Archives de catégorie : Genre des rimes

Un torse plat tout plat comme un pilastre — 1954 (7)

Pierre Albert-Birot Tout finit par un sonnet (Poésie 1952-66)

Sonnet récapitulatif

Un torse plat tout plat comme un pilastre
Un masque rond avec un œil de fer
Un paysage en forme de désastre
C’est à tout prendre et tout foutre à la mer

Et s’en aller sur n’importe quel astre
Chercher un beau grand dieu qui vous soit cher
Plus que Bouddha Jésus ou Zoroastre
Qui vous reçoive juste entre âme et chair

Mais par fenêtre entre de l’amical
C’est grand c’est chaud c’est fort c’est musical
Je reste ici ce que j’ai je le garde

Et quand viendra l’hiver le temps des maux
Pour me chauffer je cuirai des émaux
Quant à la mort je sais ça me regarde

Q8 – T15 – déca

Le sonnet, me dit-il, c’est de l’orfèvrerie, — 1954 (5)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

Du sonnet
I

Le sonnet, me dit-il, c’est de l’orfèvrerie,
Du bijou de vitrine et du bien ciselé.
Il dit que j’ai forfait, que la honte je l’ai
D’avoir trahi la langue et la règle et l’hoirie.

Monsieur le professeur, permettez que l’on rie.
Vos pareils sur l’idée ont tort de modeler
Leur visage et leur hargne et de s’écarteler
Entre le bien commun et leur longue furie.

Je ne suis pas orfèvre et n’en fais pas métier
Et je ne savais pas que vous-même l’étiez,
Car il n’y paraît pas à découvrir vos rimes.

Et puis je sais trop bien ce qui fuit vos compas:
Dans mes sonnets parfois un peu d’humour s’exprime
Et fait orfèvrerie où vous ne cherchez pas.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Des affaires? bien sûr qu’on en fait, des affaires. — 1954 (4)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

Affaires
I

Des affaires? bien sûr qu’on en fait, des affaires.
Exemple: un Parisien achète en Israël
Des camions d’Amérique et vend ce matériel
Au Maroc. Pour payer son vendeur il espère

Que l’Administration voudra bien qu’il opère
Dans le clearing franco-yougoslave officiel
Dont la balance, comme il est habituel,
Du côté yougoslave est trop déficitaire.

Notre homme fait, refait les démarches qu’il faut,
Car on ne doit jamais se mettre en porte-à-faux.
Il apprend maintenant, au bout de six semaines,

Que les camions U.S. en l’air se sont dissous.
L’affaire se fait donc; notre homme se démène
Pour importer ici des appareils à sous.

Q15 – T14 – banv

Je ne suis pas de ceux qui te jettent la pierre — 1954 (3)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

A Stéphane Mallarmé
« Egaux de Prométhée à qui manque un vautour » (Le guignon)

Je ne suis pas de ceux qui te jettent la pierre
Et comme ça t’écartent d’un revers de main.
Je connais ta grandeur, et ce côté gamin
Je le comprends: c’est la pudeur d’une âme fière.

Les bourgeois triomphaient. Leur jactance grossière
T’épouvantait, toi qui gagnais bien mal ton pain
En besognant. Humain, trop faiblement humain,
Tu n’as su que les fuir pour hanter les lisières

De l’idéal comme tu dis et ton tourment
C’était de faire avec l’absence un monument
Où viendraient seulement quelques esprits insignes.

– Egal de Prométhée à qui manque un vautour –
Mais le vautour est là qui t’assiège et te guigne
Et la Commune l’atteignit et pour toujours.

Q15 – T14 – banv

De Paris à Nancy, trois cent huit kilomètres, — 1954 (2)

Guillevic 31 sonnets – préface d’Aragon –

de la préface d’Aragon:  » J’avais apprécié chez Eluard déjà … à la veille de sa disparition, une tentative de liquidation de l’individualisme formel en poésie, … l’appel fait, par les formes traditionnelles de la poésie, à la réalité nationale, l’ouverture d’une fenêtre sur le panorama national de notre poésie (confirmant la passion apportée par Paul Eluard, aux dernières années, pour les anthologies)  »
 » Le I de Affaires a paru dans l’Express, dans la rubrique du Courrier des lecteurs ».

Sonnet dans le goût ancien

De Paris à Nancy, trois cent huit kilomètres,
La route est assez bonne et quand il fait beau temps
J’y prends bien du plaisir. Je me conte en partant
Les paysages qui bientôt vont m’apparaître.

D’abord, la Brie. Et je sais que pour la connaître
Il faut l’aimer. Elle est un équilibre ardent.
La lumière y est belle et fait durer l’instant.
Et c’est la Champagne pouilleuse où je vois naître

Un horizon limpide, un sol à travailler.
Puis la voiture va vers le pays mouillé
Sur les hauteurs de Meuse, au seuil de la Lorraine.

C’est ici que tout change et la honte me prend.
Je vois partout camper l’armée américaine
Et c’est intolérable, France, et déchirant.

Q15 – T14 – banv

« Ce pont ne brille point par la grâce friponne — 1953 (3)

Luc EtienneTriptykhon


III – IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS
Méditation du Maître de Forges devant un pont suspendu

« Ce pont ne brille point par la grâce friponne
Il est plus raide encor qu’un pied de tabouret
Qu’une verge d’évêque ou qu’un long minaret
Sa poignante laideur comme un dard nous harponne

Tout couvert d’un dépôt de suie et de carbone
Il n’a ni la blancheur aimable du furet
Ni la sombre grandeur du fatal couperet
Ni l’alerte gaieté d’un solo de trombone

Mais il est TOUT EN FER, ainsi que l’urinoir
L’obus, le goupillon, le sabre, ou l’entonnoir
Ou le busc du corset de la vieille bigote

Et c’est là l’important!  » d’un geste fourrageur
Le Roi du fer gaiement sort sous sa redingote
Un cigare trop gros pour être un voltigeur

Q15 – T14  bouts-rimés

Notes – I, 9 Cette périphrase modeste ne doit rien à l’abbé Delille
I, 11 il ne s’agit donc pas d’eau bénite
I, 12 La baguette du chef d’orchestre
III, 2 La crosse épiscopale: virga episcopalis .
III, 14 On sait que le cigare est, avec le gibus, l’attribut constant du magnat de l’industrie lourde.

Le Gendarme n’a pas la vénusté friponne — 1953 (2)

Luc EtienneTriptykhon

II – APOLOGIE DE LA GENDARMERIE
Beautés morales et physiques du Gendarme

Le Gendarme n’a pas la vénusté friponne
De la fille de bar sur son grand tabouret
Mais son cœur est plus blanc que le blanc minaret
L’Aiguillon du Devoir sans cesse le harponne

Son œil intelligent a l’éclat du carbone
Son nez est plus subtil que le nez du furet
Grâce à lui nul bandit n’échappe au couperet
Et le son de sa voix semble un mâle trombone

Il garde la Vertu, surveille l’urinoir
Où l’ignoble voyou, tirant son entonnoir
Cherche à jeter le trouble au cœur de la bigote

La Pucelle l’admire et d’un doigt fourrageur
Soulevant prestement son ample redingote
Jette sur sa culotte un regard voltigeur

Q15 – T14  bouts-rimés

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne — 1953 (1)

Luc EtienneTriptykhon

 » Avertissement – Il ne s’agit pas ici de poésie, mais de science. Les sonnets qu’on va lire ont pour unique objet de démontrer la proposition suivante.
Théorème: Quatorze rimes absolument quelconques étant données à l’avance dans un ordre déterminé, il est toujours possible d’écrire sur ces rimes un sonnet cohérent, respectant les règles de la métrique et traitant un sujet également donné à l’avance.
Mais à quoi sert cette démonstration? Elle ne sert à rien, et cette inutilité qui en fait la valeur scientifique: la vraie science est désintéressée.
Nous ne sommes pas de ceux qui rompent des lances en faveur de la Liberté de l’Art. Et simplement parce qu’on ne saurait en pareil exercice imposer trop de conditions aux paramètres du problème, nous pensons qu’il est élégant de s’astreindre à traiter le sujet donné, surtout s’il ne s’y prête pas, dans un esprit de discrète obscénité.
C’est du moins ce que nous avons cru devoir faire, dans l’innocence de notre cœur.
Rimes données: friponne, tabouret, minaret, harponne, carbone, furet, couperet, trombone, urinoir, entonnoir, bigote, fourrageur, redingote, voltigeur
Sujets donnés: I le PLAISIR II APOLOGIE DE LA GENDARMERIE III IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS

I – Le plaisir
Le chef d’orchestre à la fille de bar

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne
Veuillez descendre un peu de ce haut tabouret
Afin que mon engin, plus droit qu’un minaret
Tisonnant votre chair, vous fouille et vous harponne

Comme un pic de mineur creuse dans le carbone
Comme dans le terrier se glisse le furet
Ou comme dans la nuque entre le couperet
Ma coulisse entrera dans ton petit trombone

A pleins bords, mon superbe instrument d’urinoir
Saura te déverser, généreux entonnoir
La brûlante liqueur qui fait fuir la bigote

Cependant qu’au tempo du bâton fourrageur
Pour scander ton plaisir, mon pan de redingote
Sur mes fesses battra, papillon voltigeur

Q15 – T14  – banv – bouts-rimés

Or dans quelle ombre, à peine ouverte, — 1951 (2)

Henri de Lescoët Dix sonnets occultes

Nuit du 2 août 1947

Or dans quelle ombre, à peine ouverte,
Pointe un oiseau, s’engage un vers?
Le ciel mélange un cri pervers
Aux fils défaits des mains inertes.

Une vague qui pousse, perd
Ici la raison d’être verte.
Plus bas du vent qui déconcerte,
Au bord de l’oeil, plus près des chairs,

Comme le sang pensé, le rêve
Le temps altère aux divers coeurs
Les gestes vrais, la seule ardeur.

Quel vieux soupçon cependant crève
A travers le mot nu de froid
D’un jour, cent fois maudit, pourquoi?

Q16 – T30 – octo

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes — 1951 (1)

Armen Lubin Sainte patience

Nougats et fumées

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes
L’attente au bord de la route bêtement chaste,
L’attente aux oreilles diaphanes devant ces terres pelées
Que le temps ne débite pas, n’ayant pas su les morceler.

Nul signe de vie, aucune visite, rien de rien!
Ma cigarette qui fume dans la direction bleutée
Prouve que le ciel cède toujours d’un seul côté
Il cède du côté des rêves anciens.

Ah! que l’affaire des chevau-légers vienne sur le tapis.
Que l’affaire des roues de rechange vienne sur le tapis,
Et celle des barreaux de prison devenus nougats,

Sous l’action chaleureuse d’un feu de joie,
Qui n’est plus que le désir incandescent du prisonnier,
Le surplus de temps se déverse dans mon cendrier.

Q57 – T13 – m.irr