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Nous cherchons ici-bas une postérité — 1888 (6)

Alfred Copin (trad.) Les sonnets de Shakespeare traduits en vers français

I

Nous cherchons ici-bas une postérité
Pour éviter la mort à la beauté suprême,
Et qu’une fois flétrie, à sa maturité,
Il reste son image en une autre elle-même.

Mais toi, le fiancé de tes brillants regards,
Tu nourris ton éclat de ta propre substance;
Ennemi de ton charme et pour toi sans égards,
Tu fais une famine où règne l’abondance.

Toi, du monde aujourd’hui le plus frais ornement,
Qui n’es que le héraut de l’été parfumant,
En ton propre bourgeon tu conserves ta sève

– Lâche! qui se ruine en économisant!
Ecoute la nature, ou sinon te brisant,
Elle te poursuivra jusqu’au tombeau sans trève!

Q59 – T15 – tr – Shakespeare, sonnet 1: « From fairest creatures we desire increase, … « 

Toi qui vis au dedans d’une chair vulnérable, — 1876 (11)

coll. Le Parnasse Contemporain, III

Alfred des Essarts

D’après Shakespeare

Toi qui vis au dedans d’une chair vulnérable,
En butte à l’ennemi que tu veux protéger,
O pauvre âme, pourquoi rechercher le danger
Et te rendre toi-même abjecte & misérable?

Ayant avec la vie un bail si peu durable,
Pourquoi parer un corps qui n’est qu’un étranger?
De riches ornements à quoi bon surcharger
Ta fragile demeure assise sur le sable?

Crois-tu qu’avec le corps il te faille finir?
Sa ruine est ta vie & sa douleur ta gloire;
Au prix d’un temps impur gagne un saint avenir.

Fais-toi de vrais trésors: le reste est illusoire.
Nourris-toi de la mort; que ce soit ta victoire:
Car, la mort étant morte, on ne doit plus mourir.

Q15 – T21  tr – s.146 « Poor soul, the center of my sinful earth … »

La luxure en acte c’est la dépense de l’âme dans un abîme de honte — 1873 (33)

Shakespeare Sonnets, trad. E. Montégut


CXXIX

La luxure en acte c’est la dépense de l’âme dans un abîme de honte, et lorsqu’elle a passé en acte la luxure est parjure, meurtrière, sanguinaire, pleine de blâmes, sauvage, excessive, brutale, cruelle, indigne de confiance. On n’en a pas plutôt joui, que soudain on la méprise; on la poursuit hors de toute raison, et on ne l’a pas plutôt satisfaite qu’on la hait au-delà de toute raison, comme une amorce qu’on a avalée et qui était placée tout exprès pour rendre fou celui qui l’avalerait: c’est une folie dans la poursuite, et une folie dans la possession, elle est extrême à la fois dans le souvenir du plaisir passé, dans le présent de la jouissance, et dans l’appétit qui nous pousse à l’assouvir: d’avance c’est un bonheur, après une véritable infortune; d’abord c’est une joie qu’on se propose, ensuite ce n’est plus qu’un rêve. Tout cela, le monde le sait parfaitement, cependant personne ne connaît le moyen d’éviter le ciel qui conduit les hommes à cet enfer.

sh129  pr 

Las de ce que je vois, je crie après la mort; 1871 (9)

coll. Le Parnasse Contemporain, II

Auguste Barbier

Shakespeare A son amie

Las de ce que je vois, je crie après la mort;
Car je vois la candeur en proie au vil parjure,
Le mérite en haillons, déshérité du sort,
Et l’incapacité couverte de dorure;

Et la vierge pudeur aux bras de la luxure,
Au siège de l’honneur l’intrigue allant s’asseoir,
L’esprit fort appelant sottise la droiture,
L’art divin baîllonné par la main du pouvoir;

L’ignorance, en docteur, contrôlant le savoir,
Sous le fourbe boiteux, le fort manquant d’haleine,
Le vice ricaneur flétrissant le devoir,
Le Bien, humble soldat, et le Mal capitaine;

Oui, las de tout cela, je finirais mes jours,
N’était que de mourir c’est quitter mes amours

abab bcbc cdcd ee=sp – disp: 4+4+4+2 – tr  Shakespeare- s.66: « Tir’d with all these, for restful death I cry ». Traduit dans une disposition de rimes spensérienne

Rebuté des humains, flétri par l’infortune, — 1839 (8)

Louis Ayma Les préludes

XXII – Imité de Shakespeare

Love’s Consolation

Rebuté des humains, flétri par l’infortune,
Seul comme en un désert, je déteste mon sort;
Je fatigue le ciel de ma plainte importune,
Et jetant l’oeil sur moi je désire la mort.

J’ai convoité de l’un la féconde espérance,
De l’autre les trésors et les amis nombreux,
De celui-ci les arts, la beauté, la naissance;
Car je n’ai pas reçu du ciel ces dons heureux.

Mais si, dans ces moments de souffrance muette,
Je pense à vous; – alors, pareil à l’alouette
Qui vole vers les cieux aux derniers feux du jour,

Un hymne de bonheur de mon âme s’élance,
Car je préfère à l’or, aux arts, à la naissance,
Le touchant souvenir de votre chaste amour.

Q59 – T15 – tr

On peut regretter que dans son ‘imitation’ du sonnet 29 de Shakespeare (qu’il traduit après Chasles), il ne respecte pas la forme: après deux quatrains en rimes alternées distinctes, il termine par un sizain à la Ronsard .

Ne pleurez pas long-temps pour moi, quand je serai
 mort : — 1836 (14)

François-René de Chateaubriand Mémoires d’Outre-tombe, t.1

Ne pleurez pas long-temps pour moi, quand je serai
 mort : vous entendrez la triste cloche, suspendue 
haut, annoncer au monde que j’ai fui ce monde vil,
 pour habiter avec les vers plus vils encore. Si vous
 lisez ces mots, ne vous rappelez pas la main qui les
 a tracés ; je vous aime tant que je veux être oublié
 dans vos doux souvenirs, si en pensant à moi vous
 pouviez être malheureuse. Oh ! si vous jetez un
 regard sur ces lignes quand peut-être je ne serai
 plus qu’une masse d’argile, ne redites pas même 
mon pauvre nom, et laissez votre amour se faner
 avec ma vie.

pr tr sh 70

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs — 1834 (8)

Leon de Wailly in Revue des Deux Mondes, t4

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs
La cloche, à la voix sombre, annoncera qu’une âme
Au céleste foyer a rapporté sa flamme
Qu’un cadavre de plus habite avec les vers.
Par pitié pour tous deux ! si vous lisez ces vers,
Oubliez-en l’auteur : on le raille, on le blâme ;
Et combien j’aime mieux l’oubli que je réclame,
Que si penser à moi rendait vos jours amers !O
ui, si vous les lisez, ayez bien soin de taire
Un nom qui doit dormir avec moi dans la terre ;
Que je sois par la mort de votre amour exclus ;
Car j’aurais trop de peur qu’épiant chaque larme
Ce monde si sensé de moi se fît une arme
Pour vous blesser au cœur quand je n’y serai plus.

Q15 T15 trad sh 70 – sns

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne, — 1833 (6)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

Le déclin de la vie

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne,
Où la feuille jaunit, où l’on voit tous les jours
Le bois perdre un fragment de sa belle couronne:
Temple où le rossignol soupirait ses amours.
Temple en ruine, hélas! – Voici venir cette ombre
Qui couvre l’univers, quand le soleil s’enfuit;
Quand la terre et les cieux attendent la nuit sombre,
Image de la mort, cette éternelle nuit!
Sur le foyer éteint, les cendres de ma vie,
Je rêve tristement. J’aimai, je fus aimé;
Quelques instants encor, ma carrière est remplie:
Ce feu qui m’a nourri m’aura donc consumé!
Tes yeux voyent pâlir le flambeau de ma vie,
Et tu m’aimes toujours, mon ange! Ah! Sois bénie!

Q59 – T19 – sns – sh –

Ces traductions des sonnets 29 (When in disgrace with fortune and men’s eyes) et 73 (The time of year thou mayst in me behold) de Shakespeare sont les premières (et de longtemps les seules) à reproduire la disposition des rimes (abab  cdcd  efef  gg) et la non-séparation des strophes, caractéristiques de cette sous-espèce de la forme-sonnet.

D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent; — 1833 (5)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

La consolation
D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent;
Seul, rebuté du monde et maudissant mon sort,
Mes inutiles cris dans les airs retentissent:
Le ciel est sourd: je pleure, et désire la mort.
D’autres ont des amis, d’autres ont la richesse;
Ils ont reçu du ciel, le repos, d’heureux jours,
Les honneurs, la beauté, la gloire, la sagesse;
Inestimables biens qui me fuiront toujours.
Dans ces pensers amers, quand tout mon coeur se noie,
Je pense à toi! – Mon âme heureuse en son réveil,
S’élance et fait jaillir l’hymne ardent de sa joie,
Comme part l’alouette au lever du soleil.
Doux souvenir! amour! mon bonheur! ma couronne!
Tu suffis à ma vie, et tu vaux mieux qu’un trône.

ababcdcdefefgg – sns – sh – La formule de rimes est celle des sonnets de shakespeare