Archives de catégorie : Genre des rimes

Chaque fleur dit un mot du livre de nature: — 1843 (7)

(Balzac)

Quand il eut fini, le poème regarda son aristarque, Etienne Loustau contemplait les arbres de la pépinière.
– Eh! bien? lui dit Lucien.
– Eh! bien? mon cher, allez! Ne vous écouté-je pas? A Paris, écouter sans mot dire est un éloge.
– En avez-vous assez? dit Lucien?
– Continuez, répondit assez brusquement le journaliste.
Lucien lut le sonnet suivant …

TRENTIEME SONNET
Le camélia

Chaque fleur dit un mot du livre de nature:
La rose est à l’amour et fête la beauté,
La violette exhale une âme aimante et pure,
Et le lis resplendit de sa simplicité.

Mais le camélia, monstre de la culture,
Rose sans ambroisie et lis sans majesté,
Semble s’épanouir, aux saisons de froidure,
Pour les ennuis coquets de la virginité.

Cependant, au rebord des loges de théâtre,
J’aime à voir, évasant leurs pétales d’albâtre,
Couronne de pudeur, de blancs camélias

Parmi les cheveux noirs des belles jeunes femmes
Qui savent inspirer un amour pur aux âmes,
Comme les marbres grecs du sculpteur Phidias.

Q8 – T15

Je suis la marguerite, et j’étais la plus belle — 1843 (6)

(Balzac)

Lucien fut piqué de la parfaite immobilité de Lousteau pendant qu’il écoutait ce sonnet; il ne connaissait pas encore la déconcertante impassibilité que donne l’habitude de la critique, et qui distingue les journalistes fatigués de prose, de drames et de vers. Le poète, habitué à recevoir des applaudissements, dévora son désappointement; il lut le sonnet préféré par madame de Bargeton et quelques-uns de ses amis du cénacle.
– Celui ci lui arrachera peut-être un mot, pensa-t-il.


DEUXIEME SONNET

La Marguerite

Je suis la marguerite, et j’étais la plus belle
Des fleurs dont s’étoilait le gazon velouté.
Heureuse, on me cherchait pour ma seule beauté,
Et mes jours se flattaient d’une aurore éternelle.

Hélas! malgré mes voeux, une vertu nouvelle
A versé sur mon front sa fatale clarté;
Le sort m’a condamnée au don de vérité,
Et je souffre et je meurs: la science est mortelle.

Je n’ai plus de silence et n’ai plus de repos;
L’amour vient m’arracher l’avenir en deux mots,
Il déchire mon coeur pour y lire qu’on l’aime.

Je suis la seule fleur qu’on jette sans regret:
On dépouille mon front de son blanc diadème,
Et l’on me foule aux pieds dès qu’on a mon secret.

Q15 – T14- banv

Paquerette des près, vos couleurs assorties — 1843 (5)

-in  Balzac :  Illusions perdues

(Rubempré présentant à Lousteau son recueil de sonnets Les Marguerites ) – Le sonnet, monsieur, est une des oeuvres les plus difficiles de la poésie. Ce petit poème a été généralement abandonné. personne en France n’a pu rivaliser avec Pétrarque, dont la langue, infiniment plus souple que la nôtre, admet des jeux de pensée repoussés par notre positivisme (pardonnez-moi ce mot). Il m’a donc paru original de débuter par un recueil de sonnets. Victor Hugo a pris l’ode, Canalis donne dans la poësie fugitive, Béranger monopolise la Chanson, Casimir Delavigne accapare la Tragédie et Lamartine, la Méditation.

– Etes-vous classique ou romantique? lui demanda Lousteau.

… des sonnets, c’est de la littérature d’avant Boileau, dit Etienne en voyant Lucien effrayé d’avoir à choisir entre deux bannières. Soyez romantique. Les romantiques se composent de jeunes gens, et les classiques sont des perruques; les romantiques l’emporteront.


LA PAQUERETTE! dit Lucien en choisissant le premier des deux sonnets qui justifiaient le titre et servaient d’inauguration

Paquerette des près, vos couleurs assorties
Ne brillent pas toujours pour égayer les yeux;
Elles disent encor le plus cher de nos voeux
En un poème où l’homme apprend ses sympathies:

Vos étamines d’or par de l’argent serties
Révèlent les trésors dont il fera ses dieux;
Et vos filets, où coule un sang mystérieux,
Ce que coûte un succès en douleurs ressenties!

Est-ce pour être éclos le jour où du tombeau
Jésus, ressuscité sur un monde plus beau,
Fit pleuvoir des vertus en secouant ses ailes,

Que l’automne revoit vos courts pétales blancs
Parlant à nos regards de plaisirs infidèles,
Ou pour nous rappeler la fleur de nos vingt ans?

Q15 – T14- banv

Si les plus beaux cheveux du monde — 1843 (4)

Gustave Levavasseur – in Vers

XXXI
Sonnet

Si les plus beaux cheveux du monde
Miroitaient sur sa tête blonde,
Son nez, galamment retroussé,
Taquinait une bouche ronde.

Main passant, le coeur détroussé,
Baissait les yeux, tout courroucé,
Sous son regard de Frédégonde,
Piteusement éclaboussé.

Que lui manquait-il donc? … Etait-ce
Ce teint si vanté dans Lutèce,
Où la rose le cède aux lis?

Non; mais vous eussiez cherché l’âme
En vain sous ses contours polis; –
La gaine n’avait pas de lâme.

aaba  bbab –T14  octo Un octave, et non deux quatrains autonomes

Du sonnet, moi j’ai la manie, — 1843 (3)

Gustave Levavasseur – in Vers

Sonnet

Du sonnet, moi j’ai la manie,
J’aime calembourgs et rébus,
J’aime la royauté bannie,
J’invoque Pégase et Phoebus.

Je dis au soir ma litanie,
Et mon feutre insulte Gibus;
Je compterais pour avanie
De m’encaisser en omnibus.

Que l’on me fronde ou qu’on me loue,
Devant notre siècle de boue,
Je me couvre d’un air hautain;

Et si j’étais moine ou bien prêtre,
Je sais ce que je voudrais être:
Abeilard ou l’abbé Cotin.

Q8 – T15 – octo – s sur s

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre, — 1843 (2)

MollevaultCinquante sonnets,

xlvi – Le Sonnet

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre,
Toi, tyran de ma verve, impérieux sonnet!
Qui, vanté par Boileau, daigne à peine m’entendre,
Au risque d’un cartel, je te veux parler net.

Lorsque que mon jeune coeur était facile et tendre,
Que l’heure du plaisir pour ma Muse sonnait,
J’allais, près de Vénus, sur le gazon m’étendre,
Et, sans peine, à ses pieds mon vers se façonnait.

Fatigué des travaux, quand du luth je m’escrime,
Mal avec les amours, et mal avec la rime,
Je les suis hors d’haleine, et ne les atteins pas.

Ah! quand l’arrêt du Temps vient tout nous interdire,
Il faut battre en retraite, et chaque jour se dire:
Adieu la rime riche et les riches appas.

Q8 – T15 – s sur s

Alors qu’avec bonheur votre verve s’exprime, — 1843 (1)

MollevaultCinquante sonnets, dédiés au cinquante membres titulaires et honoraires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

xiv – Le sonnet de mr Nodier, offrant huit rimes pareilles, contre la règle

Alors qu’avec bonheur votre verve s’exprime,
Malgré votre talent, je le dis sans façon,
Huit rimes, même soeurs, que je gronde et supprime,
Ont du docte Boileau négligé la leçon.

Si des chants les pensers seuls emportaient la prime,
Vous pourriez vous livrer à ce retour de son,
Et vous verriez le Pinde, où votre talent prime,
Fier de vous présenter son plus cher nourrisson.

Avec un saint respect la langue vous contemple,
Et l’éditeur qui veut lui consacrer un temple
Grave sur le fronton le chiffre de Nodier.

Moi qui n’ai point l’essor de vous ou de Racine,
Au sol des éditeurs je ne prends point racine,
Et mon arbre est, hélas un vrai baguenaudier.

Q8 – T15

Le printemps est venu. Le mois des giboulées — 1842 (21)

Emile de La Bedollière in Les français peints par eux-mêmes

Le printemps est venu. Le mois des giboulées
Cesse de détremper les flancs de nos côteaux,
Voici des jours de flamme et des nuits étoilées,
Un soleil radieux se mîre dans les eaux.

Et déjà l’amandier, sans craindre les gelées,
D’une blanche dentelle argente ses rameaux ;
L’on entend gazouiller sous les vertes feuillées
Un cœur harmonieux d’insectes et d’oiseaux.

N’est-ce pas ? Il est doux d’errer dans la contrée,
Qui s’égaie au soleil, de mille fleurs parée ;
Allons ensemble, ami ; viens, donne-moi la main.

Loin d’un monde brillant quand le bonheur s’exile,
Pour le suivre à la trace abandonnons la ville,
Et puissions- nous bientôt le trouver en chemin.

Q8 – T15

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde, — 1842 (20)

Théophile Gautier Oeuvres poétiques (ed.1880)

A des amis qui partaient, sonnet

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde,
Un beau reflet ambré dore le front du jour;
Comme un sein virginal sous un baiser d’amour,
La voile sous le vent palpite et se fait ronde.

Une écume d’argent brode la vague blonde,
La rive fuit. Voici Mante et sa double tour,
Puis cent autres clochers qui filent tour à tour
Puis Rouen la gothique et l’Océan qui gronde.

Au dos du vieux lion, terreur des matelots,
Vous allez confier votre barque fragile,
Et flatter de la main sa crinière de flots.

Horace fit une ode au vaisseau de Virgile:
Moi, j’implore pour vous, dans ces quatorze vers,
Les faveurs de Thétis, la déesse aux yeux verts.

Q15  T23

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique, — 1842 (19)

Xavier Marmier Chants populaires du Nord

La conversion au sonnet

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique,
Sur nos pauvres sonnets déverser à longs flots,
Raffinement cruel ! – le sel de ces bons mots
Qui pénètrent au vif par leur mordant attique ;

O blanc cygne venu du pur Olympe antiques !
Pourquoi sur son hermine aujourd’hui sans défauts,
Cette tache aujourd’hui de nos bourbeuses eaux ?
Te serais-tu souillé d’un sonnet romantkjque ?

As-tu donc oublié tant de dérisions,
Et du vieux maître Voss les déclamations
Qu’envenimaient l’injure et les cris d’anathème ?

Ah ! tu me fais penser au précepteur grondant,
Pour des fruits dérobés, son élève imprudent,
Et qui s’éloigne après pour en manger lui-même !

Q15  T15  tr (d’un sonnet de Uhland adressé à Goethe, tardivement converti à cette forme)