Archives de catégorie : Variétés particulières

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile, — 1874 (4)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Sonnet contre Sonnet

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile,
Il ait longtemps fleuri dans les vallons d’Enna!
N’est pas toujours très beau ce qu’on croit difficile,
Et Boileau, sur ce point, sottement raisonna.

Quant à moi, je préfère un seul vers de Virgile,
A ce vain jeu d’esprit qui nous vint de l’Etna.
Il peut plaire à la cour et sourire à la ville,
Le bon sens indigné pourtant le condamna.

Le plus beau ne vaut pas le moins brillant poème,
Car loin d’être enrichi d’une beauté suprème,
Auprès d’un diamant, c’est un caillou du Rhin.

Le verre imite mal le cristal de Bohème.
Ce sonnet, c’est le verre, et la vierge que j’aime
Rejetterai le strass de son splendide écrin.

Th. Richard-Baudin

Q8 – T6 – s sur s

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine, — 1874 (2)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874. Sonnets inédits publiés avec le concours de 150 sonnettistes – Aix –

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine,
Où les jours, plus pressés, pour tous semblent courir,
L’idéal, exilé de sa sphère sereine,
De rêves longs et doux ne peut plus se nourrir.

Le fait parle en despote, et sa voix souveraine
Nous dit: il faut marcher et ne plus discourir,
Car la vie, aujourd’hui, n’est qu’une grande arène,
Où l’on entre à son tour pour lutter et mourir.

Dans cette course folle, où s’agiter c’est vivre,
Eh, qui donc a le temps de composer un livre,
Comme pour le présent écrit pour l’avenir?

Le sonnet, par sa forme exacte et condensée,
Répond à notre hâte, en servant la pensée,
Et par un dernier trait l’impose au souvenir.

Auguste de Vaucelle

Q8 – T15 – s sur s

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme — 1873 (37)

– – Joseph AutranSonnets capricieux

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme
Qui, de ses douze chants, assomme l’auditeur !
Sur le ton solennel que tout autre s’endorme,
Toi, tu n’as pas le temps d’assoupir un lecteur.

J’aime ton pas léger, j’aime ta mince forme ;
Ayant si peu de corps, tu n’as pas de lenteur,
On fait un lourd fagot avec le bois de l’orme,
Avec un brin de rose on fait une senteur !

Va donc, cours et reviens, demande à l’hirondelle
Cet essor qui franchit tout le ciel d’un coup d’aile ;
Au fier cheval de Job emprunte son galop

Sois l’éclair, le rayon, le regard, le sourire.
Oh ! et fais en un mot que l’on ne puisse dire :
« Quatorze vers, c’est encor trop ! »

Q8  T15  2m  s sur s

Vers filés à la main et d’un pied uniforme, — 1873 (20)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

I
Sonnet

Avec la manière de s’en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme ….
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe: – on en suit quatre, en long;
A chaque pieu, la rime – exemple: chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

Télégramme sacré – 20 mots – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet – ) ô Muse d’Archimède!
– La preuve d’un sonnet est par l’addition:

– Je pose 4 et 4=8! Alors je procède,
En posant 3 et 3! – Tenons Pégase raide:
« Ô lyre! Ô délire! Ô… » – Sonnet – Attention!

Pic de la Maladetta. – Août.

Q8 – T15 – s sur s – On comparera ce ‘sonnet sur le sonnet’ de Corbière aux autres exemples contenus dans ce choix.

(a.ch)  » Dans son sonnet sur le sonnet, Corbière, horribile auditu, a fait un vers faux :
Je pose 4 et 4=8! Alors je procède, Même si on ne dit pas « égal » :
Je pose quatre et quatre : huit Alors je procède = 13 syllabes car huit a un h aspiré. Le vers n’est correct qu’oralement »

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur, — 1873 (5)

Joseph AutranSonnets capricieux

A un dédaigneux

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur,
Pour que ta plume ainsi l’agace et le lutine?
En vain je fais valoir sa forme florentine,
Je ne désarme pas pour si peu ta rigueur.

« Le sonnet ne vient pas d’une source latine,
C’est étroit pour l’esprit, c’est chétif pour le coeur.
Hugo n’en fit jamais, pas plus que Lamartine.
L’océan ne tient pas dans un verre à liqueur ».

Je l’avoue en effet, ces colosses de gloire
Vous donnent quelque fois toute la mer à boire.
La bois-tu jusqu’au fond, critique mon ami?

Je ne sais; mais pour moi, sans être trop sévère,
Quand le verre est si grand je n’y bois qu’à demi,
Et, quand il est petit, j’avale tout le verre.

Q17 – T14 – s sur s

UN SONNET ! vous voulez m’inspirer cette audace, — 1872 (42)

La ligue des poètes

Au ligueur qui désire que je lui tourne un sonnet au lieu d’un acrostiche

UN SONNET ! vous voulez m’inspirer cette audace,
A moi, plein de frayeur pour ses difficultés !
Car je dois m’accrocher, pour grimper au Parnasse,
Même par l’acrostiche, à ses aspérités.

Mais toujours je retombe au fond de la vallée,
Et reprends mon élan sans le moindre succès ;
Arriver au sommet, ô gloire signalée ! ..
De rares favoris y trouvent leur accès.

Il faut avoir comme eux des trésors d’harmonie,
Des accents inspirés, perles de poésie ;
A ce prix, Apollon leur donne ses faveurs.

Sans ces dons, jour et nuit, hélas ! ma pauvre muse,
Sisyphe ou Danaïde, et sue et souffle et s’use,
Pour atteindre à mi-côte, en stériles labeurs.
Louis Monneret

Q59  T15  s sur s

C’est un sonnet, pardonnez-moi. — 1872 (29)

Albert MillaudPetite Némésis


Quatorze vers

C’est un sonnet, pardonnez-moi.
En librairie il est d’usage
De mettre en tête d’un ouvrage
Une profession de foi.

Ces propos de première page
Font, – je n’ai jamais su pourquoi –
Chez le lecteur naître l’effroi …
On les lit peu – c’est bien dommage.

Mon avant-propos me gênait.
Pourtant il faut que je le fasse.
On peut me lire sans grimace.

Je suis très-court, très-bref, très-net ….
– Mais c’est toujours une préface!
Pardonnez-moi, c’est un sonnet.

Q16 – T28 – octo – s sur s

A mes soixante-un ans je dois plus qu’un sonnet, — 1872 (27)

R. AgnèsLes cent sonnets

xcviii
Sonnet presque deux fois Sonnet, pour le soixante-unième anniversaire de ma naissance, 20 novembre 1872. dédié à moi-même.

A mes soixante-un ans je dois plus qu’un sonnet,
Pour me fêter à moi, le jour de ma naissance.
Tout en me promenant, voyez, je le commence;
Si je le peux finir, je serai satisfait.

Mais le premier quatrain je trouve déjà fait.
Si le second pouvait venir sans que j’y pense,
De mes faibles efforts j’aurais la récompense:
Heureux je passerais à mon premier tercet.

Lui-même se fait seul avec beaucoup d’aisance.
Le voyez-vous marcher? A grands pas il avance.
Mais voilà devant nous un joli cabaret.

Nous ne pouvons passer, Messieurs, en conscience,
Sans entrer un instant; belle est la circonstance,
Pour boire à ma santé! Mon sonnet est parfait*.

* Arrosé d’un bon vin où je n’ai point mis d’eau, / Ce dernier va trouver grâce devant Boileau /.

Q15 – T6 – y=x (c=b & d=a) – s sur s

Je n’entrerai pas là, – dit la folle en riant, – — 1871 (1)

Josephin SoularyOeuvres poétiques


Le sonnet

Je n’entrerai pas là, – dit la folle en riant, –
Je vais faire éclater cette robe trop juste!
Puis elle enfle son sien, tord sa hanche robuste,
Et prête à contre-sens un bras luxuriant.

J’aime ces doux combats, et je suis patient.
Dans l’étroit vêtement, vrai corset de Procuste,
Là, serrant un atour, ici le déliant,
J’ai fait passer enfin tête, épaules, et buste.

Avec art maintenant dessinons sous ces plis
La forme bondissante et les contours polis.
Voyez! la robe flotte, et la beauté s’accuse –

Est-elle bien ou mal en ces simples dehors?
Rien de moins dans le coeur, rien de plus sur le corps,
Ainsi me plaît la femme, ainsi je veux la Muse.

Q14 – T15  s sur s

Est-ce cultiver l’art que bâtir avec peine — 1870 (9)

P.Garreau in Académie Belles-Lettres La Rochelle

Le sonnet

Est-ce cultiver l’art que bâtir avec peine
Un sonnet où la muse a pour tout horizon
Quatorze pas, les murs étroits d’une prison ?
Est-ce le cultiver que de forcer la veine

A fournir quatre fois, d’abord, la rime pleine,
En huit vers attelés d’une étrange façon ?
Si c’est là de la rime, est-ce de la raison ?
Ah ! ne confondons pas la règle avec la chaîne !

Qui nous délivrera du factive dans l’art,
Des tours de passe-passe, et des femmes à fard,
Des adroits qui voudraient remplacer le poète ?

Quand j’ai fait un sonnet, je me sens au niveau
D’un bateleur expert ou d’un habile athlète …
Mais c’est là trahir l’art et le culte du beau !

Q15  T14 – ba,v –  s sur s