sans bracelet,

Non de ce grain charmant, antithèse qui joue,
Perle de jais éclose au lis de votre joue,
Ou du noble profil de ce nez aquilin …

Non! mais je rimerais vingt rondeaux, dix poèmes,
Je traduirais en vers Cirrode et ses poèmes,
Pour tenir votre pied rose et nu dans ma main.

Q38 – T15 la rime ‘b’ est incorrecte

O mon fils! Ne sois plus triste. Dis-moi, qu’importe — 1855 (4)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Consolation

O mon fils! Ne sois plus triste. Dis-moi, qu’importe
Ces luths toujours muets à tes murs suspendus;
Les pierres des méchants pleuvant contre ta porte,
Et tes meilleurs amis au tombeau descendus?

Coursier sans frein, le temps, dans sa fuite t’emporte,
Il franchit au galop un pays dévasté:
N’arrête pas tes yeux sur cette terre morte,
Regarde seulement le but: l’éternité!

Fortune, gloire, amour: vanité, vanité.
Tout plaisir, tout savoir, toute douleur est vaine:
Seul, je suis le vrai bien et ta route est certaine.

– Père, sous votre joug nous plions à genoux;
Ecrasez le néant de la raison humaine:
Seigneur, Seigneur, Dieu bon, ayez pitié de nous.

Q32 – b’cc dcd rare exemple de rime ‘orpheline dans les tercets’

Madame, j’aime fort les châteaux en Espagne, — 1855 (3)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Une chaumière et la mer

Madame, j’aime fort les châteaux en Espagne,
Seul au coin de mon feu j’en bâtis quelquefois;
Mais je n’en fais jamais d’aussi charmants, je crois,
Que notre humble chaumière au fond de la Bretagne.

Elle est toute de joncs, de mousse, et je la vois
Si bien, qu’assez souvent j’espère en ce beau rêve;
Et je me dis: peut-être, au bord de quelque grève
Est-il un doux abri que Dieu fit pour nous trois.

Que nous serions heureux! Vous iriez sur la plage
Cueillir la nacre verte au brillant coquillage,
Camille chasserait plus loin dans les taillis,

Et moi sur un vieux roc noirci par les orages
Je vous griffonnerais d’effrayants paysages …
Et voici le sonnet que je vous ai promis!

Q48 – T15 ‘plage’ et orages ne riment que pour l’oreille

Un sonnet est bien peu de chose: — 1855 (1)

Marc du Velay (Auguste Blanchot) Les Vélaviennes


Le Sonnet

Un sonnet est bien peu de chose:
Un souffle qui s’envole, un soupir, un accord;
Une larme de pluie aux feuilles d’une rose;
Un vacillant rubis que suspend un fil d’or.

C’est un cadre de nacre ouvragé jusqu’au bord
Serrant d’une Péri la figurine rose.
Dans l’urne de cristal, que d’eau tiède on arrose,
C’est d’une fleur d’Alep le fragile trésor.

C’est moins que tout cela; c’est une folle rime,
Quatorze papillons qu’à saisir on s’escrime:
C’est un tour de souplesse et rien de plus ma foi!

Cependant, jeune fille, en ces heures d’extase,
Où l’âme s’affranchit du rythme et de la phrase,
J’ai rimé des sonnets pour toi.

Q10 – T15 – 2m (octo: v.1 &14) – s sur s

Puisque, troublant toujours nos pieuses études, — 1854 (12)

Ferdinand de Gramont Chants du passé

CLVI

Puisque, troublant toujours nos pieuses études,
Le monde à nos regards fait trembler le grand X,
Et dans les cieux voilés revoler Béatrix
Cherchons plus loin encor d’austères solitudes.

Écartons nous surtout des viles habitudes,
Aux Syrtes de Lybie, aux cavernes d’Éryx
Des dipsades, des dards, des sépés, des natrix,
Moins hideux sont les coups et les poisons moins rudes.

Quand chacun se tient ferme et combat à son rang,
Malgré les vents de flamme et les torrents de sang
On doit suivre sa route et mourir en silence,

Mais quand tout se débande, et que la foule émeut
L’air de ses cris peureux, alors, laissant sa lance,
L’intrépide guerrier se fait jour comme il peut.

Q15 – T14  – banv – On a voulu y voir un précurseur du ‘sonnet en x’ de Mallarmé. – (H.N.) dipsade : serpent dont la piqûre produit une chaleur et une soif excessives – sépé : morceau de fer qui sert à assujettir le canon du fusil dans la coulisse – natrix : nomm de la couleuvre à collier

Napoléon mourant vit une Tête armée … — 1854 (10)

Gérard de Nerval Les Chimères

La tête armée

Napoléon mourant vit une Tête armée …
Il pensait à son fils déjà faible et souffrant:
La Tête, c’était donc sa France bien-aimée,
Décapitée aux pieds du César expirant.

Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée,
Appela Jésus-Christ; mais l’abyme, s’ouvrant,
Ne rendit qu’un vain souffle, un spectre de fumée:
Le Demi-Dieu vaincu se releva plus grand.

Alors on vit sortir du fond du purgatoire
Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire,
Qui tendit sa main pure au monarque des cieux;

Frappés au flanc tous deux par un double mystère,
L’un répandait son sang pour féconder la Terre,
L’autre versait au Ciel la semence des Dieux!

Q8 – T15

La treizième revient … C’est encor la première; — 1854 (9)

Gérard de Nerval Les Chimères

Artémis

La treizième revient … C’est encor la première;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment;
Car es-tu Reine, ô Toi! la première ou dernière?
Es-tu Roi, toi le Seul ou le dernier amant? …

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement:
C’est la Mort – ou la Morte … O délice! ô tourment!
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

Saint napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de Sainte Gudule:
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des Cieux?

Roses blanches, tombez! vous insultez nos Dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle:
– La Sainte de l’Abîme est plus sainte à mes yeux!

Q9 – T17

Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse, — 1854 (6)

Gérard de Nerval Les Chimères

Myrtho

Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
A ton front inondé des clartés d’Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l’or de ta tresse.

C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ivresse,
Et dans l’éclair furtif de ton oeil souriant,
Quand aux pieds d’Iacchus on me voyait priant,
Car la Muse m’a fait l’un des fils de la Grèce.

Je sais pourquoi là-bas le volcan s’est rouvert …
C’est qu’hier tu l’avais touché d’un pied agile,
Et de cendres soudain l’horizon s’est couvert.

Depuis qu’un duc normand brisa tes dieux d’argile,
Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
Le pâle hortensia s’unit au Myrte vert!

Q15 – T21

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille — 1854 (4)

Baudelaire in Lettre non signée à madame Sabatier


L’aube spirituelle

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille
Entre en société de l’Idéal rongeur,
Par l’opération d’un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des Cieux Spirituels l’inaccessible azur,
Pour l’homme terrassé qui rêve encore et souffre,
S’ouvre et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse, Etre lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies
Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
A mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci la flamme des bougies;
Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l’immortel soleil!

Q63 – T30